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1949 JULIEN L’APOSTAT, DISPOSITIONS A L’ÉGARD DU CHRISTIANISME 1950

Éducation et instruction classiques de Julien.


De sa septième à sa vingtième année, Julien fut confié aux soins de son précepteur, Mardonius, dont on ignore la religion. Le maître travailla à imprégner et saturer son élève d’hellénisme, jusqu’à la moelle. Julien aimait passionnément la lecture et par suite les livres ; il fut, pendant toute sa vie un bibliophile curieux et ardent. Sa mémoire naturelle était prodigieuse ; la lecture et l’étude l’avaient encore extraordinairement développée. Les auteurs lus et retenus par lui bourdonnent sans cesse dans son cerveau ; ils en sortent ensuite par essaims, dans ses discours, dans ses écrits, sous forme d’allusions, de réminiscences, de citations. Julien sent et pense au moyen des émotions et des idées des auteurs anciens, que sa mémoire rappelle spontanément, et c’est en se servant de leurs phrases et de leurs comparaisons qu’il exprime ses propres idées. Sans doute, Julien fait la part de la fiction chez— les écrivains grecs anciens. Mais souvent aussi, il y croit avec une foi si candide qu’elle déconcerte le lecteur. Dans un passage d’Homère, Zeus envoie sa messagère Iris à Hector, et il ordonne à ce héros de s’abstenir de combattre. Julien se fait cette réflexion : Est-il possible que Zeus ait donné un conseil aussi bas et aussi lâche ? Et c’est très sérieusement qu’il se pose ce cas de conscience. IIe Panégyrique de Constance, Hertlein, p. 86-87. Julien accepte spontanément l’autorité morale des auteurs païens ; il fait de leurs livres une école de vertu, « une école supérieure de morale avec des exemples placés sous les yeux. » Mardonius avait habitué son élève à ne considérer les hommes, les événements et la nature qu’à travers le prisme des écrivains anciens ; il allait jusqu’à lui dire : « On peut trouver dans Homère beaucoup d’arbres plus beaux que ceux qui sont sous nos yeux. » Misopogon, 14, Hertlein, p. 453. C’est à ce point que Mardonius avait donné à son disciple une éducation artificielle, « livresque », et, pour tout dire, faussée ; il l’avait confiné dans le pur intellectualisme ; il en avait fait un Hellène, mais par imitation seulement et par pédanterie.

Les écrivains païens avaient été pour Julien, sans famille et sans amis, les fidèles compagnons de sa jeunesse abandonnée. Il leur avait voué un culte. Il avait trouvé chez eux un polythéisme brillant, coloré, vivant, présenté dans une belle langue, avec un art consommé, et il avait été fasciné. Comme ils étaient petits, par comparaison, les écrivains judéogrecs, dont Julien lisait les humbles œuvres dans les Septante et dans le Nouveau Testament ! Dès lors, pendant cette éducation païenne qui le pénétrait à fond et le captivait, comment Julien n’aurait-il ressenti une inclination, une amitié secrète, quoique inconsciente, pour le polythéisme ? Ammien Marcellin l’insinue, xxii, 5 : « Dès les premières leçons qu’il reçut dans son enfance, Julien fut plutôt enclin vers le culte des dieux… » Julien dit de son côté, en faisant un retour sur sa jeunesse et sur son enfance, qu’il y avait alors en lui une faible étincelle, laquelle, soigneusement conservée par la providence des dieux, suffit à allumer plus tard, dans son âme, le foyer du polythéisme. Contre le ci/nique Héraclius, Hertlein, p. 297-298. Après sa vingtième année, et privé de Mardonius, Julien se livra seul à l’étude de la philosophie et à la société des philosophes, qui le conduisirent au paganisme.

Culture chrétienne de Julien.

Jusqu’à sa vingtième

année, Julien est un chrétien pratiquant. Puis, quand il est étudiant libre en Asie et César en Gaule, il est chrétien en public, et païen en secret. Devenu empereur, il n’est plus que païen, en public et en particulier, jusqu’à sa mort inclusivement.

