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JURIEU


sions parmi les réformés. Un synode de Saintonge condamna les théories de Jurieu. L’ensemble des pièces qui se rapportent à cette controverse ont été réunies par Isern, à Amsterdam, en 1695, sous le titre Recueil de divers traités concernant l’efficace et la nécessité du baptême. Le nom de Jurieu devenait ainsi populaire parmi les réformés comme celui d’un ardent controversiste.

Il allait avoir une occasion unique de suivre son penchant. La question de la réunion des Églises inquiétait alors en France tous les esprits. Chez les protestants comme chez les catholiques, dans le clergé comme dans le monde politique, c’était l’idée du jour. Pendant que, les hommes d’État, en particulier Louvois, préparaient les mesures qui devaient aboutir à la révocation de l’Édit de Nantes, les plus grands théologiens concertaient leur action. L’âme de ce concert semble avoir été Bossuet lui-même. Il avait à sescôtés Arnauld et Nicole, à qui la paix de Clément IX avait fait des loisirs, Maimbourg, qui était alors jésuite, et, parmi les laïques, Pélisson, secrétaire de l’Académie française et protestant converti. Les discussions furent amorcées par la publication de la petite Perpétuité de la foi (1664). Mais elle ne prirent une forme nette et vive qu’après la retentissante conversion de Turenne (1668). L’année 1671 voit paraître L’exposition de la doctrine de l’Église catholique sur les matières de controverse, de Bossuet, les Préjugés légitimes contre le calvinisme, de Nicole, le Renversement de la morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes touchant la justification, où Arnauld tourne contre les réformés la tactique qu’il avait employée contre les jésuites. Maimbourg donne son Traité de la vraie Église de Jésus-Christ, qui devait servir de préface à la longue série de ses ouvrages historiques.

C’est contre Arnauld que Jurieu dirige ses premiers coups avec son Apologie pour la morale des réformés (1675). Mais il n’avait pas à faire aux seuls théologiens catholiques. Il trouvait des adversaires chez ses coreligionnaires et jusque dans sa propre famille. Son oncle Louis du Moulin s’était rallié aux doctrines des indépendants et avait publié en leur faveur différents ouvrages sur l’organisation et la discipline de l’Église. En 1676, il faisait paraître son Fasciculus epistolarum, qui développait et prônait une fois de plus les idées indépendantes. Jurieu voulut faire face des deux côtés à la fois et composa un Traité de la puissance de V Église (1677), qui s’attaque tout à la fois aux doctrines de du Moulin et à celles de Bossuet et de Maimbourg. Du Moulin disait : De quel droit Calvin attribue-t-il une autorité quelconque aux synodes, en particulier le pouvoir d’excommunication ? Bossuet et Maimbourg demandaient : Comment les calvinistes, qui admettent l’unique autorité de l’Écriture, font-ils cependant les synodes juges en dernier ressort du sens de l’Écriture ? Et Jurieu répondait : L’Église n’est que la confédération des Églises particulières. Celles-ci choisissent à l’origine la forme de gouvernement qu’il leur plaît. Ce gouvernement n’est donc pas de droit divin. Mais, le choix une fois fait, on doit obéir de droit divin à ce gouvernement, encore qu’il ne découle pas immédiatement de Dieu. Sous toutes ces subtilités transparaît le désir évident de garder, à la hiérarchie instituée par Calvin, ce droit divin qu’on ne sait d’où faire sortir.

L’Exposition de Bossuet avait eu un tel retentissement que Jurieu voulut s’attaquer directement à lui. Il le fit dans le Préservatif contre le changement de religion, qui parut cette même année 1677. Il suivait chapitre par chapitre l’œuvre de son adversaire. L’effort de celui-ci avait été de montrer qu’en fait les deux doctrines, la catholique et la réformée, n’étaient pas aussi éloignées l’une de l’autre que les passions et les préjugés pouvaient le faire croire. Au contraire

l’effort de Jurieu va tout entier à élargir et approfondir le fossé entre les deux doctrines, en ressassant sur tous les points l’accusation d’idolâtrie. Mais malgré son succès, le Préservatif n’empêchait pas les conversions des réformés. Quelques mois après sa publication, à la suite de la célèbre Conférence entre Bossuet et le ministre Claude, la propre nièce de Turenne, Mademoiselle de Duras, passait au catholicisme.

