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1947 JULIEN L’APOSTAT, DISPOSITIONS A L’ÉGARD DU CHRISTIANISME 1948

en même temps, elle lui avait fait présent d’une bibliothèque considérable ; puis, Julien, promu César, était parti pour la Gaule avec la femme et la bibliothèque. Dans son Éloge d’Eusébie, Hertlein, p. 159, Julien mentionne son mariage en huit mots grecs, sans qu’aucun d’eux soit un mot d’amour ou de satisfaction pour Hélène, sans aucun mot de reconnaissance à ce sujet pour sa bienfaitrice. Par contre, la bibliothèque obtient trois pages, écrites de verve 1 Après la mort de sa femme, Julien refusa de se remarier, malgré les instances qui lui furent faites. L’impératrice avait toujours protégé Julien et l’avait sauvé de tous les dangers ; en particulier, elle avait obtenu pour lui le rang de César et la main de la sœur de l’empereur ; elle avait fait entendre à Julien que le titre d’Auguste l’attendait en récompense de son dévouement et de sa loyauté. Elle aimait vivement Julien, trop même au dire des contemporains. L’Éloge d’Eusébie, composé en retour par Julien, n’est qu’un écrit pompeux, verbeux, littéraire et prétentieux, où l’on ne découvre, sous la rhétorique, aucun sentiment de vraie reconnaissance ou d’attachement. Non seulement Julien était un cœur naturellement sec, mais, lorsqu’il eut atteint la grandeur, il devint hautain, railleur, susceptible, haineux. Ces défauts apparaissent à vif dans les écrits suivants : le Misopogon, les Césars, la Diatribe contre les Cyniques et celle Contre le Cynique Héraclius, la Lettre au Sénat et au peuple d’Athènes (ou Lettre aux Athéniens). Dans cette Lettre, Julien se révèle haineux, méchant et calomniateur à l’égard de Constance, son cousin germain ; il manifeste le même fiel, dans les Césars (ad finem), contre l’empereur Constantin, son oncle.

Un autre trait du caractère de Julien, c’est la dualité qui finit en duplicité. Tout d’abord, on découvre dans la vie et les écrits de Julien comme deux hommes juxtaposés : le Romain et l’Hellène. Le Romain, qui entre dans la carrière politique, se distingue par deux qualités : la science des armes, et la science de l’administration. Julien les possède toutes deux à un très haut degré. Il est essentiellement homme d’initiative et d’activité : apprenant le maniement des armes, rétablissant la discipline, réorganisant les troupes et les conduisant à la victoire pendant des années ; réorganisant les provinces, diminuant les impôts, surveillant les fonctionnaires, rendant une justice impartiale pendant des journées entières, nettoyant le palais de ses milliers de parasites, simple et afïable avec tous, plein de grandeur et de majesté quand son rang l’exige. A côté du Romain, l’Hellène relève de la civilisation grecque par sa langue, son instruction, son éducation, sa formation littéraire, morale, philosophique, religieuse, artistique, par le goût de l’étude, des livres, des écoles de littérature et de philosophie, par la curiosité tournée vers toutes les choses de l’intelligence. Julien était encore plus foncièrement Hellène que Romain. Ammien Marcellin dit de lui, xxv, 4, : « Il était curieux de toutes les connaissances, et il en était souvent un juge infaillible. » La duplicité devint un système chez lui, quand, obligé d’obéir à l’empereur et de le ménager, il voulait en même temps agir avec indépendance. A l’âge de vingt ans, il est envoyé à Nicomédie, OÙ professait alors Llbanius, païen de religion et dans son enseignement. Constance défendit sévèrement à Julien de fréquenter l’école de ce rhéteur, et son maître à Conslanlinople, Écébole, lui lit jurer de ne pas aller clicL Libanius. Julien obéit ; seulement il se procura en secret les cahiers de cours de Libanius et ses écrits. Lntre vingt et vingt-quatre ans, il est déjà passé en secret au paganisme, et le bruit en a transpiré ; en même temps, il assure à son frère GallUS, alors César à Antioclie, qu’il n’en est rien, et il fréquente l’église chrétienne à Nicomédie. A Paris, lors du coup d’État,

