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JUIFS (CONTROVERSES AVEC LES), DE 313 A 1100


temps marche, la preuve se renforce : il est de plus en plus manifeste que les Juifs ne sont pas un peuple comme les autres, qu’il y a dans leur histoire de l’extraordinaire. De plus en plus les écrivains ecclésiastiques montrent, dans la dispersion des Juifs à travers le monde, la réalisation des prophéties. En général ils en parlent brièvement, même ceux qui reviennent volontiers sur cette considération, tels Jérôme, Augustin, Isidore de Péluse, etc. Parfois ils appuient, en particulier Eusèbe, Démonstration évangélique, t. VIII, et saint Jean Chrysostome, Contre les Juifs, v, 1-6, 11 ; vi, 2-4, P. G., t. xlviii, col. 883-893, 900901, 905-910.

b) La trinité divine. — On s’explique longuement sur l’unité de la substance divine et la trinité des personnes. Avec l’islamisme un fait nouveau se produit. Pratiquement les Juifs ont, dans les Arabes musulmans, des alliés naturels qui enseignent, avec eux, un monothéisme rigide exclusif autant de la trinité des personnes que de la trinité de nature. Avec eux encore, et avec les iconoclastes, ils condamnent le culte des images. La polémique antijuive se rencontre donc fréquemment avec la polémique antiiconoclaste et la polémique antimusulmane. Mrs M. D. Gibson, Sludia sinaitica, t. vii, An arabic version of the Acts of the Apostles with a trealise on the triune nature of God, Cambridge, 1918, a publié un traité sur la Trinité, qui peut remonter au viiie siècle et qui réfute l’islamisme par les arguments scripturaires en usage dans les écrits antijuifs de saint Justin et des anciens controversistes. Théodore Abucara dispute séparément contre les Juifs et contre les Sarrasins ; ultérieurement ils seront combattus plus d’une fois dans le même traité.

c) La vie et la mort du Christ et l’offensive juive. — Pour éluder la force des textes de l’Écriture relatifs aux souffrances du Messie, les Juifs ont imaginé, peut-être dès le temps d’Adrien, l’existence de deux Messies : l’un, de la race de David, né au moment de la destruction du temple et devant rester invisible, jusqu’à ce qu’il vienne, à la fin, rassembler les Juifs ; l’autre, de la tribu d’Éphraïm, qui sera tué dans la guerre contre Gog et Magog. Amolon, Contra Judœos, c. xii-xxiv, P. L., t. cxvi, col. 148-157, renverse aisément cette théorie inconsistante. En même temps, les Juifs ont continué de dénaturer la vie du Christ. Le Talmud lui prodigue les outrages. Cf. H. von Laible, Jésus Christus im Thalmud, Berlin, 1891 ; A. Meyer, Jésus im Talmud, dans E. Hennecke, Handbuch zu den neutestamentlichen Apokryphen, Tubingue, 1904, p. 47-71. Et les pires inventions d’une haine délirante se donnent rendez-vous dans les Toledot Jesu. I. Loeb, La controverse religieuse entre les chrétiens et les Juifs au Moyen Age en France et en Espagne, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1888, t. xvii, p. 317, cf. 327, dit qu’ « Agobard les connaissait certainement, » quoique dans une rédaction différente de celles qui nous sont parvenues ; il en conclut que les Toledot Jesu sont antérieures au ixe siècle. En réalité, Agobard, De judaicis superslitionibus, c. ix, P. L., t. civ, col. 86, se réfère uniquement à la tradition orale : qui quotidie, cum eis loquenles, mysteria erroris ipsorum audimus. De même Amolon, c. x, xxxix-xl, col. 146-147, 167-169, se réfère non à un écrit mais à des discours : dicunt. Les Toledot Jesu sont une rédaction de récits traditionnels, dont la date précise est ignorée mais qui peut remonter au ixe ou au xe siècle. Quoi qu’il en soit, ce qu’Amolon c. xl, col. 169, appelle immanitas odii in Christum et rabits blasphemandi, ainsi que les entreprises des Juifs contre les chrétiens, indigne nos controversistes. A propos du Perfeclo odio oderam illos du ps. cxxxviii, 22, saint Jérôme écrit : Si expedit odisse homines et

gentem aliquam deteslari, miro odio aversor circumcisionem, usque hodie enim persequuntur Dominum nostrum Jesum Christum in synagogis Satanse. Un Agobard, un Amolon. qui reprennent, celui-ci, c. xli, col. 170, le verset du psalmite, celui-là, c. x, col. 88, et le verset et le commentaire de saint Jérôme, sont comme bouleversés par les blasphèmes des Juifs. Et, passant de la défensive à l’offensive, ils dénoncent leurs abus de tout genre et réclament l’exécution des lois portées contre eux.

