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JULES AFRICAIN

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siologie, à la médecine vétérinaire ; le fragment restitué par le papyrus d’Oxyrhynque se rapporte à une question de critique textuelle sur la Xekuia de l’Odyssée. Tout cela ne nous donne qu’une idée très approximative du farrago que devaient présenter les 24 livres de cet ouvrage. Suidas le caractérise de la façon suivante : z’.al 8î oEovel qpuaixdc, lyovTa èx Xôywv ts xal £71xo’.<Sciv xai. ypaTTTWv tivwv yxpax.T7]pcov îâaetç ts xal àXXoiwv èvepyîiwv : c’est, comme qui dirait, un traité de médecine, où l’on trouve recettes pour guérir à l’aide de certains mots, de certaines incantations, de formules et de grimoires. » Il n’y a pas que cela dans les Cesles, mais il faut bien reconnaître que cela y joue un rôle considérable. Et pourtant c’est l’œuvre d’un chrétien, à preuve, cette recette pour empêcher le vin de tourner : « Inscrire sur la jarre ou le tonneau ces mots divins : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon. » (Ps. xxxiii, 9). Le même moyen réussit également pour le miel. » Texte dans les Geoponica, t. VII, c. xiv, édit. Niclas, t. ii, p. 491. Cela jette un jouicurieux sur la mentalité de notre auteur et de son époque, et cela explique assez bien les relations que l’Africain entretenait avec la cour syncrétiste d’Alexandre-Sévère et le milieu superstitieux des rois d’Édesse.

L’œuvre chrétienne de Jules Africain est surtout représentée par le grand travail historique qui, selon toute vraisemblance, portait le nom de Clironographie, /povoypacpCoa, en cinq livres. Bien que l’on ne puisse le reconstituer dans le détail, cet ouvrage a laissé dans la littérature historique postérieure suffisamment de traces pour que l’on s’en fasse une notion exacte. Il a inspiré à Eusèbe l’idée et peut-être le plan de sa Chronique, mais surtout il a été abondamment exploité par les chroniqueurs byzantins. Il est possible de relever chez eux, et tout spécialement chez Georges le Syncelle, nombre de passages, directement attribués à l’Africain ou qui en dérivent. L’inspiration de l’œuvre était foncièrement chrétienne. Reprenant une idée qui revient maintes fois chez les apologistes du ne siècle, Justin, Athénagore, Tatien, notre auteur entreprenait de prouver que la vraie religion, la religion judéo-chrétienne, était antérieure chronologiquement aux fables des Grecs et aux doctrines de leurs philosophes. Le meilleur moyen de le démontrer était de constituer une série de tableaux, où s’inscriraient d’une part les événements rapportés par la Bible, de l’autre les faits synchroniques de l’histoire générale. L’autorité de la sainte Écriture étant mise au-dessus de tout soupçon, c’est à la Bible que l’on emprunterait les grandes lignes de l’histoire dj l’humanité, à elle que l’on s’efforcerait de ramener, de gré ou de force, les renseignements fournis par les écrivains profanes. On voit à quelle haute fortune était appelée cette conception, qui a dominé, jusqu’au siècle dernier l’étude de l’histoire ancienne. Une autre idée, d’ordre théologique, dominait également la composition de l’ouvrage. Partant de cette pensée qu’il trouvait exprimée II I-Vlr., ni, <s, à savoir que « pour le Seigneur un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour, » l’Africain s’efforçait de déterminer la durée totale de l’histoire du monde. De même qu’une semaine de six jours ouvriers avait mesuré la création de la terre, de même une semaine de six jours (de mille ans) mesurerait la période de L’activité de l’homme ici-bas. Les six jours millénaires écoulés, commenceraient les grands phénomènes cscliatologiques ; au repos divin du septième jour correspondrait le millenium, OÙ sur la terre régneraient les justes ressuscites. Cette échéance ! était pioche. S’appuyant sur les chiffres fournis par les Septante (très différents, on le sait, de ceux de l’hébreu massorétique et de la Vulgate) l’Africain calculait que la naissance du Christ avait eu

