Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée
1993
1994
JURIDICTION, SOURCE ET ETENDUE DU POUVOIR


gouvernement ecclésiastique et existe non seulement pour administrer les sacrements, mais encore pour porter des lois, juger et punir.

Voici ce que dit à ce sujet saint Thomas : « L’Église est la société des lidèles. Or il y a deux sortes de sociétés humaines : les groupements économiques ou domestiques par exemple la famille, les groupements politiques, telle la nation. Or l’Église est assimilable aux groupements politiques. L’Église n’est-elle pas appelée un peuple ? Quant aux divers couvents et aux diverses paroisses d’un diocèse il faut les assimiler soit aux familles, soit aux diverses organisations. Et c’est pourquoi l’évêque seul est proprement prélat de l’Église, c’est pourquoi lui seul reçoit l’anneau nuptial de l’Église, c’est pourquoi lui seul a plein pouvoir pour la dispensation des sacrements, pleine juridiction à son for, tout de même qu’un personnage officiel, quasi persona publica. Les autres n’ont ces pouvoirs que pour autant qu’il les leur commet. » In IV.um Sen(., dist. XX, a. 4, sol. t.

11 importe toutefois de remarquer ici que ces paroles doivent s’entendre avec la limitation qu’implique nécessairement la particularité et la subordination du pouvoir épiscopal.

Tout d’abord sont exemptés de la juridiction particulière des évêques toutes les causes qui concernent. l’ordre de l’Église universelle ou qui ont avec cet ordre une connexion intime et qui, pour cette raison, sont appelés causes majeures. Celles-là appartiennent de droit au Siège apostolique. Les prescriptions du droit canonique l’établissent et la raison elle-même montre que, dans toute société bien ordonnée, les affaires qui intéressent le bien commun de tout l’État sont toujours dévolus au pouvoir suprême.

11 en est de même de toute matière que le souverain pontife règle lui-même ou s’est réservé. Il est certain qu’il peut soustraire à la juridiction des évêques certaines choses ou certaines personnes qui autrement y appartiendraient. Car bien que, de droit divin, les évêques soient les pasteurs ordinaires du troupeau qui leur a été confié, leur pouvoir cependant peut souffrir certaines restrictions qui ne l’empêchent nullement d’être le pouvoir de paître le peuple de Dieu.

Excepté le pontife romain, aucun évêque n’a, de droit divin, juridiction sur les autres évêques. Tous les degrés de juridiction patriarcale, primatiale ou archiépiscopale, ne sont considérés que comme des participations de la primauté de saint Pierre.

L’épiscopat en effet, n’est autre chose que le collège apostolique continué à travers les siècles jusqu’à la fin du monde. Or, dans le collège apostolique il n’y eut aucune supériorité établie par le Christ, en dehors de celle de Pierre. Donc, dans le corps épiscopal, aucun évêque n’a sur un autre évêque un pouvoir issu de l’institution du Christ, si l’on excepte la supériorité du pontife romain, chef suprême de l’Église. Et, de fait, la juridiction des patriarches a pratiquement cessé dans l’Église. Donc elle n’était pas de droit divin, car il est impossible de voir cesser dans l’Église ce qui est d’institution divine.

Il en est de même des autres degrés existant dans l’ordre épiscopal, comme celui des primats et des archevêques. Tous tirent théoriquement leur origine de l’autorité de Pierre ou de ses successeurs, quoi qu’il en soit d’ailleurs des circonstances historiques où les diverses juridictions superposées ont pris naissance. Chose intéressante, la théorie est déjà formulée avec quelque précision par le pape saint Léon dans une lettre à Anastase, évêque de Thessalonique. On sait que depuis le début du ive siècle, le Saint-Siège s’efforçait de faire de l’évêque de cette ville son vicaire attitré pour les provinces de l’Illyricum, que les événements politiques tendaientde plus en plus à séparer du ressort

