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1989 JURIDICTION. OBJET OU MATIÈRE DE CE POUVOIR DANS L’ÉGLISE 1990

ou est appelé. Il y a là évidemment matière à bien des appréciations personnelles. Saint Thomas, précisant encore davantage dit, en présentant un exemple typique, que le meilleur évêque à choisir est celui qui paraît le plus apte à gouverner telle Église. « Le ministère ecclésiastique n’est pas confié aux hommes pour leur assurer la rémunération du siècle à venir. Et dès lors celui qui doit choisir quelqu’un comme évêque n’est pas tenu de choisir celui qui est, absolument parlant, le meilleur suivant l’ordre de la grâce sanctifiante mais celui qui est le meilleur pour le gouvernement de l’Église, capable de l’instruire, de la défendre, de la gouverner pacifiquement. » Sum. theol., lia lise, q. clxxxv, a. 3.

V. Objet ou matière du pouvoir de juridiction dans l’Église. — 1° Distinction entre le (or externe et le for interne. — Dans toute l’étendue du pouvoir des clefs institué par le Christ, dit le cardinal Billot, il faut distinguer un double mode de juridiction, suivant que, dans l’exercice de sa juridiction, l’Église joue le rôle de cause principale ou bien celui d’instrument de Dieu. Le premier mode consiste d’abord et principalement à lier, et bien qu’il s’étende à toute matière dont l’enchaînement conduit à la fin du royaume des cieux, directement cependant et en soi il vise les seuls actes externes. Le second mode contribue surtout à délier, non pas assurément des lois divines soit naturelles soit positives, mais seulement des attaches, encore naturellement susceptibles -d’être brisées, que des particuliers ont contractées par leurs propres actes, un for même de Dieu. De Ecclesia Christi, Rome, 1903, p. 466.

C’est exprimer, d’une autre manière, la distinction entre le for externe et le for interne. L’Église a un for à elle, extérieur et public, comme la société civile possède le sien. Mais, outre ce for, il y a le for de Dieu ; c’est le for intime, ou le for de la conscience. Dans le for de Dieu règne la loi divine comme telle et en sont contractées les obligations ; là également s’encourt la responsabilité morale et se contracte la culpabilité entraînant les peines de la vie future.

L’Église a juridiction tant au for externe qu’au for interne, mais d’une manière différente. Dans le premier cas, elle agit comme cause principale et son rôle consiste surtout à lier ; dans le second cas, c’est comme cause instrumentale, et alors sa mission principale est de délier. Elle a la pouvoir de lier tout ce qui peut l’être sur la terre pour atteindre la fin du royaume des cieux, et cela dans les limites assignées, en tout ordre, à un législateur humain. Billot, op. cit., p. 470. C’est le sens de la célèbre parole de Notre-Seigneur à saint Pierre : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aux cieux. » Matth., xvi, 18.

Son pouvoir de délier, s’exerce non pas évidemment sur les lois divines dont aucune autorité humaine ne saurait exempter, mais uniquement sur les liens contractés par les individus à raison de la loi divine. Des obligations sont assumées à cause de la soumission à la loi, ou des fautes sont commises par la violation de cette même loi ; c’est un double lien qui enchaîne l’individu, sans qu’il lui soit possible de s’en dégager de lui-même. L’Église, agissait comme instrument de Dieu, vient l’en délivrer, et c’est le principal objet de son pouvoir de juridiction ministérielle. Billot, op. cit., p. 475.

Objet de la juridiction au for externe.

Cette juridiction

se présente sous un triple aspect. Le titulaire de la juridiction dans l’intérêt commun du groupement qui lui est confié porte des lois ; de ces lois il surveille l’exécution, il est dès lors amené à juger soit les cas litigieux que soulève l’application des lois, soit les individus qui ont contrevenu aux règlements

portés ; ces jugements il doit les faire exécuter. Ainsi la juridiction se ramifie en un triple pouvoir : législatif, judiciaire, coercitif. Nous le considérerons ici comme étant le pouvoir général de l’Église, quoi qu’il en soit des personnes en lesquelles réside ce pouvoir.

1. Pouvoir législatif de l’Église.

Il a pour objet tant les choses concernant la foi et les mœurs, que les questions de discipline. Mais dans les choses de foi et de mœurs, l’obligation de la loi ecclésiastique vient se joindre à l’obligation de droit divin ; en matière de discipline, toute l’obligation est de droit ecclésiastique. Toujours cependant le privilège de l’infaillibilité accompagne l’exercice du pouvoir législatif suprême de l’Église. Celle-ci, en effet, par suite d’une assistance spéciale de Dieu, ne peut jamais établir ou approuver une discipline qui serait radicalement opposée aux règles de la foi et de la sainteté de l’Évangile. La question du pouvoir législatif est traitée en détail à l’art. Église t. iv, col. 2200 sq.

2. Pouvoir judiciaire.

L’existence d’un tel pouvoir ne saurait être contestée que par ceux qui dénient, à l’Église le caractère de société parfaite ; ce droit est la conséquence naturelle du pouvoir législatif. Dès là qu’une société est investie du droit de porter des lois, elle est par le fait même obligée de juger. Une première forme de jugement est celle qu’on peut appeler la forme répressive ou pénale. Dès qu’une loi portée par l’autorité supérieure est transgressée, il y a lieu de punir ou de réprimer l’auteur de la transgression. Sommaire ou compliquée, expéditive ou prolongée, une procédure est nécessaire, qui montre d’abord la culpabilité de l’accusé, que lui applique ensuite la sentence convenable. Une seconde forme de jugement est celle que l’on peut appeler contentieuse. De leur nature les lois sont générales, elles ne peuvent viser la complexité de cas particuliers ; une déclaration de l’autorité sociale est nécessaire pour montrer quelle loi, ou quelle combinaison de textes /égislatifs, doit jouer dans un cas déterminé. Les lois sont multiples, elles peuvent se trouver, à un moment déterminé, en conflit apparent ; il y a lieu de trancher le différend qui semble ainsi s’élever. Les sociétés, même imparfaites, sont déjà amenées par la force des choses à ébaucher, pour leur usage privé, un commencement d’organisation judiciaire. Un syndicat, un club, comme il a ses lois, a ses tribunaux spéciaux, au besoin son jury ; comment l’Église, société parfaite, n’aurait-elle pas songé dès le début de son existence à organiser, en son sein, une administration judiciaire’?

En fait dès les premières années de son existence, on lui voit rendre non seulement des jugements doctrinaux, mais de véritables sentences judiciaires. Le cas de saint Paul, condamnant à distance l’incestueux de Corinthe est le premier type d’un jugement pénal, I Cor., v, 1-5 ; la prescription qu’il fait aux néophytes de soumettre leurs différends à l’arbitrage de leurs frères et, sans doute, à celui des dirigeants de la communauté nous fournit un type de juridiction contentieuse, I Cor., vii, 1-8. L’histoire des conciles offrirait un nombre incalculable d’exemples de jugements ecclésiastiques ; les cas d’espèces, les questions de culpabilité de telle ou telle personne, les différends entre prélats, entre autorités ecclésiastiques et pouvoirs laïques qui se croient, à tort ou à raison, lésés par celles-ci, les contestations mêmes entre laïques sur des points qui touchent de près ou de loin aux questions religieuses, tout cela a tenu dans les assemblées ecclésiastiques, imposantes ou restreintes, une place beaucoup plus considérable que les décisions doctrinales, morales ou disciplinaires. Les conciles furent, dans le passé, des assemblées judiciaires autant et plus que des assemblées législatives.

Nous n’avons pas à faire ici l’histoire des inslitu-