Issu de parents chrétiens et ayant grandi dans le christianisme, Julien a certainement reçu le baptême,

quoiqu’on ne sache ni où ni à quel moment. D’ailleurs, il a participé à l’Eucharistie, et il a été lecteur dans l’église de Césarée, ce qui était un honneur, et non une charge. Grégoire de Nazianze, Orat., iv, 23, P. G., t. xxxv, col. 552 ; Socrate, H, E., iii, 1. t. lxvii, col. 372 B.

Mais quelle instruction religieuse reçut-il ? De sept à douze ans, il a grandi auprès de l’évêque Eusèbe, son parent. Il a connu le christianisme par les leçons élémentaires qu’on a dû lui donner, par les instructions qu’il entendait, les offices auxquels il assistait. Pendant les sept ou huit années passées à Macellum, les deux frères reçurent un enseignement régulièrement donné par des prêtres. A la théorie, ils joignaient la pratique, ils fréquentaient les églises, ils allaient en pèlerinage aux tombeaux des martyrs ; ils firent même élever, à leurs frais, une église à saint Mammès, martyr Cappadocien. D’après les indications éparses dans ses œuvres et surtout dans le Traité contre les chrétiens, Julien avait lu au moins les livres suivants de l’Ancien Testament : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome, les Rois, les Prophètes ; et dans le Nouveau : les Évangiles, les Actes, et les Épîtres de saint Paul.

Malheureusement, l’instruction chrétienne de Julien se poursuivit dans les conditions les plus défavorables. Tout d’abord, le christianisme qui lui fut enseigné était l’arianisme. L’empereur Constance, tuteur et maître de Julien, était un arien militant et il était devenu le chef du parti arien en Orient. Si l’on considère le caractère étroit et despotique de l’empereur, on ne peut douter que l’enseignement donné par son ordre aux deux frères, à Macellum, ne fût arien. Un détail est significatif. Julien était alors en rapports étroits avec un prêtre de Césarée appelé Georges, qui avait une belle bibliothèque et qui lui prêtait des livres ; or ce prêtre devint plus tard évêque intrus et arien d’Alexandrie. De plus, les prêtres et les théologiens ariens travaillaient avec ardeur à préserver leurs partisans de l’orthodoxie catholique, dont ils niaient les dogmes. Ils discutaient à perte de vue sur les leurs, se perdaient dans les distinctions et les subtilités d’une dialectique raffinée, ergotaient sur les textes, et se fâchaient ; une pareille doctrine donnait peu de nourriture à l’esprit et ne contenait rien pour le cœur. Enfin, dans les provinces orientales de l’empire, l’Église était livrée à l’anarchie. Elle s’était transformée en un champ clos où se combattaient sans interruption les évêques orthodoxes, ariens, semi-ariens ; on se disputait, on se haïssait, on se condamnait, et cela, en particulier, dans de nombreux conciles particuliers que Constance avait la manie de convoquer. Les ambitions et les intrigues marchaient de pair avec les querelles et les anathèmes. Le plus bel exemple à citer est justement celui de l’évêque Eusèbe, le parent de Julien. Grand favori de Constance, Eusèbe se fait installer, presque de force, sur le siège de Constantinople. Il a pour lui un parti, composé surtout d’ariens, et contre lui un parti adverse, composé surtout d’orthodoxes ; il travaille à s’imposer de force à ces derniers. Chez cet évêque, qui découronnait plus ou moins le Christ de sa divinité, ce n’était que désobéissance aux lois de l’Église, flatterie pour le souverain, tortuosité dans les démarches et despotisme. Dans la chrétienté de la capitale, ce n’étaient que divisions, haines, luttes, condamnations, décrets d’exil contre les dissidents. Et les autres grandes villes offraient un spectacle analogue.

Avec de tels maîtres et dans de telles circonstances, le christianisme enseigné à Julien dut lui paraître obscur, incertain, contradictoire pour le fond, très antipathique dans la forme ; il ne put qu’en recueillir et en garder une impression très défavorable et très nuisible. L’impression que lui laissa le spectacle d’une