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JUGES (LIVRE DES), LA RELIGION


sainteté ont contrebalancé l’influence néfaste du paganisme cananéen et entretenu ou ravivé l’influence bienfaisante de la religion nationale.

A côté de ces jahvéistes que leur rôle a signalés à l’histoire, il en existait d’autres qu’elle ne mentionne qu’en peu de mots ou qu’elle a complètement oubliés. Dispersés dans la masse, étrangers à ses fautes, obscurément fidèles aux pratiques et aux mœurs antiques, ils étaient, au sein du peuple, comme le levain du jahvéisme authentique. Les textes n’en parlent guère. Mais ici ou là pourtant, on rencontre de ces menus faits significatifs qui suffisent à mettre en lumière les dispositions intimes de ces nobles âmes. Les parents de Samson et ceux de Samuel, le vieux prêtre Héli et sa belle-fll.’e, femme de Phinées, sont des exemples de piété profonde et de tenace attachement à Jahvé.

On peut bien penser que de seniblables fidèles ne manquaient pas alors en Israël, et l’on voit assez que, modeste et silencieuse, leur action ne fut pas d’une médiocre efficacité pour la conservation, le long des siècles et dans des milieux fort souvent réfractaires, de l’esprit jahvéiste et des mœurs traditionnelles.

C’était parmi ces familles que la ferveur de la religion suscitait des vocations où le jahvéisme antique réapparaissait sous des formes encore plus accusées. Durant la période des Juges, les nâbis populaires ne nous sont pas longuement signalés par les textes dont nous disposons. Ce n’est qu’à partir de la royauté naissante qu’ils commenceront leur rôle, dont la vigueur intrépide décuplait la bienfaisance. Au défaut des nâbis il y a lieu de signaler les naziréens, c’est-à-dire les « consacrés ». Samson et aussi Samuel sans doute en sont les représentants pour la présente période. L’homme « dévoué » l’était quelquefois par ses parents dès avant sa naissance. Il devait, en général, porter toute sa chevelure et peut-être s’abstenir des boissons fermentées. Il y avait là plus qu’une abstinence de pénitent, plus qu’une fantaisie d’ascète. En réalité, dans la soumission volontaire à cette double pratique, s’exprimait l’intention, mais une intention sans doute alors des plus confuses, de maintenir, dans le service de Jahvé, des formes extérieures consacrées par certaines traditions dont l’origine serait à chercher dans les âges les plus reculés. La tête rasée peut-être et, plus sûrement, l’usage des boissons fermentées marquaient, en effet, l’acceptation des mœurs propres aux populations sédentaires ; y renoncer, c’était revenir dans quelque mesure aux mœurs les plus anciennes, à celles du temps où les patriarches, pères de la nation, et les ancêtres contemporains de la révélation mosaïque menaient encore en grande partie la vie nomade ou conservaient au moins, dans le culte du Dieu qu’ils servaient, des pratiques rituelles toutes pénétrées de la simplicité et de l’austérité du désert.

Ces quelques détails que nous fournissent des textes trop parcimonieux prouvent suffisamment que la vraie religion n’était pas, du temps des Juges, timidement cachée dans quelques sanctuaires bien fermés, et, mieux encore, qu’elle n’avait pas disparu, comme on le laisse parfois trop entendre. En réalité, la vie jahvéiste, tantôt s’épanouissant et tantôt se faisant obscure, pénétrait, s’insinuait, se montrait ou se devinait partout ; et partout elle avait encore assez de vigueur et d’austères attraits pour contrebalancer l’influence exercée par la vie païenne, qui s’étalait odieusement sur cette terre sensuelle de Canaan.

La vie religieuse.

