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JULIEN L’APOSTAT, ACTION RELIGIEUSE


tauration ou la fondation à nouveau de la religion polythéiste, l’apothéose ou déification personnelle.

A Milan, quand il doit être proclamé César, Julien hésite ; il prie les dieux de l’éclairer ; « pendant la nuit, dit-il, les dieux me menacèrent de la mort la plus honteuse, si je me refusais à cette faveur, … je cédai donc et je leur obéis, et aussitôt on me donna le manteau de pourpre de César… » Lettre au sénat et au peuple d’Athènes, 57, Hertlein, p. 355. A Paris, quand ses troupes lui décernent le titre d’Auguste, Julien hésite encore ; il eut alors la vision du Génie de l’Empire, qui lui dit sévèrement : « Depuis longtemps, Julien, je me tiens devant le vestibule de ta demeure, et plusieurs fois je m’en suis éloigné, comme étant repoussé par toi ; mais si cette fois je ne suis pas accueilli par toi, quand les suffrages de tous s’accordent sur ton nom, je m’en irai découragé et triste ; seulement, souvienstoi bien que je ne demeurerai pas plus longtemps avec toi. » Amm. Marc, xx, 5 ad finem. Julien dit lui-même à ce sujet : « J’adorai Zeus. Comme les acclamations des soldats augmentaient et que tout était tumulte dans le palais, nous demandâmes à ce dieu de nous donner un prodige ; il nous le manifesta sur-le-champ, et il m’indiquait clairement de céder et de ne pas m’opposer au vœu de l’armée. » Lettre au Sénat, etc., Hertlein, p. 366. Quelques mois après, quand Julien marche contre Constance, il le fait par la volonté du ciel, qu’il a connue par un sacrifice à Bellone ; en même temps, il emporte avec lui, dans une cassette, des oracles écrits, qui lui prédisent la mort de Constance et son accession triomphante au trône. Amm. Marc, xxi, 1-2, et xxii, 1-2 ; Lettre au Sénat, etc., Hertlein. p. 368.

Mais nous possédons sur toute cette matière un document capital ; c’est la profession de foi de Julien dans son autobiographie allégorique, Contre le cynique Héraclius, Hertlein, p. 294-304. Ce document est long ; mais il est facile de le résumer très exactement : Julien déclare croire à tous les dieux du ciel, des airs et de la terre ; il croit en particulier à Zeus, le père des dieux ; mais il s’est attaché personnellement et intimement à Hélios (le Soleil, ou Mithra), aux mystères duquel il a été initié, puis à Hermès et à Athêna. Avant même sa naissance, les dieux se sont préoccupés d’arrêter sur la terre l’impiété chrétienne. Pendant son enfance et sa jeunesse, ils l’ont choisi en vue de cette œuvre ; ils l’ont sauvé et protégé en l’inclinant déjà vers eux. Jeune homme abandonné et isolé, les dieux l’ont pris, guidé, et conduit à la croyance en eux. Ils lui ont manifesté leur volonté, c’est-à-dire : qu’il serait leur serviteur, qu’il serait leur empereur, qu’il serait le restaurateur et le propagateur de leur culte, et qu’il donnerait la première place, dans les affaires, a eux et à leur religion. Ils lui ont confié la mission d’éclairer le monde, en y faisant connaître leur culte et en l’y répandant. Ils l’ont assuré de leur protection absolue, perpétuelle, et victorieuse, aussi longtemps qu’il remplirait cette tâche. Il est, sur la terre, au milieu des hommes, le serviteur des dieux, leur missionnaire, leur apôtre, leur prophète inspiré, leur grand prêtre, et leur empereur. Quant à sa nature humaine, son corps ne lui a été donné que pour remplir ici-bas la fonction dont les dieux l’ont chargé. Il a reçu d’eux une âme immortelle ; de plus, cette âme contient en elle un élément divin, sorti des dieux, uni à cette âme, et destiné à remonter aux cieux avec elle. Alors, en récompense de son dévouement aux dieux, Julien deviendra, lui aussi, dieu, et il jouira de la contemplation des dieux. L’allégorie se termine par cesparoles de Hélios à Julien : < Enfin, sache que ton corps ne t’a été donné qu’en vue de la fonction qui t’est confiée ! … Souviens-toi donc que tu possèdes ton âme qui est immortelle, et qui est de la même race que nous ; souviens-toi que,

en nous servant fidèlement, souviens-toi que tu seras dieu, et que tu contempleras notre Père en même temps que nous. » Pour que le lecteur ne se méprenne pas sur le sens de l’allégorie, Julien ajoute : « Cela est-il une fable, ou bien est-ce une histoire véritable ? Je ne sais. » Manière modeste d’insinuer que la fable recouvre une histoire véritable, qui est la sienne.

