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.TIGES (LIVRE DES), LA RELIGION


royauté. « La parole de Jahvé était rare en ce temps-là. » I Sam., iii, 1. Le jalivéisme vit en vertu du principe divin qui l’anime, entraîné par l’impulsion que Moïse lui avait donnée, soutenu par l’attachement de ceux qui lui restent fidèles. Mais, autant que nous puissions voir, il ne se développe pas ; il résiste aux forces adverses qui l’assaillent ; il subsiste avec ses traits essentiels ; vu les circonstances, c’est beaucoup.

Mais si les croyances qu’il imposait n’étaient guère plus développées qu’à ses origines, cependant quelques-unes d’entre elles prirent alors spontanément un peu plus d’importance ou tout au moins de relief.

C’est surtout, semble-t-il, la notion de Jahvé qui, durant cette période, acquiert plus de précision. Il n’est guère constestable que de simples jahvéistes, étrangers au milieu lévitique où la foi pouvait être plus éclairée, entrevoient alors d’une façon plus explicite la conception du monothéisme. Non pas que leurs idées eussent été clarifiées par une métaphysique qui n’aurait pas trouvé de place dans leur esprit ; mais même encore enveloppées dans les manières de voir et de parler courantes à cette époque, elles témoignent de la hauteur des convictions religieuses de ces privilégiés de la foi. Jephté, par exemple, qui parle du dieu Camosh, bienfaiteur de son peuple, comme il parle de Jahvé, bienfaiteur d’Israël, n’a pourtant pas l’intention d’égaler ces dieux. Jud., xi, 24-28 et spécialement f. 21, 24, 27. Quelque pouvoir qu’il attribue au dieu de Moab dans les affaires des Moabites, il prétend bien que Jahvé, qui n’eu fait pas moins pour les siens, saura contraindre le dieu des païens à respecter ses droits. Pour Jephté, Jahvé est le Dieu d’Israël ; c’était l’idée antique sanctionnée par le pacte du Sinaï ; mais Jahvé étend son pouvoir au delà des frontières du pays qu’il s’est choisi, et il réussira à trancher un différend que ni les hommes, ni Camosh ne peuvent débrouiller ; il montre par là qu’il n’est pas de niveau avec son rival, bienfaisant assurément, mais infirme et d’une espèce médiocre qui n’est pas la sienne. Il y a dans cette croyance d’un jahvéiste qui était un fervent aveugle mais qui, en même temps, n’était qu’un soudard, les éléments grossiers et mal dégagés de la foi en la transcendance du Dieu des Hébreux.

La croyance de Gédéonest moins rudiment aire. Pour lui, Jahvé apparaît bien comme le Dieu. A ses yeux, le Baal d’Ophra, dont, à la suite d’une vision nocturne, il va renverser l’autel et brûler l’asêrâ, n’a évidemment rien d’un dieu ; il le méprise, il l’insulte de gaieté de cœur. Car s’il hésite un instant à accomplir son coup d’audace, ce n’est pas qu’il redoute la vengeance de ce dieu en qui il ne croit pas ; c’est qu’il craint les représailles des baalistes, parmi lesquels il comptait des parents. De même, l’attitude de son itère qui tient tête à la foule en fureur et exigeant la mort du sacrilège, n’est au fond qu’un défi injurieux au Baal : un dieu qui ne sait pas se défendre lui-même, qui ne prend pas sa propre cause en main, n’est qu’un dieu imaginaire. Jud., vi, 25-32.

Pour les vrais jahvéistes et même en partie pour la masse, Jahvé était donc le seul Dieu qui comptât vraiment. Par suite, ce que les adorateurs des faux dieux attribuaient de droits et de puissance à leurs vaines divinités, le jahvéiste pensait bien que son Dieu les possédait aussi. Sur les biens de la terre et de l’étable, Jahvé exerce autant de pouvoir que le Baal le plus généreux. Pour les sacrifices humains, pour les sacrifices d’enfants en particulier, où les baalistes devaient se vanter de surpasser les fidèles de Jahvé par leur générosité odieuse et cruelle, l’Israélite savait répondre que son Dieu n’était pas moins exigeant que les leurs. Jephté les en pouvait convaincre en les imitant. Mais les I lébreux ripostaient avec plus de noblesse en oppo sant la bonté de Jahvé à la soif de sang du Baal. Car Jahvé, lui aussi, réclamait des siens l’oblation du premier-né de l’homme comme l’offrande du premier-né de la bête du troupeau. Mais, montrant par là son horreur pour l’effusion religieuse du sang humain, il les rendait, aussitôt offerts, en retour d’une victime de rachat qui ne les valait point.