Ces succès encourageaient et enhardissaient les catholiques, le clergé aussi bien que les hommes d’État. Un peu partout, le clergé entamait des actions judiciaires contre les réformés qui avaient outrepassé les édits ou semblaient l’avoir fait. Toute une série d’ordonnances politiques venaient appuyer les argumentations théologiques. L’état créé par toutes ces mesures devint l’objet des préoccupations de Jurieu, qui y consacra toute une série d’écrits publiés sous le voile d’un anonymat d’ailleurs fort transparent. C’est, en 1681, la Politique du clergé de France, en 1682, les Derniers efforts de l’innocence affligée, tous deux de Jurieu, bien que, dans le dernier ouvrage, l’auteur déclare ne pas connaître celui du premier. Un peu plus tard paraît, la Lettre de quelques protestants pacifiques au sujet de la réunion des religions. Il est du reste fort douteux qu’elle soit de Jurieu. Elle est adressée à « Messieurs du clergé de France, qui se doit tenir à Saint-Germain en Laye, au mois de mai 1685. » Enfin Jurieu donne, en 1685, les Réflexions sur la cruelle persécution que souffre l’église réformée en France. Dans tous ces ouvrages, il relève les faits de pression matérielle ou morale destinés à ramener les réformés à l’Église catholique. Une longue période de paix avait relâché l’observation des règles auxquelles était soumis le culte protestant. Un retour à ces règles paraissait à Jurieu la violation de la justice elle-même.

Cependant, un changement important s’était opéré dans sa vie. Le 9 juillet 1682, l’Académie de Sedan, avait été fermée par ordre du roi ; Jurieu reçut un appel de l’Église réformée de Rouen. Il n’y répondit pas. Il se savait surveillé de près par la police du roi, qui le soupçonnait d’être l’auteur de la Politique du clergé. Il préféra se rendre aux Pays-Bas, où commençaient à affluer les réfugiés français. Il y fut aussitôt nommé professeur à l’université de Rotterdam et ministre de l’Église wallonne. Il n’en continua pas moins sa polémique contre les théologiens français, en particulier contre Arnauld, qui, par une ironie singulière, venait d’être obligé de quitter la France pour cause de jansénisme et s’était réfugié dans les Flandres. Contre la deuxième édition considérablement augmentée de la Perpétuité de la foi de l’Église romaine touchant l’eucharistie, Jurieu publie, en 1682, l’Examen de l’eucha rislie de l’Église romaine. Mais Arnauld avait aussi publié, à Liège, une Apologie pour les catholiques contre les faussetés et les calomnies d’un livre intitulé : la Politique du clergé de France (1681-1682), où il signalait que les protestants, en particulier les protestants anglais, s’étaient montrés beaucoup plus durs à l’égard des catholiques que le clergé de France à l’égard des réformés. Presque en même temps paraissaient ses Réflexions sur un livre intitulé Préservatif contre le changement de religions. Jurieu répondit à ces attaques par deux ouvrages que ses coreligionnaires eux-mêmes sont loin de considérer comme des modèles de modération et de bonne foi : Le janséniste convaincu de vaine sophistiquerie (1683) et L’esprit de M. Arnauld (1684). Ce dernier, particulièrement, dépasse les bornes permises.

Il revint à un ton plus digne et à des procédés d’une polémique plus élevée pour répondre à Maimbourg, qui avait donné en 1680, l’Histoire du luthéranisme, et en 1681, l’Histoire du calvinisme. Jurieu lui répondit par un ouvrage en quatre volumes qui portent dilïé-