Empereur par la faveur des dieux et par prédestination, Julien était leur débiteur. Il ne pouvait acquitter sa dette de reconnaissance, tenir les engagements pris par lui au su et vu des rhéteurs et des sophistes et enfin répondre à sa vocation divine, qu’en travaillant à rétablir le culte des dieux et à lui rendre sa magnificence d’autrefois. C’est ce qu’il fit aussitôt. Libanius dit : « Les promesses que Julien avait faites et aux dieux et aux hommes au sujet des dieux, il les accomplit brillamment après être devenu empereur. » Orat., xviii, 126 ; cf. xii, 69 ; xv, 53 ; xvii, 9 ; xviii, 114-116, 281 ; Amm. Marc, xxii, 5.

IV. L’action religieuse de Julien. — Elle fut double. D’un côté, il fallait revivifier et réorganiser le polythéisme, afin de ne pas laisser la place libr"e au christianisme. De l’autre côté, il fallait enrayer les progrès de ce dernier et l’affaiblir, avant de songer à l’abattre et à le remplacer.

Restauration du polythéisme.

Tout empereur

joignait à son titre d’Auguste celui de Pontifex maximus ou souverain pontife de la religion païenne. Cette haute magistrature était purement politique et très importante ; elle conférait au souverain la surveillance absolue de toute la religion, personnes et choses, et surtout celle des cultes étrangers. Constantin et Constance, chrétiens, étaient souverains pontifes de la religion païenne de l’Empire, et ils en retenaient soigneusement les prérogatives. Julien, empereur, possédait cette dignité, comme ses prédécesseurs. Mais Julien n’était pas un empereur comme ces derniers. Les dieux l’avaient élu, lui personnellement, pour être leur représentant et leur délégué ; il était leur empereur, par droit divin, et, par droit divin aussi, leur souverain pontife. Pendant que l’empereur veillait au gouvernement de l’Empire, le souverain pontife travaillait à rétablir ou à conserver le culte des dieux. De cette position prise par Julien découlent d’importantes conséquences.

1. Julien, souverain pontife, exerce les (onctions afférentes à cette dignité. — Julien a pleinement conscience de son rôle. César en Gaule, dans le Deuxième panégyrique de Constance où il trace le portrait d’un prince parfait, il s’exprime ainsi : « Il convient, à mon avis, que le chef de l’armée ou le monarque ait toujours soin, en qualité de prêtre et de prophète, d’honorer magnifiquement la divinité, de ne rien négliger à ce sujet, de ne pas croire que cette fonction convient mieux à un autre qu’à lui, et de ne pas la confier à un autre parce qu’il la juge indigne de lui. » Hertlein, p. 87. Empereur, il écrit au grand prêtre de la province d’Asie : « Je montre que je suis le très grand souverain pontife de la religion des dieux, bien indigne sans doute d’une aussi haute fonction, mais qui veut en être digne, et qui demande sans cesse aux dieux de le devenir. » Lettres, Cumont, 89 b, p. 138-139 ; Hertlein, p. 383. Libanius dit de son côté : « Julien aime d’être appelé pontife, tout autant qu’empereur, et ce nom lui convient ; car, s’il a égalé les monarques par ses actes de souverain, il a égalé tout autant les prêtres par les cérémonies religieuses, » Orat., xii, 79-80 ; cf. encore xviii, 121 sq., xxiv, 34-36 ; xii, 69 ; xiii 45 ; xviii, 21 et 282, et passim.

L’un des soucis du souverain pontife est de se maintenir dans une union étroite avec ses dieux, particulièrement avec Hélios, auquel il offre chaque jour un sacrifice dans son palais, à son apparition le matin et à