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JUGES (OBLIGATIONS DES)


serait autrement s’il s’agissait de peines qui atteignent la personne même, telles que la peine de mort, la mutilation ou l’emprisonnement. Gomme la société ne peut rien entreprendre contre la vie ou la liberté d’un innocent, il ne lui est pas permis d’autoriser un juge à le faire. En pratique, au tribunal de la pénitence on n’a pas le droit d’inquiéter un juge qui adopte l’opinion de saint Thomas.

4° Quelle sentence un juge est-il tenu de prononcer dans les causes douteuses ? — La cause est douteuse ou parce qu’on ne peut établir avec certitude le crime, le délit, le fait qui justifie la poursuite, ou parce que la loi est interprétée diversement par les juristes : dans un cas, c’est le doute de fait, dans l’autre, le doute de droit. La cause encore est civile ou en matière criminelle. S’il s’agit d’une affaire criminelle, le juge doit prononcer en faveur de l’accusé. Il s’exposerait, en le condamnant sans être certain de son crime, à punir un innocent. S’agit-il d’une affaire civile, il est tenu de juger en faveur de celui qui possède, selon un adage du droit : In dubio melior est condilio possidentis. Il est équitable de ne point sacrifier le droit du possédant tant que le droit de la partie adverse n’est pas dûment établi. Telle est l’opinion de saint Alphonse de Liguori, considérée comme plus commune. Si aucune des parties n’est en possession de la chose contestée, le juge doit se déclarer pour la partie dont le droit est le mieux appuyé, paraît le plus probable, comme il résulte de la proposition suivante condamnée par Innocent XI : Probabiliter existimo, judicem possc judicare juxta opinionem etiam minus probabilem. Denzinger-Bannwart, n. 1152. Dans le cas où les raisons sont également probables de part et d’autre, ou même dans le doute sur leur équivalence, le juge pourra, disent les uns, partager entre les parties adverses le bien en contestation, ou les amener à s’arranger entre elles, répliquent les autres, ou même, s’il n’y parvient pas, donner gain de cause à la partie de son choix, comme ont pensé d’aucuns. Jamais cependant, même en ce cas, il ne lui sera permis d’accepter les dons qu’une des parties lui offrirait, afin d’être favorisée de préférence à l’autre. Cette pratique est réprouvée dans la proposition suivante condamnée par Alexandre VII : Quando liligantes habent pro se opiniones œque probabiles, potest judex pecuniam accipere pro ferenda sententia in favorem unius prse alio. IbitL, ii, 1126.

5° A quoi est obligé le juge qui a prononcé une sentence injuste ? — Un juge qui, par une faute théologique et grave, qu’elle soit l’effet d’une volonté inique, de son ignorance ou de son incurie, porte une sentence contraire à la justice, est tenu de la révoquer s’il le peut, dût-il en éprouver lui-même un gros préjudice, et s’il ne le peut pas, il doit indemniser de tout le tort qu’il leur a fait ceux dont il a lésé les intérêts. Il en serait autrement si l’injustice commise par le juge n’était de sa part aucunement volontaire. ou ne l’était pas suffisamment pour constituer un péché mortel. Il devrait encore révoquer le jugement rendu, mais dans le cas seulement où il le peut sans grand inconvénient pour lui. Notons pourtant qu’il est obligé de ne rien omettre de ce qu’il peut faire commodément, pour empêcher les conséquences d’une erreur ou d’un oubli qui, bien que légers, involontaires, demeurent son fait ; et s’il se rendait en cela coupable de négligence grave, il devrait réparer tout le dommage causé par la sentence injuste qu’il a rendue. Le juge qui inflige une peine exorbitante, pèche contre la justice commutative, et il doit réparer Je tort qu’il fait. La peine est censée exorbitante corsque, sans cesser d’être légale, elle ne tient pas lomptr des circonstances atténuantes non plus que de la jurisprudence des tribunaux. Si le juge, arbi trairement et contre tout droit, exonère un condamné de l’amende dont est frappé un délit, il n’est pas obligé de restituer ni au fisc ni à un particulier quelconque ; car avant la sentence du tribunal, nul n’a un droit strict de percevoir l’amende.

III. Obligations analogues a celles du juge. — 1° Les jurés.

Les obligations des jurés sont analogues

à celles des juges. Il convient d’en dire un mot. Par jurés, on entend des citoyens assermentés que le droit moderne a établis juges du fait. Ils sont chargés dans les affaires portées devant la Cour d’assises, de se prononcer, suivant leur conscience et après avoir suivi les débats judiciaires, sur la culpabilité ou la non-culpabilité d’un prévenu, l’application de la peine édictée par la loi étant réservée aux magistrats proprement dits. De leur verdict, soit qu’il condamne, soit qu’il absolve, les jurés n’ont à rendre compte devant aucune juridiction humaine. Ceci n’est pas sans danger pour la morale publique, si les membres dont se compose le jury ne sont pas des hommes d’une parfaite intégrité.

Bien que dépourvus de science juridique, appelés à se prononcer en des causes difficiles, embrouillées, les citoyens désignés pour la fonction de jurés, peuvent en toute sûreté de conscience, accepter de la remplir. Il est nécessaire, mais il suffit, qu’ils aient la ferme volonté de ne jamais condamner un accusé s’il n’est certainement coupable. Pourvu qu’ils soient sans passion et qu’ils suivent attentivement les débats, ils ne seront pas amenés à condamner un innocent. Il leur arrivera peut-être d’absoudre un coupable, mais c’est là un accident qui tient moins aux jurés eux-mêmes qu’au vice de l’institution du jury.

La persuasion intime, d’après laquelle un juré doit émettre un vote ou pour ou contre l’accusé, résulte non seulement des débats judiciaires mais encore des renseignements privés dont il dispose.. Il ne saurait donc tenir pour coupable un inculpé juridiquement convaincu mais que de science privée il sait innocent. Si quelque juré moins intelligent, arrêté par les difficultés d’une cause obscure, ne peut se faire une conviction, il a le devoir de voter en faveur de l’accusé ou du moins de déposer un bulletin blanc. Dans le cas où, d’après les dépositions légalement reçues et les preuves juridiques, l’accusé serait tenu pour innocent, bien que, de science privée, un juré le sût pertinement coupable, à quoi ce juré devrait-il se résoudre ? Pourrait-il l’absoudre, sous prétexte qu’il n’est— pas permis de faire abstraction des débats judiciaires ? Devrait-il au contraire, le condamner pour ce motif que la loi même l’oblige à se prononcer selon la persuasion intime de sa conscience ? On a répondu tour à tour dans les deux sens. Nous estimons cependant que ce juré n’hésitera guère à voter un verdict d’acquittement ; car l’intime persuasion de la conscience dont parle la loi, s’entend plutôt et d’abord de la conviction qu’engendrent les preuves légales et juridiques.

Avocats.

Nous rattachons ce sujet à celui des

juges parce qu’on a omis de parler jusqu’alors ex pm/esso des obligations des avocats, et parce qu’il n’est point totalement étranger à la matière qu’on y traite. L’avocat a pour profession de plaider en justice la cause d’un client, au civil ou au criminel. Au talent de la parole, il est nécessaire qu’il joigne une science Juridique compétente. Les conseils qu’il est appelé à donner, les intérêts parfois considérables dont il prend la défense lui en font un devoir. Il y aurait de sa part une témérité grave à se charger d’une affaire qu’il se sentirait incapable de plaider : il perdrait inévitablement sa cause et il devrait réparer tout le dommage imputable à son ignorance.

Les obligations d’un avocat dont nous formulons