Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée
1999
2000
J U R I E U


lents titres, mais qui forment une suite. C’est d’abord l’Histoire du calvinisme et du papisme mises en parallèle, puis Y Apologie pour la réformation, pour les réformateurs et pour les réformés, et enfin les deux volumes de l’Histoire du papisme, qui parurent au cours de 1683. En même temps Jurieu prenait à partie quelques polémistes de moindre importance, comme Brueys, qui s’étaient attaqués à l’un ou l’autre de ses ouvrages. Son activité littéraire, à ce moment, paraît vraiment prodigieuse. Mais tous ces efforts étaient vains contre la volonté bien arrêtée du roi. L’édit de Nantes était révoqué le 22 octobre 1685 et le culte réformé interdit dans tout le royaume.

Dès lors, les réfugiés affluent dans tous les pays protestants de l’Europe. Mal reçus par les luthériens, ils trouvent difficilement asile et ressources, sauf dans les pays calvinistes. Jurieu s’emploie pour eux. 11 intervient auprès de l’électeur de Brandebourg, des États de Hollande, de Guillaume d’Orange, dont il devient le conseiller, des hommes d’État anglais, qui cherchent à former et à maintenir une coalition protestante contre le France. Jurieu se met à leur service. Bien plus, au moins dès 1689, comme l’a démontré M. Dedieu, il est aux gages de l’amirauté anglaise. Il devient le chef d’une organisation d’espionnage qui doit renseigner Londres sur l’état et les mouvements de la marine française. Son activité, en ce genre de polémique, dure au moins jusqu’en 1702, époque à laquelle, semble-t-il, l’Angleterre renonça d’elle-même à ses services.

Mais il n’oublie pas l’autre polémique, sur laquelle, du reste, la première jette désormais un jour singulier. C’est à Nicole qu’il s’en prend tout d’abord. Dans les Préjugés légitimes contre le calvinisme, celui-ci avait développé avec une grande force, contre les réformés, l’argument de prescription, si célèbre depuis Tertullien. Il l’avait renforcé encore dans les Prétendus réformez convaincus de schisme (1684). Contre le premier de ces ouvrages, Jurieu avait essayé de retourner l’argument à l’adresse de son adversaire. Mais surtout, il s’efforçait de développer la thèse qui était la conséquence naturelle de la doctrine des points fondamentaux, à savoir, « que l’Église romaine ne peut prétendre être la véritable Église à l’exclusion de toutes les autres communions chrétiennes. » Toute la controverse portait donc désormais sur l’idée de l’Église et c’est sur ce point que Nicole, comme Bossuet, comme leur adversaire lui-même, vont faire porter tous leurs efforts Aussi, c’est contre les Prétendus réformez convaincus de schisme, que Jurieu écrit, en 1686, le Vrai/ système de l’Église. Il y étudie successivement son essence, sa visibilité, son étendue, son unité et son autorité. Sur ce dernier point, il revient à la doctrine qu’il avait déjà esquissée dans le Traité de la puissance de l’Église. Les communautés particulières sont à l’origine les sources uniques de l’autorité, mais celle-ci devient une autorité de droit et même de droit divin, dès qu’elle est une autorité de fait. Seulement, il y ajoute une idée nouvelle qui devait faire fortune, et dont la source, chez lui, est d’ailleurs très claire. Au moment de la révocation de l’Kdit de Nantes, les jurisconsultes protestants avaient soutenu que cet édit élait un véritable contrat passé entre la monarchie et les réformés. Jurieu s’em pare de celle idée et la généralise. Il fait (le ce contrat le principe de l’autorité dans L’Église connue dans [’État. La révolution de 1688, l’accession de Guillaume d’Orange au trône de Jacques II en vertu du consentement du « peuple » anglais, viennent le confirmer dans sa thèse, qu’il ne fera plus que développer. Nicole répondil dès l’année suivante par un fort intéressant traité in— l’unité de l’Église, il n’y montrait pas seulement la nouveauté des théories de Jurieu, mais il en Indiquai ! nettement les conséquences fatales

pour l’Église comme pour l’État. Dans l’une comme dans l’autre, c’est la porte ouverte à la révolution permanente. Mais Jurieu ne se tint pas pour battu, et, en 1688, il répondit à son adversaire par un gros volume : Traité de l’unité de l’Église et des points fondamentaux. Il ne fait qu’y développer ses théories précédentes. Ce sont elles qui l’ont fait considérer par de nombreux écrivains protestants, comme un des précurseurs de la grande Bévolution.