lieu en l’an 5500 de la création ; la 3° année d’Hélagabale, se plaçait en l’an 5723, on voit qu’il ne restait plus à l’humanité que deux siècles et demi à vivre son existence historique. — Nous n’avons pas à dire ici comment l’Africain a trouvé les moyens d’exécuter le plan gigantesque qu’il avait entrepris ; nous n’insisterons pas davantage sur l’exégèse fournie par lui de divers passages bibliques. Signalons toutefois, la chose n’étant pas sans importance pour l’histoire de l’angélologie, qu’à propos du récit génésiaque relatif aux unions entre les fils de Dieu et les filles des hommes, Gen., vi, 1-2, l’auteur rapporte une double interprétation du texte biblique. L’une est conforme aux idées popularisées par le Livre d’Hénoch : les fils de Dieu sont les anges du ciel, dont les unions incestueuses avec les filles des hommes donnent naissance à toutes sortes dedépravations, y compris les arts magiques (auxquels visiblement l’Africain a toujours porté grand intérêt). Mais à cette explication, la plus courante à l’époque, une autre est opposée, sans que l’auteur prenne parti ; c’est celle qui est devenue classique, les fils de Dieu étant la race de Seth, les filles des hommes la race de Caïn. Texte dans P. G., t. x, col. 65.

Ce n’est pas le seul endroit de son œuvre où l’Africain fasse preuve d’esprit critique. Il s’est conservé quelques fragments de deux lettres écrites par lui sur des questions d’exégèse, et qui témoignent d’une singulière pénétration. L’une de ces lettres est adressée à Origène, et discute la canonicité de l’histoire de Suzanne. Dan., xiii, 1-64. Dans une conférence à laquelle assistait Jules Africain, sans doute lors d’un passage d’Origène en Palestine, le docteur d’Alexandrie avait allégué, comme ayant autorité d’Écriture, un texte emprunté à ce passage. Jules s’inscrit en faux contre cette manière de faire. L’épisode de Suzanne n’étant point canonique, dit-il, il n’y a rien à en tirer : suit une critique très fine de l’histoire, critique qui tend à montrer que cette narration n’a pas pu exister dans le texte hébreu original de Daniel. Sur ce point l’Africain n’a pas été suivi par la tradition catholique, mais l’autre lettre, adressée à un certain Aristide et dont Eusèbe a transcrit de copieux fragments, H. E., I, vii, P. G., t. xx, col. 89-100, a puissamment contribué à former la doctrine, encore en vigueur aujourd’hui, sur l’accord des deux généalogies du Christ qu’on lit Matth., i, 1-17 et Luc, iii, 23-38. Dans une première partie de sa lettre, qu’Eusèbe indique seulement, et qui a été retrouvée par A. Mai, l’Africain indique les explications différentes de la sienne, qu’il rejette comme forcées ou erronées. Avec une véritable émotion il s’élève contre ceux qui, par une mesquinerie indigne, s’efforcent de plier l’Écriture à leurs médiocres conceptions théologiques. « N’allons pas faire mentir les évangélistes, dit-il, pour prouver une thèse préconçue. Ces opinions écartées, il propose la sienne qu’il développe avec beaucoup de chaleur. On en connaît l’idée générale. Les deux généalogies aboutissent toutes deux à Joseph : mais celle de Matthieu se réfère à la descendance naturelle de Joseph, qui est le vrai fils de Jacob : Celle de Luc au contraire aboutit à lléli, père adoplif de Joseph. Quant aux autres rencontres entre les deux généalogies, elles s’expliquent, elles aussi, par le jeu de la double parenté, naturelle et légale. Ajoutons que l’Africain qui défend avec beaucoup de chaleur sa propre explication ne. laisse pas de la présenter comme reposant non sur une tradition, mais sur une hypothèse qu’il fait : < Qu’il en soit ainsi ou autrement, conclut-il, je ne crois pas qu’il soit possible de trouver une explication plus claire, et tout homme sensé est de cet avis. Qu’elle nous suitise donc, quoiqu’elle ne soit pas appuyée de preuves. Nous n’avons rien à dire de meilleur ni de plus vrai. Du reste l’Évangile est entièrement dans In vérité. » — Les critiques modernes