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JULIEN L’APOSTAT, ACTION RELIGIEUSE


détruits, il ne cesserait pas de les persécuter et ne laisserait pas les chrétiens garder leurs têtes sur leurs épaules. Par bonheur, la mort rapide de Julien délivra les habitants de cette terreur.

Dans son expédition contre les Perses, l’empereur, ayant besoin d’argent, résolut de s’en procurer aux dépens des chrétiens ; il imposa une amende en argent aux chrétiens des pays traversés par lui, qui refusaient de sacrifier aux dieux ; l’amende fut calculée suivant la fortune de chacun et exigée avec rigueur.

Les violences étaient plutôt rares et modérées dans les provinces occidentales de l’empire, éloignées de Julien, de Constantinople et d’Antioche, et libérées bientôt par la mort du restaurateur du polythéisme. Elles se sont exercées surtout en Orient, dans les provinces soumises plus directement à l’action personnelle de Julien. Parfois aussi, dans les villes, les gouverneurs et les magistrats, et aussi les habitants, sûrs de l’impunité, faisaient du zèle, et outrepassaient les ordres de l’empereur, déjà sévères ; l’autorité imposait ou exigeait des amendes illégales, ou encore employait les châtiments corporels ; la populace païenne abattait les signes du christianisme, s’emparait des églises, attaquait la population chrétienne, détruisait les tombeaux des martyrs, se livrait aux diverses impulsions de sa haine, en croyant servir l’empereur.

Tel est le tableau abrégé de la persécution de Julien, que l’on appellera mieux la politique suivie par Julien à l’égard du christianisme, politique qui consiste en une série de mesures législatives et d’actes administratifs. Comme le dit Rufin, Julien « faisait chaque jour des progrès dans l’art de trouver des mesures sournoises et habiles, qui ne présentassent rien de cruel. » Rufin, H. E., i, 31, P. L., t. xxi, col. 502.

Dès lors, et quoique bien des chrétiens aient perdu la vie pour leur foi, le nombre des martyrs proprement dits est fort restreint pour le règne, d’ailleurs très court, de Julien. On peut citer : Eupsychius et Damas, à Césarée ; Eusèbe, Nestabe et Zenon, à Gaza ; Marc, évêque d’Aréthuse, le sauveur de Julien ; Juventin et Maximin, soldats, Artémius, et Théodoret, prêtre, à Antioche ; Émilien, soldat, à Durostorum (Silistrie) ; Macédonius, Théodule et Tatien, à Mère en Phrygie ; Cyrille, diacre, a Héliopolis ; les deux frères Jean et Paul, à Rome, etc.

Conclusion. — La tentative de Julien pour restaurer le polythéisme avait pour elle les chances suivantes :

Quoique affaibli, le polythéisme vivait et résistait, et l’on pouvait espérer de sauver le malade.. Il avait pour lui : le droit de prescription, acquis depuis bien des siècles ; la tradition nationale, avec la routine et l’habitude si puissante dans le peuple. Les temples, fermés, demeuraient debout pour la plupart, et aussi les idoles sur leurs stèles ; ces monuments rappelaient aux yeux et aux esprits un passé récent que beaucoup avaient VU..Malgré les édils des empereurs chrétiens, plusieurs de ces temples demeuraient ouverts, et l’on y offrait des sacrifices avec la connivence des autorités locales. Le polythéisme avait pour lui le prestige de ce que nous appelons la civilisation : lettres, sciences, arts, législation, constitution et organisation, éducation et instruction, famille et société ; l’humanité avait grandi et fleuri avec le culte des dieux, dont sa vie était inséparable. La moitié des habitants de l’empire devaient encore être païens et constituaient un point d’appui important ; beaucoup, parmi les chrétiens, étaient des convertis, qui, peut-être reviendraient au culte de leur jeunesse, l.e polythéisme avait eu contre lui le pouvoir impérial depuis Constantin ; niais il l’aurait maintenant pour lui, et les Innombrables tentacules de ce pouvoir iraient partout saisir les citoyens. Enfin, le christianisme se trouvait déchiré

par des divisions intestines, qui le rendaient vulnérable.

