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    1. JUIFS (CONTROVERSES AVEC LES)##


JUIFS (CONTROVERSES AVEC LES), DE 1100 A 1500

1898

Le Talmud n’est pas seulement ridicule, il est dangereux : on y trouve des insultes contre le Christ, la religion chrétienne et les chrétiens, et aussi des malpropretés, des immoralités sans nombre, des maximes qui autorisent et sanctifient toutes les iniquités contre les chrétiens. Telle fut l’accusation du juif baptisé Nicolas Donin au cours de la controverse de 1240. Elle revint dans la plupart des polémiques postérieures. Jérôme de Sainte-Foi intitula : De judaicis erroribus ex Talmuth le IIe livre de son grand traité contre les Juifs. Certains détails de cette attaque peuvent être discutables ; il n’est pas exact, comme le répétait récemment E. Fleg, Anthologie juive. Du Moyen Age à nos jours, Paris, 1923, p. 403, que les Juifs convertis « faussèrent sciemment l’interprétation » du Talmud, et la campagne contre ce livre n’était que trop motivée. Cf. F. Vernet, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1915, t. ii, col. 1687-1691.

On ne voit pas seulement, dans les livres juifs, des ennemis ; on y découvre des auxiliaires, et cela sans se contredire, car nos controversistes combattent ces livres pour ce qu’ils ont de mauvais à leur point de vue et les allèguent pour ce qu’ils ont de favorable au christianisme. Paul Christiani est celui, peut-être, qui inaugura cette tactique. Après lui plusieurs écrivains, Alphonse de Valladolid, Jérôme de Sainte-Foi, Alphonse de Spina, etc., cherchèrent dans les Talmud et le Midrasch des preuves de la vérité du christianisme. Raymond Martin, entre tous, connut la littérature hébraïque et l’utilisa avec une probité scientifique indiscutable. Cf. I. Loeb, dans Revue de l’histoire des religions, Paris, 1888, t. xviii, p. 136-137 ; I. Lévi, Le ravissement du Messie-enfant dans le Pugio fidei, dans la Revue des études juives, Paris, 1922, t. lxxv, p. 113-118. Raymond Lulle signale, de son côté, l’existence de la cabbale et la croit destinée à rendre les plus grands services à la cause catholique. Ce sentiment est partagé par Marsile Ficin et par Pic de la Mirandole. Voir t. ii, col. 1271.

La valeur des écrits.

La venue du Messie, la

force de l’argument prophétique, l’abrogation de la Loi ancienne s’imposent à la foi du chrétien. Toutes les preuves mises en avant n’eurent pas la même valeur. Il y eut encore, dans cette apologétique, de l’incomplet et du médiocre. Le pseudo-Andronic Comnône, entre autres, use et abuse du sens spirituel pour montrer que l’Ancien Testament est la figure du Nouveau, et l’on se demande si beaucoup de vrais Juifs auraient ratifié l’éloge qu’il se fait décerner par son interlocuteur, c. xxix, P. G., t. cxxxiii, col. 840 : Belle et consenlanee Dei valis oracula sublimi sensu aperuisti, vereque antiquas fulurorumumbras et figuras docuisti. On continue, sauf exceptions, de prétendre que la Trinité est clairement aftirnu’e dans l’Ancien Testament et l’on donne à des textes une portée qu’ils n’ont point. Par une tactique maladroite, c’est précisément par le dogme de la Trinité, c’est-à-dire par le plus difficile, que le pseudo-Comnène, c. i, col. 800, et Guillaume de Bourges, prol. et c. i, dans J. Hommey, Supplementum Patrum, Paris, 1685, p. 412, 417-418, commencent leur exposé apologétique ; d’autres, tel Gautier de Châtillon, P. L., t. cix, col. 426, mieux inspirés, commencent par le plus facile et réservent la Trinité pour la fin. Cf. Alphonse Tostat, De sanctissima Trinitate, p. 13. Puis, nombre de nos controversistes ne savent pas l’hébreu et ne citent pas dans le texte hébreu l’Écriture ; c’est assez pour compromettre leurs démonstrations.