7° La valeur des écrits, — L’apologétique antijuive est en progrès, sans être irréprochable.

L’interprétation de l’Écriture est, plus d’une fois, défectueuse ; en particulier, on voit la Trinité dans l’Ancien Testament plus qu’elle n’y est affirmée. Ni le texte qu’on cite n’est toujours excellent ni le sens toujours exact. La connaissance de l’hébreu est rare. Toutefois l’ignorance des choses juives n’est pas universelle. Un Amolon et un Agobard sont au courant des traditions rabbiniques, et, avant eux, un Épiphane, un Jérôme, un Augustin. Saint Jérôme a su l’hébreu : ses travaux ont grandement profité aux études bibliques. Saint Isidore de Séville a écrit « une œuvre curieuse et savante », au jugement d’I. Loeb, op. cit., p. 321. Eusèbe, saint Augustin, saint Jean Chrysostome ont de fortes pages. Comme saint Irénée, mais d’une manière encore plus nette, Augustin résout le problème capital du rapport qui unit les deux Testaments. L’argument tiré des prophéties faites par le Christ, de la condition présente des Juifs, de l’exaltation parallèle de l’Église, semble bien ce qu’il y a de meilleur dans cette polémique, et un écrivain juif, B. Lazare, L’antisémitisme, Paris, 1894, p. 16, estime que Jean Chrysostome « a pu dire justement, » observant que les cérémonies juives n’avaient de valeur que dans le temple de Jérusalem : « Il est admirable et incroyable que tous les lieux de la terre où il n’est pas permis de sacrifier soient accordés aux Juifs, et qu’il ne leur est même pas permis de se rendre à Jérusalem où il est seulement permis de sacrifier. » iv, n. 6, P. G., t. xlviii, col. 880881. Tel mot jeté en passant dans un écrit médiocre, les Trophées de Damas, iv, 5, P. O., t. xv, p. 271-272, ouvre une perspective merveilleuse : « II a dit, à propos de celle qui l’a oint de myrrhe : « Partout où « sera prêché cet Évangile, sera prêché aussi ce qu’elle « a fait en mémoire d’elle. » Voici qu’elle est prêchée aujourd’hui comme tous le savent. »

Le ton de ces écrits est généralement vif. Les épithètes dures sont multipliées. Celle de « Juifs perfides », la plus usuelle, tend à revêtir un sens nouveau : primitivement la « perfidie juive » a été synonyme d’ « incrédulité juive », « incrédulité qui s’obstine, qui s’aveugle volontairement ; » elle passe d’une signification intellectuelle à une signification morale, et désigne l’astuce et la trahison. On applique aux Juifs, avec les expressions sévères de l’Ancien Testament, les qualifications agressives, des païens. En voir une liste dans J. Juster, Examen critique des sources relatives à la condition juridique des Juifs dans l’empire romain, Paris, 1911, p. 31-34. Même chez les écrivains qui frappent le plus énergiquement contre les Juifs, on trouve des protestations de dévouement surnaturel envers eux et d’amour sincère. Cf., non seulement saint Augustin, Adversus Judœos, c. x, P. L., t. xlii, col. 63-64, et saint Léon, Serm., xxv, 2-3 ; lii, 5 ; lxx, 2, P. L., t. liv, col. 251, 316, 351, 381, mais encore Agobard, De insolentia Judœorum, c. iv, P. L., t. civ, col. 74 ; Amolon, c. lix-lx, col. 184.

! T Travaux. — P. Corssen, Die altercatio Simonin judeei et Theophili christiani au/ ihre Qællen gei>riï/t, Berlin, 1890 ; S. Krauss, The Jews in the Works of the Church Fathers, dans The jewhsh quarterly review, Londres, 1893-1894, t. v,