Justement surgissait au moment fatidique l’homme prédestiné au succès de l’entreprise par ses capacités, sa volonté et sa foi païenne. Seul Auguste, Julien mettait sa souveraineté absolue et sa personne au service des dieux. Il avait pour lui le prestige de la victoire, l’habileté, le talent, la jeunesse, la noblesse du sang ; il se croyait fermement appelé par le ciel à cette œuvre nouvelle, avec une confiance inébranlable dans le succès. Il était versé dans les doctrines philosophiques, pratiquait les vertus morales, était familier avec tout le polythéisme, jusque dans ses rites les plus secrets. Comme il avait l’expérience personnelle du christianisme, il pouvait le combattre d’autant plus facilement, et en même temps lui emprunter ses éléments de vitalité, qu’il infuserait au polythéisme.

— Et cependant, Julien a échoué complètement et immédiatement ; son cadavre n’était pas refroidi que son armée, si fidèle et si païenne, passait au christianisme.

La tentative de Julien n’a été qu’une suite d’erreurs. Avant le christianisme, un souverain pouvait introduire dans ses États une religion obligatoire pour tous les citoyens ; mais le christianisme avait libéré de cette tyrannie la conscience humaine. Sans doute, Julien se croyait choisi par les dieux et envoyé par eux sur la terre pour accomplir sa mission ; mais ses sujets ne le croyaient pas, et il ne pouvait les en convaincre. Le polythéisme ne pouvait donner à l’empire les trois choses les plus augustes du monde : la vérité, la religion, et la vertu ; le polythéisme n’avait rien à enseigner comme vérité religieuse et ne prétendait à aucune influence moralisatrice ; les esprits païens, cultivés, réfléchis, se détournaient de lui et le dédaignaient. Julien s’est trompé en confondant la philosophie avec la religion. Il s’est trompé en essayant de renouveler, par une allégorie quelconque, une mythologie usée, fabuleuse, bizarre, puérile, qui était une régression sur le sentiment monothéiste des penseurs païens et sur le monothéisme trinitaire des chrétiens. Julien s’est trompé, en s’imaginant que son polythéisme irait au cœur du simple citoyen, de l’artisan, de l’agriculteur, du commerçant, de l’esclave ou du serviteur, en un mot de ces hommes qui vivent, en nombre immense, dans un coin obscur de ce monde. Elevé dans les palais, les livres et les écoles, empereur philosophe, dilettante de littérature, de philosophie, de religion, Julien ignorait complètement l’âme du peuple, ainsi que ses besoins moraux et religieux ; y a-t-il, dans toute l’œuvre de Julien, une seule parole pour la classe sociale, que nous appelons « le peuple » ’? Julien s’est trompé en croyant qu’il pouvait emprunter au christianisme ses éléments vivifiants pour les transporter tels quels dans son polythéisme. Si le christianisme venait de Dieu et que Dieu eût déposé en lui un principe de vie et de mouvement, ce n’était pas un homme, pas même l’empereur, qui pouvait le lui ravir ; ce n’était pas non plus l’imitation pure du christianisme, l’adoption de ses formes extérieures et administratives qui pouvait infuser la vie divine dans le néo-paganisme de Julien.

Il ne faut pas s’étonner de l’aveuglement de Julien. Homme d’action et d’intelligence, brillant par bien des côtés, Julien aurait pu être un excellent empereur, s’il était demeuré exclusivement homme politique. Malheureusement, il portait dans son espril une infirmité de naissance, ou plutôt d’éducation : il était incapable de raison et de raisonnement, quand il fallait approfondir des questions de philosophie, de morale, et de religion, eu saisir les causes dernières, et se former une conviction lumineuse et assise. Cette infirmité apparaît dans toute l’œuvre de Julien. Aussi