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JOB (LIVRE DE). THÉOLOGIE, LES NOMS DIVINS


absolu individualisme. Il est simplement possible que l’auteur y ait songé. En tout cas la solution qu’il donne en réalité de la question du pourquoi de la souffrance du juste peut valoir du peuple aussi bien que de l’individu. Budde, ibid., p. xlviii-xlix.

L’idée exposée plus haut dans l’analyse du livre, que Dieu éprouve le juste par la souffrance afin de le purifier du péché intérieur d’orgueil, est donc bien l’idée principale du récit, qui s’exprime clairement et explicitement dans les discours d’Elihu. Ces discours, généralement considérés par les critiques modernes comme interpolés, sont authentiques (voir plus loin) ; mais il est tout à fait remarquable que la même idée ressort de tout l’ensemble du livre abstraction faite de l’intervention et des discours d’Elihu. Budde, cité déjà plusieurs fois, l’a, croyons-nous, victorieusement démontré depuis 1876 en divers articles et dans son plus récent commentaire de Job, Gœttingue, 1913 (l te édition, 1896), spécialement Einlcitung, p. xl-xlv. Il apparaît clairement, dès le début et à la fin de l’action déroulée par l’auteur, que Job, assurément innocent et incapable de toute mauvaise action, pourrait bien cependant, et finalement a dû pécher en paroles désagréables ou même offensantes à Dieu. Deux fois, à la suite des deux premières épreuves, i, 22, et ii, 10. on observe que Job « ne pécha point en ce qu’il dit, » ou « par ses lèvres. » Après le discours de Dieu, il est reconnu et par Dieu et par Job lui-même, xl, 2, 8-9, 10-14, et xl, 4-5 ; xlii, 2-6, que ce dernier a péché en ses paroles, puisqu’au surplus il « s’en repent » et promet de « ne plus parler (ainsi) une seconde fois. » Or, attaqué dans sa justice par ses amis sitôt les premiers mots de l’entretien, et longuement encore au cours de celui-ci, Job n’a fait que protester de son innocence sous des formes diverses. S’il se trouve à la fin avoir péché, ce ne peut être que dans la défense même de sa justice. D’autre part, si le récit dans sa totalité contient quelque logique, la nature du péché de paroles de Job doit être celle même escomptée par le sâlân, i, 11 ; il, 5 : « Étends la main — dit-il à Dieu — et (tu verras) s’il ne te maudit pas en face. » Et en effet, si Job ne maudil pas Dieu, du moins murmure-t-il contre lui ; il tient pour injuste ce qui lui arrive ; il irait en définitive jusqu’à s’estimer lui-même plus juste que Dieu : ses attaques ne sont un peu adoucies que par l’état d’extrême perplexité où il se trouve manifestement à raison de sa conviction antécédente, qu’il lui coûte d’abandonner, de la parfaite justice de Dieu. Ses discours sont donc pour une bonne part révolte contre la divine Providence, orgueil de sa propre vertu, misérable égoïsme, comme l’avait deviné le sûr instinct du sâlân « l’accusateur ». Et c’est là une faute qui ne peut passer pour trop vénielle, encore qu’intérieure et amenée par la souffrance et par les injustes soupçons des amis ; car une telle faute commise par le plus juste des hommes — qui la redoutait jusque dans ses enfants, i, 5 — doit avoir dans sa conscience quelque relief. Dans la « confession négative » qu’il fait au c. xxxi, avant son outrecuidante citation à Dieu, 35-37, Job connaît de tels péchés qui sont tout entiers dans une simple disposition du cœur et que néanmoins il abjure avec serinent :

« Si j’ai fait de l’or mon espérance,

Si j’ai dit de l’or fin : tu as ma confiance ;

Si j’ai eu joie que mon bien s’arrondît.

Et que ma main en acquît du pouvoir…

Ce fut là péché que doit punir le juge,

Car j’aurais menti au Dieu très haut. xxxi, 2t-25, 28.

