Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/260

Cette page n’a pas encore été corrigée
1929
1930
JULIEN D’ECLANE


monium et gloriam de ejus suscepere consortio, nullum prudentum conturbet conspiratio perditorum. Ce principe ainsi formulé, il devait y revenir souvent dans la suite et l’accentuer, en montrant que, si l’Écriture et la tradition entrent en ligne de compte, c’est uniquement dans la mesure où elles sont conformes à la raison : Catholica fides neque jurgare adversum se legem Dei crédit, neque ullam auctoritatem in exilium rationis admittit ; — quod ratio arguit non potest auctoritas vindicare ; — sanctas quidem Apostoli paginas esse confilemur non ob aliud nisi quia rationi, pietaii, fidei congruentes erudiunt nos. Augustin ne connut d’abord le traité Ad Turbanlium que par un abrégé assez fragmentaire, et il s’empressa de le réfuter dans son second livre De nuptiis et concupiscentia ; mais quand il eut en mains le texte complet de l’œuvre rationaliste, il la combattit dans ses six livres Contra Julianum, en 421. Entre temps, en 420, aux deux lettres du sectaire aux adeptes de Rome et à l’évêque de Thessalonique il avait opposé les quatre livres Contra duas epistolas Pelagianorum, ad Bonifacium. Julien était retiré à Mopsueste quand il reçut communication du second traité De nuptiis. Il répliqua en huit livres, dédiés encore à un compagnon d’exil, Florus. Augustin, inlassable, entreprit la démolition de cette réplique et lui consacra les loisirs de ses dernières années. Lorsque la mort le surprit, en 430, il n’avait pas fini sa réfutation. Ce qu’il en avait rédigé, soit une critique approfondie de six livres sur huit, a été publié sous le titre de Contra secundam Juliani responsionem libri VI et, plus communément, Opus imperfectum.

Le même esprit polémique devait aussi animer le traité De bono conscientiæ, cité par Bède au début de son commentaire sur le Cantique. P. L., t. xci, col. 1072. Mais Julien a composé d’autres travaux d’inspiration plusirénique. Il s’était exercé spécialement à l’exégèse. Bède a connu de lui un Commentaire sur le Cantique, dont il cite quelques fragments, loc. cit., col. 1065. Les critiques modernes veulent restituer à l’évêque d’Éclane d’autres travaux scripturaires : le Commentarius in prophetas minores très Osée, Joël et Amos, imprimé parmi les œuvres de Rufin, P. L., t. xxi, col. 959, (voir G. Morin, Un ouvrage restitué à Julien d’Eclane, dans Revue bénédictine, t. xxx, 1913, p. 1 ;) VExpositio interlinearis libri Job, qui figure, sous le nom d’un certain Philippe, parmi les œuvres de saint Jérôme, P. L., t. xxiii, col. 1407 (voir A. Vaccari, Un commento a Giobbe di Giuliano di Eclano, Rome, 1915 ; position contestée par J. Stiglmayr, dans Zeitschri/t fur kath. Théologie, t. xliii, 1919, p. 263 ;) un Commentaire sur les Psaumes, publié par G. Ascoli, en 1888, dans Y Archivio glottologico italiano, t. v, et que A. Vaccari revendique également pour Julien, Civilta cattolica, 1916, t. i, p. 578. Mais ces dernières attributions ne sont pas toutes également solides.

III. Genre de polémique.

La doctrine de Julien sera étudiée dans le détail à l’art. Pélagianisme, où l’on montrera quelles précisions elle apporte aux enseignements toujours un peu vagues, souvent contradictoires de Pelage et de Célestius. On veut simplement caractériser ici la manière dont Julien défendait la doctrine de ses maîtres. — Julien est avant tout un polémiste. Pendant près de douze ans il a tenu presque continuellement l’évêque d’Hippone sur la brèche. Il l’a poursuivi, harcelé, en disputeur aussi ardent, aussi tenace, que retors. Il savait découvrir les points faibles dans l’argumentation de son adversaire et les souligner, les exagérer aussi avec malignité. Il attaquait d’ailleurs pêle-mêle, soit par tactique, soir par passion ou inattention, dans les écrits d’Augustin ce qui était défendu comme dogme et ce qui était proposé comme explication, comme développement plus ou moins vraisemblable du dogme. Les mêmes considérations,