Mais, par bonheur, la connaissance de l’hébreu s’est répandue. Cf. S. Berger, Quam nolitiam lingiue hebraiese habuerint christiani medii sévi temporibus in Gallia, Paris, 1894. Les langues orientales sont étudiées dans certaines universités. Dominicains et franciscains

se mettent à l’école des Juifs pour déchiffrer les écrits talmudiques et rabbiniques. Des Juifs baptisés apportent à l’Église leur savoir et leur prosélytisme. Guillaume de Bourges, prol., p. 412, indique bien leur état d’esprit : Instigantibus, sicut credo, quibusdam fulelibus qui me in notifia linguæ hebraiese credunt aliquanlulum profecisse, compulsus sum de fide nostra calholica, secundum quam (sic) hebraica veritas leslatur, dispiilationis librum componere contra perfîdiam Judœurum. On recourt au texte hébreu de la Bible. Gilbert Crispin déclare qu’il n’y a qu’à s’en tenir aux Septante. P. L., t. eux, col. 1027-1028. En revanche, Pierre le Vénérable renvoie au texte hébreu, P. L., t. clxxxix, col. 527, 617, et aussi Gautier de Châtillon, t. I, c. ii, P. L., t. ccix, col. 427, et, mieux encore, Guillaume de Bourges (cf. sa clavis libelli, p. 416) et les autres Juifs convertis, et surtout Nicolas de Lyre, constamment, cf. Postillæ, prol. ii, Nuremberg, 1497, t. i, fol. ub, et Raymond Martin, qui explique nettement, Pugio fidei adversus Mauros et Judœos, præm., Paris, 1651, p. 7-8, les raisons pour lesquelles il ne suit pas les Septante ni saint Jérôme mais l’original hébreu.

Le délicat était de s’entendre, à partir du moment où l’on était d’accord sur le texte, sur le sens à lui donner. Faire admettre aux Juifs, non pas tant que le sens spirituel s’impose parfois, mais que, dans tel ou tel cas, le sens spirituel qui s’impose est celui qui conclut en faveur du christianisme était une tentative vouée à l’échec. Plus d’un controversiste ne le comprit pas. Cf. Gilbert Crispin, P. L., t. eux, col. 1024-1026 : le pseudo-Guillaume de Champeaux, P. L., t. clxiii, col. 1047-1050, etc. D’autres acceptèrent de ne tenir compte que du sens littéral. Cf. Pierre le Vénérable, P. L., t. clxxxix, col. 617 ; Gautier de Châtillon, t. I, c. ix, P. L., t. ccix, col. 432 ; l’anonyme, c. i, P. L, t. ccxiii, col. 749-750, etc., surtout Nicolas de Lyre, prol. ii, t. i, fol. ub, sur le sens littéral fondement du sens mystique et spirituel : propter quod, sicut œdificium declinans a fundamento disponitur ad ruinam, sic expositio mijstica discrepans a sensu litterali reputanda est indecens et inepta, vel sallem minus decens cœleris paribus et minus apta, et la suite.

Tout compte fait, dans l’ensemble la polémique antijuive est en progrès. A des points de vue divers, un Pierre Alphonse, un Pierre le Vénérable, un Jérôme de Sainte-Foi, un Raymond Martin, un Savonarole. pour ne nommer que ceux-là, ont écrit des œuvres remarquables en elles-mêmes et capables d’impressionner des Juifs sérieux et de bonne foi. A en juger par son traité Contre la loi des Sarrasins, le traité de Ricoldo de Monte Croce est celui dont il faut le plus regretter la perte ; ce fut sans doute, avec le Pugio fidei de Raymond Martin, le plus savant de cette période.

La virulence du ton de ces écrits s’explique par lis mœurs du temps et par les motifs de plainte qu’on avait contre les Juifs. Un Pierre le Vénérable, tempérament ironique s’il en fut, a été mis comme hors de lui-même par les abominations qu’il a découvertes dans le Talmud. Mais la courtoisie et la bienveillance ne sont pas inconnues à nos polémistes. Elles apparaissent dans les deux écrits, par ailleurs si dissemblables, de Gilbert Crispin et de Raymond Lulle. Nicolas de Cues fut pacifique et coneessionniste à outrance puisque, pour réunir toutes les religions sous la bannière de l’Église, il était disposé à sacrifier les cérémonies du culte chrétien. La plupart, y compris les plus véhéments., laissent entendre, a un moment ou à l’autre, qu’ils aiment les Juifs et que la polémique, si rude soit-elle, s’inspire d’un véritable intérêt poulies âmes. Cf. Pierre le Vénérable, prol., P. L., t. clxxxix, col. 509.