Elle est donc aussi digne de châtiment, la confiance aveugle de Job en sa propre justice… Mais ce juste n’en avait pas encore conscience, car il l’oublia dans l’énumération… Il s’aperçoit enfin qu’il est tombé dans le piège. Aussitôt il se repent et vient à rési piscence. Dieu lui rend sa grâce et plus larges béné" dictions qu’auparavant, xlii, 12 ; c’est donc que sa faute est pardonnée, effacée, et qu’il se trouve maintenant plus juste que jamais ; sans compter que son pouvoir d’intercession apparaît grandi, xlii, 7-10, comparé à i, 4-5. Et c’est donc aussi qu’il doit bénir la souffrance et l’épreuve qui l’ont amené à ce résultat malgré son aveuglement passager :

« J’ai discouru sans discernement

De mystères dont je ne savais rien… »

De quels mystères, sinon de ceux qui font l’objet des discours : ceux que suppose la souffrance du juste…

Ainsi ressort la trame de tout le livre : il existe un juste, Job. Sa justice est-elle parfaite ? Jahvé le sait. Assurément Job, au jugement divin « n’a point son égal sur la terre » à ce point de vue, i, 9 ; mais ce jugement est tout relatif, et ce n’est certes pas sans intention que Jahvé appelle l’attention de 1’ « accusateur » sur son « serviteur. » Les vues du sâtân sont un peu courtes, mais elles ne sont pas inexactes : dans la « perfection » de Job il est une fissure. Laquelle ? Les événements le montreront, conduits par la divine Sagesse, plus élevée et plus pénétrante que la sagesse humaine ou que celle de Satan. Le moyen de la découvrir ? La ruine, la souffrance, lesquelles, considérées jusqu’alors comme peines vindicatives du péché commis, obtiennent déjà un rôle et une valeur diagnostiques insoupçonnés. Mais la pensée du sâtân n’est assurément pas que de telles peines en même temps que révélatrices deviennent curalives, et que Job en récolte finalement un accroissement de justice, de biens et de bonheur. C’est, au contraire, celle de Dieu, qui, 1’ « accusateur » une fois, deux fois confondu, se réserve la troisième intervention, et par le moyen de l’ardente discussion entre Job et ses amis fait percer le mal caché et découvrir du même coup la raison providentielle des épreuves du juste.

Cf. les auteurs catholiques cités dans Dictionnaire de la Bible, Paris, 1912, t. iii, col. 1570.

III. Théologie.

Au sens le plus strict du mot, le livre de Job est tout théologie ; car il y est sans cesse parlé de Dieu soit par la bouche divine elle-même, soit par Job et par ses amis ; sans préjudice du bref récit où, comme on l’a vii, Jahvé dispute à Job le premier plan, au moins dans l’intention de l’auteur. L’Etre divin s’y trouve manifesté par ses noms divers, par ses attributs, par ses œuvres, par ses rapports avec l’humanité dont il pénètre la vie et rémunère l’action consciente en tout mystère et en toute sagesse. Il y a sa cour de justice.

1° Les noms divins. Le nom hébraïque veut être la plupart du temps description de l’être. Malheureusement les divers noms divins usités dans la Bible n’ont pas tous de signification certaine. Il faut dire toutefois que l’auteur du livre de Job établit comme une distinction entre ceux qu’il emploie. Dans les parties proprement narratives figure celui de Jahvé. Mais sur les lèvres des interlocuteurs, dans le dialogue, on ne trouve que les noms généraux de El, Eloah, Elohim, et celui de l’époque patriarcale, Ex., vi, 3, Schaddaï. C’est que Job, ses amis, Elihu, sont étrangers au peuple juif, et sont censés ne pas connaître la divinité sous son nom propre et national de Jahvé. Quelques cas parti culiers qui paraissent déroger à cette règle, tels que i, 21 ; xii, 9 (Jahvé) : xxviii, 28 (Adonaï— Jahvé), doivent sans doute être considérés comme des lapsus calami, ou plus vraisemblablement comme de légères altérations du texte.

2° Les attributs divins. Grandeur, puissance et majesté, sagesse et justice : tels sont les attributs de Dieu que mettent principalement en relief les discours