patriarcal romain. Les diverses instructions adressées à Anastase par saint Léon constituent un code complet des devoirs et des droits du vicaire pontifical. Voir S. Léon, Epist., v, vi, xiv. Cette dernière exprime au mieux les raisons théoriques de ces droits et de ces devoirs : « La liaison de toutes les parties du corps (de l’Église) en fait la santé et la beauté ; cette liaison de tout le corps requiert une âme unique (unanimitatem), surtout elle exige la concorde des évêques (sacerdolum). Tous, il est vrai, ont même dignité, mais non le même rang (non est tamen ordo generalis). Déjà entre les bienheureux apôtres, lesquels avaient similitude d’honneur, il y eut différence de pouvoir (discretio potestatis) ; tous avaient été également élus, un seul pourtant reçut la prééminence sur les autres. C’est le modèle d’où est dérivée la distinction des évêques. Avec grande sagesse il a été prévu que tous ne revendiquent pas tous les droits, mais que, dans chaque province, il y eut un évêque dont la décision (sententia) fit prime sur celle de ses frères. Finalement certains évêques, dans les plus grandes villes, reçurent une part plus grande au gouvernement (sollicitudinem ampliirem), par eux les soucis entraînés par le gouvernement de l’Église conflueraient à l’unique siège de Pierre, et nul ne se soustrairait à la tête (et nihil usquam a suo capite dissideret). P. L., t. liv, col. 696.

Au second concile de Lyon, tenu en 1274, les grecs souscrivirent la profession de foi envoyée par Grégoire X, où l’on relève le passage suivant : « De ce pouvoir suprême (qui appartient à l’Église romaine), découle le droit pour elle d’appeler d’autres Églises à partager ses préoccupations gouvernementales ; à beaucoup de ces sièges principalement aux sièges patriarcaux, cette Église romaine a conféré divers privilèges, mais en sauvegardant toujours, tant dans les conciles généraux, que dans plusieurs autres, ses propres préro—’gatives. » Denzinger-Bannwart, n. 466.

4° En dehors des évêques, personne n’appartient à la hiérarchie de juridiction divinement instituée dans l’Église. Il n’y a, en effet, à appartenir à cette hiérarchie que ceux qui gouvernent dans l’Église avec une juridiction propre et ordinaire. Or les évêques sont les seuls à réaliser cette condition. Si un doute pouvait surgir à cet effet, ce serait au sujet des cardinaux, des prélats réguliers ou des curés.

Or les cardinaux, en tant que tels, n’ont point un pouvoir distinct de celui qui est propre au souverain pontife dont ils sont les conseillers et les aides dans le gouvernement de l’Église universelle. On connaît leur rôle pendant la vacance du siège pontifical et pour l’élection du nouveau pape. Ils ne constituent pas un ordre auquel appartienne une juridiction propre, et ne présentent aucun titre à une institution divine.

Si l’on passe des cardinaux aux prélats réguliers, le doute a encore moins de consistance. Le pouvoir de ces derniers est de deux sortis : l’un est dominatij et l’autre de juridiction. Le premier appartient à l’ordre domestique ou économique ; c’est le pouvoir du maître sur son serviteur, du père sur son fils. Le pouvoir de juridiction consiste dans la faculté de réserver des cas, de contraindre par l’excommunication et autres censures ecclésiastiques, et de poser certains autres actes qui sont propres aux évêques. Mais il est évident que ce pouvoir n’est nullement de droit divin, car si l’état religieux est d’institution divine et doit toujours durer dans l’Église, il n’est nullement dans son essence que le pouvoir des clefs réside dans les supérieurs réguliers. En d’autres termes, le pouvoir dominatif pourrait exister chez les abbés et autres prélats réguliers sans le pouvoir de juridiction.

L’état religieux peut parfaitement exister avec le seul pouvoir dominatif, comme il résulte des monastères de moniales. Les moniales, en effet, n’ont aucune