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JUGES (OBLIGATIONS DES


justice non d’une façon arbitraire mais selon les lois « le la société au nom de laquelle il exerce son mandat. C’est précisément pour instruire légalement un procès et porter une sentence juridique, qu’il est constitué en charge. De sa part, une infraction aux lois est une faute contre la justice légale et assez souvent contre la justice commutative. Que dans une cause civile, par exemple, il refuse d’accorder à l’une des parties ce que la loi lui attribue, ou qu’en matière criminelle, il excède dans la répression par des peines exorbitantes, non seulement il oiïense le droit public mais il lèse l’intérêt des particuliers.

Le juge dans l’exercice de sa fonction ne peut donc sortir de la légalité, même si la loi qu’il est tenu d’appliquer lui semble un peu dure, insuffisamment équitable. Cependant sa conscience lui interdit de juger conformément à une loi certainement injuste. Une disposition législative de ce genre n’a plus, au regard de la morale, le caractère d’une loi. Non seulement elle n’oblige pas, mais, le cas échéant, on a le devoir de lui résister. Deux hypothèses sont à envisager selon que la loi civile reconnue injuste est en conflit ou avec une loi simplement ecclésiastique, ou avec le droit soit naturel soit divin. S’agit-il d’une loi dont le souverain pontife dispense, telle que serait la loi des immunités, le juge n’a qu’à solliciter du pape l’autorisation de porter une sentence en la matière. Il l’obtiendra aisément, d’autant que la société religieuse a tout intérêt à ce que des juges honnêtes et chrétiens gardent leurs fonctions, n’aient pas à se démettre de leur charge pour des motifs de conscience. Toutefois ce juge devra user de la faculté obtenue de manière à ne provoquer dans le public ni étonnement ni scandale. Mais si la loi civile est injuste parce que contraire au droit ou naturel ou divin, le juge ne pourra rendre une sentence qui obligerait quelqu’un à la suivre, ou punirait celui qui la transgresse. Toute sentence conforme à une loi de ce genre est un acte de soi mauvais et le juge devrait renoncer à sa charge plutôt que de le commettre. Ainsi, en théorie, un juge ne peut aucunement prononcer le divorce entre époux légitimement mariés, c’est-à-dire qu’il lui est défendu de rien faire pour rompre le lien du mariage et permettre aux conjoints de convoler à d’autres noces. Pour les applications pratiques, voir Divorce, t. iv, col. 1476. Il ne peut davantage, par un jugement, obliger un homme et une femme unis par le mariage civil, à mener la vie commune. Tous les auteurs sont aussi d’accord pour lui interdire de frapper d’une peine très grave le transgresseur d’une loi injuste. Plutôt que de consentir à l’injustice qu’il y aurait à le condamner à la peine de mort ou à une longue réclusion, il devrait se démettre de sa charge. Si la peine est légère, les moralistes, en général, hésitent à se prononcer, n’osant incriminer le juge qui l’inflige par crainte du gros inconvénient d’une démission. Il semble pourtant que, même dans ce cas, la sentence demeure un acte mauvais. L’acte ne changerait de nature et ne serait licite, comme ont expliqué d’aucuns, que par le consentement au moins présumé, de celui qui se soumet à la peine. C’est ainsi qu’on absoudra le juge, qui condamne à l’amende un prêtre qui a procédé à la bénédiction nuptiale avant que le mariage civil ait été célébré.

Il en est qui ont contesté la doctrine communément reçue, à savoir : qu’un juge ne peut en aucun cas prononcer une sentence conformément à une loi injuste. Us prétextaient que la fonction du juge se borne à déclarer le droit, à définir la loi, à en révéler la teneur. Or expliquer une loi, soit juste soit injuste, est chose de soi indifférente. Il est douteux qu’un juge accepte ce rôle diminué qui est plutôt le rôle du jurisconsulte. Autre, en effet, est la portée d’une

sentence judiciaire : elle crée un droit nouveau qu’on a souvent qualifié de loi particulière ; elle engendre une obligation nouvelle de conscience, l’obligation soit de subir une peine, soit d’accepter un droit défini, soit de tenir pour juridique la solution de doutes

3° D’une manière générale, un juge doit s’en tenir aux preuves juridiques et juger une cause secundum allegata etprobata. — Il pourrait arriver qu’il sût pertinemment, de science privée, en son for intime, les conclusions judiciaires absolument fausses. Mais dans le juge en fonction le particulier s’efface, il n’y a plus que le magistrat dont le devoir est de s’éclairer et d’agir d’après des témoignages et une science d’ordre public. C’est le sentiment communément admis par les auteurs si la sentence portée est en matière civile. On suppose évidemment que le juge ne peut en aucune manière faire tomber les preuves légales et juridiques qui motivent son jugement. Il est entendu de même que, au for de la conscience, la partie gagnante ne peut se prévaloir de la sentence obtenue. De l’aveu de tous, en matière de crime ou de délit, le juge est obligé d’absoudre l’accusé qu’il sait être coupable mais dont la culpabilité n’a pu être juridiquement établie. Le condamnant, il pécherait à la fois contre la justice légale et la justice commutative. S’agit-il, au contraire, d’un prévenu que le juge en son âme et conscience sait être innocent, mais qui a malheureusement contre lui toutes les preuves légales et juridiques, la question est controversée entre moralistes. Il est intéressant d’entendre les opinions divergentes de maîtres de la théologie morale et les principes de solution auxquels ils se sont arrêtés.

Assurément, dans ce cas angoissant pour la conscience, un juge ne doit rien épargner pour soustraire un innocent aux risques de l’accusation ; il aura donc recours à tous les expédients de la procédure, il épuisera tous les moyens dilatoires, on même il fera évoquer l’affaire à un autre tribunal. La charité envers un malheureux prévenu et son bon droit surtout, en font au juge un rigoureux devoir. Cependant si le juge ne peut par aucun moyen sauver l’innocent que la justice tient pour convaincu, saint Thomas estime qu’il est en droit de le condamner, secundum allegata et probata, et il n’excepte pas le cas de cause capitale. Le juge est un homme public ; il ne lui appartient de juger qu’en cette qualité seulement : la science qui éclaire sa religion ne peut être non plus que du même ordre. Les renseignements privés dont il dispose, s’ils contredisent formellement les témoignages légalement reçus et les preuves juridiques, ne peuvent servir qu’à le rendre plus attentif et plus sévère dans l’examen et la discussion des charges qui pèsent sur l’inculpé. Et si l’innocent succombe, s’il est condamné à la peine de mort, ce n’est point le juge mais les faux témoins qui le tuent. S. Thomas, Sum. theol., IP*-ILe, q. lxiv, a. 6, ad 3um ; q. lxvii, a. 2.

Si cette opinion n’avait été mise en avant par l’Ange de l’École, peu d’auteurs auraient osé la soutenir. Reconnaissons pourtant qu’elle heurte le sentiment plutôt que la logique et le bon sens. Saint Bonaventure nie absolument qu’un juge soit jamais en droit de condamner un innocent ; il considère l’acte comme intrinsèquement mauvais dans tous les cas. D’autres, de Lugo, Lessius, saint Alphonse distinguent selon le genre de peine encourue. Il serait permis au juge de condamner un innocent secundum allegata et probata, toutes les fois que la peine infligée s’arrête aux biens extérieurs, comme amende, suppression de charge, etc., parce que la société conserve sur cette sorte de biens un haut domaine et peut en déposséder quelqu’un, dans l’intérêt de tous, pour le maintient par exemple, de l’ordre régulier de la justice. Il en