Jahvé témoignait encore son attachement à son peuple par les théophanies. Celles que rapporte le Livre des Juges sont accordées par l’intermédiaire du « Messager (ou Ange) de Jahvé » ou « de Dieu ». Ce personnage se montre à la Maison d’Israël, Jud., n, 1-5 ; à Gédéon, Jud., vi ; aux parents de Samson, Jud., xiu. Il est aussi mentionné dans le cantique de Débora, Jud., v, 23’, mais peut-être, en raison de la surcharge qu’il apporte au vers, faudrait-il lire simplement « a dit Jahvé » en supprimant « l’Ange de » : par contre, il conviendrait de le restituer, d’après le grec Alexandrinus, dans Jud., iv, 8 (Baraq et Débora). Dans les deux théophanies dont sont favorisés Gédéon et les parents de Samson, le messager de Jahvé a une forme humaine ; il converse ; mais il refuse de manger le repas qui lui est oiîert comme à un hôte. C’est seulement lorsqu’il disparaît de façon mystérieure que ses interlocuteurs comprennent enfin qu’ils n’ont pas eu affaire à un homme mais à un être divin, dont la vue les expose à la mort. Dans ces divers cas, il s’agit clairement d’une manifestation divine. Mais la nature du messager et sa relation avec Jahvé demeurent assez obscures. Non seulement ici, mais dans les autres passages où il apparaît (il ne se trouve mentionné que pour la période ancienne de l’histoire d’Israël), tantôt il semble être Jahvé lui-même se manifestant, tantôt il paraît être distinct de Jahvé. Aussi n’est-il pas invraisemblable qu’il faille distinguer dans les croyances qui se réfèrent à lui deux idées, d’abord distinctes, qui se fusionnèrent par la suite. Aux périodes très anciennes on pensait que Jahvé entrait en relation avec les hommes, soit en se manifestant personnellement à eux sous forme sensible, soit en leur envoyant, tout comme fait un roi pour ses sujets, quelque messager à ses ordres qui le représentait. Mais un temps vint où. le respect de la divinité se faisant plus scrupuleux, on répugna à dire que Jahvé, l’être inaccessible et immatériel, prenait une forme humaine. Sous l’inspiration de cette réserve, on aurait retouché les récils, soit oraux soit écrits, en faisant intervenir, même là ou primitivement Jahvé paraissait lui-même, un messager qui prenait sa place, parlait, commandait et restait mystérieux comme lui. dette manière de voir pourrait se justifier par plusieurs passages où Jahvé cl son ange apparaissent tour à tour (voir, par exemple, Jud., vi, 14, 1(>, 23, Gédéon ; xiii, 22, Manoé) et par d’autres où l’addition de « Ange de « à Jahvé, soit dans l’hébreu soit dans les grec, indique suffisamment la retouche intentionnelle. Sur cette question, voir Gunkel, Genesis, 4e édit., p. 187 ; Lagrange, L’Ange de lahvé, dans licime biblique, 1903, p. 212 sq. Enfin, en ce qui concerne, la grande idée religieuse qui a inspiré la rédaction du Livre des Juges en particulier, à savoir que l’oppression était un châtiment de l’impiété, le retour à Jahvé un résultat de [’oppression, et la victoire la conséquence du retour à Jahvé, cette idée historico-religieuse n’était pas aussi absente de l’esprit des Hébreux de cette période qu’on le prétend parfois. Sans doute elle ne tient pour bien dire aucune place dans les récits anciens utilisés par la rédaction ; ils se bornent plutôt à raconter les événements, avec des préoccupations religieuses sans doute, mais non avec l’intention de souligner le caractère de châtiment cpie les rédacteurs attachent, dans leurs introductions, aux diverses oppressions. Il n’y a guère que Jud., v, 8 : « il (on ?) choisit d’autres dieux : alors la