il essaie en apparence d’arrêter le mouvement des troupes en sa faveur ; en même temps, il fait circuler parmi elles des libelles contre Constance. Il écrit ensuite à Constance une lettre publique, respectueuse, où il expose les événements à sa manière pour prouver son innocence ; en même temps, il envoie à l’empereur une autre lettre, secrète, remplie de reproches et de menaces. A Vienne, avant de marcher contre Constance, il assiste à la fête de l’Epiphanie et prie publiquement Jésus-Christ ; or, depuis plusieurs années, il pratiquait en secret le culte païen. Anim. Marc, xxi, 2. Julien avait la passion de la gloire et de la grandeur ; voir Amm. Marc, xvi, 12 ; xvii, 1 ; xx, 4 ; xxi, 8 ; xxii, 9, 12 ; xxiii, 1, 5 ; xxiv, 3 ; xxv, 4, etc. Par exemple près de mourir, dans ses adieux à ses amis, il prononce cette parole : « Je remercie avec vénération la Divinité éternelle… de ce que j’aie mérité de sortir de ce monde avec éclat, dans le cours de mes brillants succès, et en plein épanouissement de ma gloire. ^ Amm. Marc, xxiv, 3. L’ambition de Julien était d’égaler les grands hommes, comme Alexandre et Marc-Aurèle, et même de les surpasser, passion d’ailleurs noble et distinguée dans l’antiquité. Julien est fier de l’origine antique et princière de sa famille. Adolescent, il est le premier partout, le premier de ses condisciples par la vivacité de son intelligence et la rapidité de ses progrès. Simple étudiant à Constantinople, il attire sur lui l’attention publique ; à Athènes, il fait sensation, dans cette ville universitaire, auprès des professeurs et de leurs auditeurs. Né près de trône, il demeure à vingt-quatre ans le dernier rejeton de la famille régnante, et on le regarde déjà comme un héritier présomptif. Son imagination se porte spontanément et légitimement sur cette couronne qui viendra d’elle-même se poser un jour sur sa tête. Dans son second Panégyrique de Constance, Julien, César, trace déjà le portrait du parfait souverain, tel qu’il s’efforcera de l’être, quand il sera bientôt le collègue ou le successeur de celui dont il fait l’éloge ; voir encore Amm. Marc, xxii, 12 ; xxiii, 5 ; xxiv, C, 7 ; Libanius, De ulciscenda Juliani morte, xxiii, xxiv, xxv (avec la note de Fabricius dans sa Bibliotheca græca) ; Socrate, iL i ?., iii, 21, P. G., t. lnyii, col. 132. Ammien Marcellin, xxii, 9, dit de Julien, devenu Auguste et seul empereur : « Très enorgueilli par le succès, Julien se mit à aspirer à plus que l’homme, prosperis Julianus elalior ultra homines jam spirabat. »

L’amour désordonné de la gloire, l’ambition pour le pouvoir suprême, l’orgueil de vouloir surpasser les plus grands personnages poussèrent puissamment Julien à restaurer le culte des dieux. Il entreprendrait ainsi une œuvre immense, unique au monde ; il deviendrait, et lui seul, l’organisateur et comme le fondateur d’une religion revivifiée ; il égalerait ou surpasserait les autres fondateurs de religions, en particulier ce misérable « Galiléen » appelé Jésus, et aussi Moïse, ce Juif sans talent, dont les livres débordent d’erreurs ; il aurait le plaisir de détruire l’œuvre religieuse de deux empereurs qu’il déteste, Constantin et Constance, ses proches parents sans doute, mais hommes ignorants et sans philosophie. Julien faisait de ce rêve démesuré la pâture de son imagination, et il en jouissait à l’avance. C’est ce qu’il nous apprend très expressément dans son autobiographie allégorique. Contre Héraclius, 16-20, Hertlein, p. 293-306,

A l’amour de la gloire, à l’ambition sans limite se joignait la recherche de la popularité, poussée jusqu’à l’affectation, et même jusqu’à l’excentricité ; on peut lire, sur ce sujet, les anecdotes rapportées par Ammien .Marcellin, qui l’en blâme, XXI, 10 ; xxii, 7, 10, 14 ; Xxiii, 1, 2, 3 ; xxiv, 2, 3, 1 ; xxv, 4, et passim ; et aussi par Grégoire de Nazianze. Oral., v, 22, P. G., t. xxxv, col. 689.