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JULIEN L’APOSTAT, ACTION RELIGIEUSE


linguistique. Les mots païen et paganisme sont latins et tardifs ; ils n’ont pas d’équivalents en grec. Déjà dans les Septante, le mot "EXXtjv et d’autres mots dérivés du même radical désignent tous les non-juifs, avec leurs coutumes et surtout leur polythéisme, par opposition aux juifs et à leur monothéisme. A l’époque où nous sommes, l’antithèse existe maintenant entre les chrétiens et les non-chrétiens. Ce qui est grec se confond avec qui est païen : les païens de l’empire de Julien sont appelés couramment "EXXr/Keç.’EXXrjViaTaî, ’EXXtjvISeç, avec l’adjectif’EXXtjvwoç pour les choses, et le substantif ô’EXXyjvicjj.ôç pour désigner le paganisme. Cet usage existe et chez Julien et chez ses contemporains. C’est à cet Hellénisme païen, sectaire, étroit, que correspondent les mesures précédentes de Julien et son traité Contre les chrétiens.

3. Mesures relatives à l’enseignement.

On ne pouvait penser à ramener au paganisme, par l’enseignement, les personnes avancées en âge et affermies dans la foi. Mais on pouvait agir sur la jeunesse, en la soustrayant à influence chrétienne, en la soumettant à une influence païenne, douce et continue, par l’enseignement ; on attacherait ainsi au culte des dieux les enfants et les jeunes gens de familles païennes ; on inclinerait agréablement vers le paganisme l’esprit des enfants chrétiens ; on préparerait enfin des générations nouvelles bien disposées pour la restauration que Julien entreprenait. Que fallait-il faire pour cela ? Toute l’instruction se donnait au moyen de la littérature païenne, devenue classique ; il fallait donc mettre d’accord les livres et les maîtres, faire donner par des maîtres païens cette formation intellectuelle puisée uniquement dans les auteurs païens, et établir ainsi l’unité païenne dans l’enseignement de toute la jeunesse. Ce calcul était logique, et il était confirmé dans la pensée de Julien par son expérience personnelle ; c’étaient la littérature païenne et la philosophie païenne, enseignées par des maîtres païens, qui l’avaient sollicité d’abord et ensuite tourné complètement au paganisme, malgré les précautions prises et les défenses de Constance. Le moyen était donc efficace.

Dans une loi de juin 362, Julien déclare que la nomination des maîtres et des professeurs sera faite, dans chaque cité, par le sénat local ; mais que la nomination sera soumise à son approbation. Par là-même Julien se réservait de n’agréer que des maîtres païens pour les écoles publiques.

Dans la même année, un édit interdit l’enseignement à tous les maîtres chrétiens, quels qu’ils fussent, s’ils ne renonçaient pas à leur foi. Epist., Hertlein, 42, Cumont, 61 c, p. 70. Nous allons donner une analyse de ce document célèbre et unique dans l’histoire, malheureusement mutilé au début et à la fin.

La droiture doit exister, avant tout, dans l’éducation. Penser d’une façon et enseigner d’une autre est un manque de sincérité et d’honnêteté chez les maîtres, et une tromperie à l’égard de leurs disciples. Il en est ainsi pour tous les professeurs : rhéteurs, grammairiens, sophistes. Les dieux sont toujours honorés et loués chez des auteurs tels qu’Homère, Hésiode, Démosthène, Hérodote, Thucydide, Isocrate, Lysias, et les professeurs chrétiens, qui les expliquent, prennent à tâche de déshonorer ces mêmes dieux comme faux et mauvais : cela n’est-il pas absurde ? En conséquence, les professeurs sont mis en demeure de choisir entre ces deux partis : « ou ne pas enseigner ce qu’ils jugent n’être pas bon, ou bien, s’ils veulent enseigner, être convaincus eux-mêmes et enseigner ensuite que tous ces auteurs sont dans la vérité à l’égard des dieux. » Ou bien encore, s’ils persistent dans leurs convictions chrétiennes, « qu’ils aillent dans les églises des Galiléens pour y expliquer Matthieu et Luc… » Quant aux jeunes gens chrétiens,

tout atteints qu’ils soient de maladie, il faut leur laisser toute liberté de s’instruire auprès des maîtres païens, en attendant qu’ils puissent connaître leur voie.