les mêmes griefs d’ordre pratique ou théorique revenaient sans cesse sous sa plume ; les termes seuls variaient, devenaient de jour en jour plus durs, plus hautains. Pour ce qui concernait Pelage et Célestius, par exemple, il ne se lassait pas de redire, contre toute vérité, qu’ils avaient été condamnés non seulement absents, mais sans avoir jamais été cités ni interrogés. Il n’était ni moins audacieux ni moins injuste sur le terrain doctrinal. De même qu’Augustin, scrutant le principe fondamental de Pelage, en avait fait sortir tout ce qu’il contenait et avait poussé, d’aveux en aveux, l’hérésiarque jusque dans ses derniers retranchements, de même Julien, pressant la doctrine augustinienne, prétendait en faire sortir à son tour des monstres d’hérésie, le manichéisme d’abord, le prédestinationisme ensuite, sans compter le traducianisme. Augustin, sçjon lui, manichéen dans sa jeunesse, partait encore, en affirmant la corruption native de l’homme, d’une idée manichéenne, à savoir que la chair doit son origine au principe mauvais. Il niait donc que chacun de nous fût la création de Dieu, et il devait en conséquence condamner le mariage. Dans sa théorie du péché originel et de ses rapports avec la concupiscence, il était traducien, car il supposait clairement que les âmes, comme les corps, se propagent par la génération. Et de plus, en soutenant que l’homme a de la grâce un besoin absolu pour opérer son salut, il en arrivait, selon Julien, à cette conséquence effroyable, que Dieu sauve ou damne les hommes, quoi qu’ils fassent et selon son bon plaisir.

Toutes ces affirmations, toutes ces accusations étaient énoncées par l’accusateur en la forme la plus catégorique et la plus blessante, agrémentées d’insolentes ou insipides railleries, d’expressions et d’appellations méprisantes, produites enfin sur un ton de suffisance et de supériorité qui, à l’égard d’un homme tel qu’Augustin, dépasse vraiment toute mesure excusable. Julien prodigue à son éminent contradicteur des qualificatifs qu’il faut citer en latin, de peur de les déflorer ou d’être soupçonné d’exagération : Eruditissime bipedum, homo omnium impudentissime, Arisloleles Pœnorum, subtilissime disputator, philosophisler Pœnorum, conjugalis operis criminator, libidinum expiator, impugnator innocentiie et divinse œquitatis infamator. Il reproche au vieil évêque d’ignorer les règles les plus élémentaires du raisonnement, de ne point avancer une proposition qu’il ne retire ou ne contredise ensuite ; il lui conseille de retourner à l’école, pour y apprendre l’A B C de la dialectique. Il est un endroit où l’absurde inurbanité est portée à son comble ; c’est celui où l’étrange argumentateur met en cause les parents et spécialement la sainte mère d’Augustin, en des termes qui perdraient eux aussi à être traduits : Quod vero adjungis morbum esse ncgotium nuptiarum, leniter audiri potest, si hoc solum de parenlibus tuis diras. Conscius enim forte esse potes matris tuée morbi alicujus occulti, quam in libris Confessionis, ut ipso verbo utar, meribibulam vocatam esse signasti. Ce qui achève de montrer la répugnante inconvenance de semblables propos et de tout ce ton, c’est la manière entièrement opposée de celui à qui ils s’adressent. Augustin n’avait cure des grossièretés, dévorait les injures, mais défendait objectivement sa doctrine, répondant en détail aux difficultés, opposant à l’aveugle et discourtoise passion un calme et une sérénité inaltérables ; il combattait l’adversaire avec une probité dont il y a peu d’exemples, reproduisant toujours son texte d’un bout à l’autre. Si les deux principales œuvres de polémique, de l’évêque pélagien n’ont pas péri complètement c’est uniquement aux amples citations de l’évêque d’Hippone qu’on le doit.

Les œuvres de Julien n’ont encore été que très sommairement rassemblées. Voir P. L., t. xxi, col. 1167 à 1172 et les