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2007

    1. JUSTICE VERTU DE)##


JUSTICE VERTU DE), NOTION ET NATURE

JIM.S


Outre cette vertu de justicelégale et générale, nous devons en admettre une autre, d’un caractère entièrement distinct et appelée du nom de justice particulière. La justice légale, dit saint Thomas, n’est pas essentiellement toute vertu ; mais il faut qu’en dehors de la justice légale qui dispose immédiatement l’homme au bien commun, il y ait d’autres vertus à l’incliner vers les biens particuliers. Or ces biens particuliers peuvent se rapporter au sujet lui-même ou à quelque autre personne distincte de lui.

De même donc que, en dehors de la justice légale, il faut qu’il y ait quelques vertus particulières pour régler l’homme vis-à-vis de lui-même, comme la tempérance et la force ; de même aussi, outre la justice légale, il doit exister une certaine justice particulière chargée de régler l’homme à l’endroit des choses concernant les autres personnes : Sicut prseter fuslitiam legalem oportet esse alignas virtutes particulares quæ ordinent hominem in seipso, puta temperantiam et fortitudinem ; ita etiam prseter justitiam legalem oportet esse particularem quamdam justitiam, quæ ordinet hominem circa eu quæ sunt ad alieram singularem pérsonam, a. 7.

Cette vertu de justice particulière a une matière spéciale et déterminée. Quelle est-elle ?

Saint Thomas pose en principe que tout ce qui peut être redressé par la raison est matière de la vertu morale. Or peuvent être redressées par la raison, et les passions intérieures de l’âme, et les actions externes, et les choses extérieures qui servent à l’usage de l’homme. Par les actions externes et les choses extérieures on règle les relations d’un homme avec un autre, tandis que selon les passions intérieures on considère la droiture de l’homme en lui-même. Il en résulte que, comme la justice est relative à autrui, elle ne porte point sur toute la matière de la vertu morale, mais seulement sur les actions externes et sur les choses en tant que par elles, un homme est coordonné aux autres, a. 8.

La matière de la vertu morale se partage en deux grands genres : le premier, qui regarde l’ordonnance du sujet vis-à-vis du sujet, et ce sont les [lassions : le second, qui regarde les dispositions du sujet par rapport aux autres, et ce sont les choses ou les actions extérieures qui le mettent en relation avec eux. La justice a seulement le second genre de matière. Toutefois, la question se pose encore de savoir si les passions ne peuvent pas entrer dans cette matière. C’est un point qui demande à être examiné de plus près, bien qu’il ait déjà été touché auparavant. Saint Thomas répond par la négative. La justice, en effet, porte sur ce qui regarde autrui. Or les passions, en elles-mêmes, nous concernent exclusivement ; elles ne regardent point les autres directement, mais seulement d’une façon indirecte, c’est-à-dire, à raison de leurs effets. Et voilà pourquoi la justice n’a point pour matière les liassions, a. 9.

Donc la justice particulière a pour objet les rapports des hommes entre eux considérés comme des unités indépendantes dont chacune a son bien propre distinctement et séparément, il suit de là qu’elle ne s’occupe directement que de ce qui peut intéresser ers rapports en eux-mêmes, c’est-à-dire des actions extérieures ou de l’objet de ces uel ions. I.es passions, par clles-inènics, ne relèvent point de la justice, mais seulement de la force ou de la tempérance.

Acte propre de la vertu de justice.

L’acte propre de la vertu de justice, dit saint Thomas, consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient : Proprius actus insiiiiw nihil aliud est quam reddere unteuique <P""’siiuin est…. a. 11, c’est à dire, de rendre à chacun lonl ce qui lui est dû, de telle sorte que jamais, ni d’aucune manière, on IIC lui cause le plus léger dommage. I » <>ii<l’objet de la justice particulière est défini par le droit d’autrui.

Ce droit peut trouver satisfaction soit par le moyen de nos actes, comme lorsque je salue l’homme qui a droit à mon respect ; soit par le moyen des choses qui sont en usage dans la vie humaine, par exemple si je rends un dépôt ou paye une dette. Il s’ensuit que le juste milieu, médium rationale, qai est le but de toute vertu morale, doit être cherché ici non par rapport au sujet moral, comme lorsqu’il s’agit de tempérance ou de force : mais par rapport aux personnes et aux choses auxquelles l’action est relative.

La justice concernant autrui et prenant pour matière des actions et des choses, sera satisfaite quand autrui aura lieu d’être satisfait, et autrui aura lieu d’être satisfait quand les actions et les choses qui nous mettent en rapport avec lui seront mesurées par la raison conformément à ce qui convient au rapport que lui-même entrelient avec nous, soit à titre habituel, soit dans la circonstance.

Or la mesure en question est ce qu’on nomme équité, c’est-à-dire égalité de ce qui est mesuré avec ce qui revient à la personne intéressée en justice. Il y a donc là un juste milieu imposé à la raison, et non pas constitué par elle. C’est moi qui détermine, par raison, ce que je dois manger à table ; ce n’est pas moi qui détermine ce que je dois payer, quand je dois tant. Le juste milieu ne s’établira donc pas ici entre le trop et le trop peu que la raison détermine ; mais entrele trop et le trop peu qui se trouvent déterminés par des relations positives, extérieures au sujet, et que sa raison ne pourra que reconnaître : Cum justitia, versetur circa exteriores operationcs et rcs, médium in eu est médium rei consistens in quadam proporlionis œqualitate rei exterioris ad exteriorcm pérsonam, a. 10.

La justice et les autres vertus.

Si l’on compare entre elles, dans l’ordre humain, les vertus qui perfectionnent la partie affective de l’homme, nous devons dire que la vertu de justice est celle qui l’emporte, en excellence, sur toutes les autres : Cum justitia tant moralis quam legalis sit virlus existera in voluntate et qua ad alterum homo ordinatur, ea est omnium virtutum moralium excellenlissima…, a. 12.

C’est elle, en effet, qui, à titre de justice particulière, rend la société possible, et qui, à titre de justice générale ou légale, procure le bien de cette société. Or, en dehors du bien divin, objet propre des vertus théologales, rien de plus excellent que le bien de la société. Nous sommes nés pour vivre en société : or la société n’est pas possible, si chacun ne reste à sa place, si celui-ci usurpe sur les biens de ses frères, à son profit, à leur détriment. « Partout, dit le P. Janvier, où la raison nous impose le respect d’autrui, une règle dans nos relations avec lui, un sentiment vient entraver son action, ouvrir une voie à tous les crimes par lesquels en pensées, en désirs, en paroles, en actes, nous outrageons nos frères : ce sentiment, c’est l’égoïsme ou l’adoration de nous-mêmes. Il faut dans la volonté une énergie nouvelle qui l’arrache à la tyrannie de l’amour-propre, qui crée en elle une disposition inébranlable à rendre à chacun ce qui lui appartient, qui saisisse cet égoïsme farouche quand il se lève, l’oblige à courber la tête et à se sacrifier lui-même. La justice prise dans son sens le plus large, en tant qu’elle règle lotis nos rapports avec les autres êtres, remplit ce rôle.

Elle s’empare de nos sentiments intérieurs, et là, dans le sanctuaire de notre âme, dans le secret de nos pensées et de nos désirs, de nos espérances et de nos affections, elle nous contraint à respecter d’une manière rigoureuse le droit de nos frères : elle nous interdit même par une volonté, même par un jugement enseveli au fond de notre coeur, île ravir ce qui ne nous