Grâce à l’influence des principes

et à l’action des hommes dont il vient d’être parlé, l’unité du jahvéisme s’était maintenue en Canaan au temps des Juges, unité bien remarquable, si on la met en parallèle avec le morcellement religieux qui avait partagé le Canaan païen entre ses multiples divinités locales : un seul et même Dieu, un culte uni forme, des prescriptions morales et rituelles d’une teneur et d’une obligation identiques pour tous les Hébreux fidèles à leur devoir, voilà ce que ce pays, si exigu qu’il fût, n’avait pas encore vu au cours de sa longue histoire.

Il y manquait pourtant encore quelque chose. C’eût été de voir le culte centralisé à un sanctuaire unique et tous les Hébreux s’y rendre pour apporter leurs hommages et leurs offrandes à Jahvé. Bien que ce ne soit pas là un idéal dont notre époque ou nos idées nous fassent beaucoup apprécier la hauteur ou l’importance, c’en était un pour ces âges reculés dont les vues religieuses diffèrent en plus d’un point si profondément des nôtres. Cette unité cultuelle devait, en somme, tout à la fois exprimer et sauvegarder l’unité du Dieu servi, l’unité des croyances et des rites, l’unité du peuple même dans l’ordre national. Mais, pendant la période des Juges, s’il se fit quelques essais dans ce sens, comme, par exemple, la tentative éphraïmite en faveur du sanctuaire de Silo (Jos., xxii, 9-34), la réalité demeurait encore extrêmement lointaine de l’idéal presque atteint du temps de Moïse.

L’unité cultuelle, en effet, se trouvait gênée par la multiplicité des lieux saints qu’on fréquente, par l’obscurité où semble plongée l’arche, par l’étendue du territoire hébreu qui complique les pèlerinages au centre, par la survivance de pratiques religieuses particulières à des familles ou à des cités, enfin, par l’érection de nouveaux autels que les plus saints personnages élèvent en l’honneur de Jahvé. Cette situation religieuse ne correspond point à ce qu’elle aurait été si les lois du Pentateuque actuel avaient été observées. On en a tiré la conclusion que ces lois n’étaient pas formulées, comme si la pratique dans une nation n’était en fait que le décalque de la loi dans la réalité. Disons plutôt que la loi mosaïque n’avait alors ni toute l’ampleur ni toute l’autorité qu’elle acquerra plus tard, qu’elle représentait un idéal sacerdotal que les populations peu instruites et pas toujours bien disposées ne se souciaient guère de suivre, que les détails proprement religieux que l’on peut extraire de récits de bataille ne sauraient représenter à eux seuls toute une situation religieuse et enfin que nombre de ces récits eurent pour auteurs des personnages qui. n’appartenant point aux milieux sacerdotaux, n’attachaient pas toujours une importance de premier plan aux questions proprement sacerdotales.

Le sacerdoce lui-même ne présentait point l’aspect que lui donnent les ordonnances mosaïques. Pour l’oblation du sacrifice, en particulier, on en était resté à peu près aux mœurs patriarcales où le cheikh, rassemblant en lui tous les pouvoirs qui se dissocieront plus tard, se considérait comme le sacrificateur dans sa famille. Aux lévites pourtant appartiennent en propre des fonctions sacerdotales qu’on ne leur discute point : ils sont seuls à interroger l’éphod-oracle et seuls ils touchent et portent l’arche. C’étaient là deux fonctions spécialement créées par le jahvéisme mosaïque, de ces innovations religieuses que l’ère patriarcale n’avait point connues et dont les chefs de famille ne s’arrogeaient pas l’exercice. Ce n’est qu’à la longue, grâce au prestige du temple de Jérusalem, à l’appui de la royauté et à la faveur des bouleversements politiques que les prêtres arriveront effectivement à posséder le rang et les fonctions que leur attribuent les codes mosaïques.

Les idées religieuses.

Les idées religieuses des

milieux jahvéistes à l’époque des Juges ne semblent pas avoir dépassé le niveau où elles se trouvaient du temps de Moïse. Il ne paraît alors ni révélation, ni grande idée directrice nouvelle, ni même une forte personnalité religieuse : Samuel ne jouera le rôle qui le met hors de pair à cette époque que dans l’institution de la