Son rôle comme agent de l’Angleterre et de Guillaume IV ne déteignait pas seulement sur ses conceptions dogmatiques. Pour préparer une descente de la flotte anglaise sur les côtes de France, il fallait soigneusement entretenir en France le feu qui devait éclater un jour en guerre civile, il fallait exciter sans cesse la troupe des mal convertis, de tous ceux qui avaient cédé à contre-cœur à l’édit de révocation. LesCévennes, certaines régions du midi et de l’ouest, étaient frémissantes sous le coup des moyens employés par l’autorité royale pour se faire obéir. Il fallait tout d’abord leur rendre l’espérance. A cette fin, Jurieu publie, en 1686, V Accomplissement des prophéties, où, grâce à une nouvelle interprétation de l’Apocalypse, il annonce le triomphe universel de la réforme pour l’année 1689. Il crut lui-même à la vérité de sa prédiction quand Guillaume IV prit le pouvoir, et il la défendit, même après l’échéance du terme, contre les railleries non seulement des catholiques, mais encore de ses coreligionnaires, comme Bayle, que sa politique commençait à inquiéter. Surtout, il commence la série de ses Lettres pastorales, qui devaient avoir un retentissement incroyable dans toute la France. La première, datée du 1 er septembre 1686, est dirigée contre la Lettre.pastorale de Bossuet aux nouveaux catholiques de son diocèse. Les suivantes font le récit des souffrances que subissent en France les réluctants et des miracles qui confirment leur résistance. A partir du 15 novembre 1688, six de ces lettres sont consacrées à une âpre critique de. l’Histoire des variations, qui venait de paraître, et dont le dernier livre en particulier (de l’Église) est une réfutation en règle des idées de Jurieu. Bossuet répondit par les Avertissements aux protestants, dont le ton, encore plus hautain qu’à l’ordinaire, semble indiquer qu’il soupçonnait le rôle douteux joué par son adversaire.

Il n’était pas seul à le faire. Les coreligionnaires du polémiste, réfugiés comme lui en Hollande, étaient loin d’approuver tous la politique dans laquelle il voulait engager les réformés de France. Bayle, Basnage de Beaulieu, Saurin, d’autres encore le lui firent sentir. De là des polémiques envenimées qui du reste n’intéressent pas la théologie catholique. A partir de ce moment, Jurieu ne dirigea plus contre elle que trois écrits sans conséquence. En 1689, il publiait la Religion des jésuites, contre les PP. Menestrier et Letellier. La même année, il essayait de retrouver le succès des Lettres pastorales dans une publication du même genre : Les soupirs de la France esclave. Mais l’heure était passée. Enfin, en 1699, il se mêle à la querelle du quiétisme et donne un Traité historique contenant le jugement d’un protestant sur la théologie mystique, sur le quiétisme et sur les démêlés de l’évêque de Meaux avec l’archevêque de Cambrai. Il était déjà très épuisé. Un de ses contemporains nous apprend qu’il mourut dans v l’abattement ».ll n’en avait pas moins été, pendant

I renie ans, au jugement d’un docteur de Sorbonne, l> plus terrible adversaire de la doctrine catholique ».

II mourut en 1713.

Chaufepié, Nouveau dictionnaire liistorique et critique, Amsterdam, 1 753, (article apologétique dirigé surtout contre Bayle 61 son historien Des Mai/eaux, mais capital par l’abondance et la précision de ses renseignements) ; A. Ré* belllau, BoSSlKi historien du protestantisme, Paris, 1891 ;