L’interdiction d’enseigner, imposée aux maîtres chrétiens, était absolue. Julien ne fit qu’une seule exception, en faveur du sophiste chrétien Prohærésius, professeur à Athènes, son ami personnel, et d’une renommée universelle. Noblement, et simplement, Prohærésius descendit de sa chaire ; Jérôme, Chronicon, ann. 363, dans P. L., t, xxvii, col. 503, et cf. Eunape, Vil. soph., Prohærésius, ad finem.

Cette interdiction produisait en même temps deux autres conséquences. Faute de maîtres, les écoles chrétiennes existantes devaient se fermer, et il était impossible d’en ouvrir de nouvelles. Les jeunes gens chrétiens, qui ne voulaient pas fréquenter les maîtres païens, se trouvaient privés de toute instruction supérieure, et inhabiles par là-même aux carrières libérales et administratives. Cela ne devait pas déplaire à Julien, <Iu moment que ces jeunes gens résistaient à sa propagande.

Il semble bien qu’une loi complémentaire ait interdit même cette fréquentation aux jeunes gens chrétiens. Socrate, H. E., iii, 12, 16, 18, 22, P. G., t. lxvii, col. 412, 417, 426, 436 ; cf. Théodoret, H. E., iii, 4, t. lxxxii, col. 1096 ; Zonaras, xiii, 12, 21, P. G., t. cxxxiv, col. 1149 ; Grégoire de Nazianze, Orat., iv, 5, 6, 101, 102, 105 ; v, 39. « Julien, dit Socrate, évita la cruauté excessive employée sous Dioclétien ; mais il ne s’abstint pas de persécuter pour cela ; j’appelle persécution la manie de troubler les citoyens paisibles. Julien les troubla de la manière suivante. Il ordonna par une loi que les chrétiens ne pourraient pas recevoir leur part d’instruction, « de peur, disait-il, qu’ils n’aiguisent leurs langues et qu’ils ne soient prêts à se mesurer avec les dialecticiens grecs (= les philosophes et sophistes païens)… » « Nos Écritures inspirées, dit encore Socrate, nous fournissent des dogmes divins ; elles insinuent dans l’esprit des auditeurs une grande piété et la droiture de la vie… Mais elles n’apprennent pas du tout l’art du raisonnement, dont on a besoin pour lutter contre les ennemis de la vérité ; or, ces ennemis de la vérité sont vigoureusement combattus quand nous nous servons contre eux de leurs propres armes… C’est ce qu’avait très bien vu l’empereur Julien, et c’est pour cela qu’il empêcha par une loi les chrétiens de recevoir l’instruction des Grecs ; il savait très bien comment la mythologie des dieux rendait ridicule sa croyance à ses dieux… » Ces affirmations de Socrate trouvent un écho dans une lettre de Julien à l’hérésiarque Photin ; il lui écrit au sujet de l’évêque Diodore de Tarse : « Celui-ci est venu à Athènes pour le malheur public, et c’est avec les ressources de son éloquence qu’il a armé son odieuse langue contre les dieux célestes… » Epist., Hertlein, 79, Cumont, 90.

Saint Jean Chrysostome, en parlant de la persécution sournoise et tortueuse de Julien, dit de lui : « Voyez sa malignité. Les médecins, les militaires, les sophistes et les rhéteurs, tous tant qu’ils sont, il leur ordonne ou de quitter leur emploi ou de renier leur foi. » Panégyrique des SS. Juventin et Maximin. P. G., t. l, col. 571-578, et pour les médecins, cf. Epist., Hertlein, 25 b, 45, 48. Cumont, 75 b„ 58, 153. II semble bien que Julien ait cherché à paganiser l’enseignement de la musique, au moins pour le conservatoire d’Alexandrie. Epist., Hertlein, 56, Cumont, 109.

4. Adjurations, injures, menaces. — « Par les dieux, écrit Julien, je suis honteux, ô Alexandrins, qu’un seul des Alexandrins déclare être Galiléen. En vérité, les ancêtres des Hébreux étaient asservis autrefois aux Égyptiens ; mais maintenant, Alexandrins, vous les maîtres des Égyptiens, puisque votre fondateur a