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JUGES (LIVRE DES), LA RELIGION


drc l’usage dans le pays qu’ils occupaient et surtout dans les régions où, comme chez les Danites, ils se mêlaient pacifiquement aux Hébreux. Saiil, probablement à l’instigation de Samuel, portera un peu plus tard un décret d’expulsion contre les sorciers et les évocateurs de morts : mais on sait qu’il ne sera guère obéi, tant le peuple avait de goût pour ces pratiques, et que lui-même ira secrètement demander à une nécromancienne de lui lever, sur le sort qui l’attendait, un coin du voile que Jahvé s’obstinait à tenir baissé. I Sam., xxviii, 7-25.

Si ces divers détails représentent assez exactement les divers traits des déformations subies par le jahvéisme dans la masse du peuple hébreu au cours de la période des Juges, il importe cependant de ne pas envisager ce tableau d’ensemble comme l’image de la vie religieuse de tout le pays hébreu à un même moment. Dans la réalité, les traits de ce tableau devaient apparaître plus épars. La « canaanisation » des idées et des rites ne s’opérait point partout d’une manière ni d’une allure uniformes. Ici, la sensualité pouvait dominer, tandis que là dominait la préoccupation de la terre et du troupeau. Dans les sanctuaires fréquentés de plusieurs lieues à la ronde, le culte s’était sans doute enrichi en raison de l’afiluence des pèlerins ; il pouvait rester plus voisin de son type hébreu dans certains sanctuaires isolés et dans les cantons où les jahvéistes, plus nombreux que les Cananéens, tenaient ceux-ci à l’écart. De plus, cette transformation, quand elle s’opérait, ne marchait point partout d’un pas égal. Tantôt rapide et tantôt lente, tantôt passagère et vite conjurée, tantôt profonde et bientôt définitive, elle mit, à vrai dire, plusieurs siècles pour contaminer tout le pays d’Israël. Mais il semble du moins que cette œuvre néfaste était plus qu’esquissée quand s’acheva la période des Juges, après le milieu du xi c siècle avant Jésus-Christ.

Les forces de résistance du jahvéisme.

En dépit

d’une adaptation partielle qui se constate aisément, Israël réussit à ne pas se fondre en un Canaan simplement renouvelé, ainsi qu’avaient fait les divers éléments de population qui s’étaient établis dans le pays au cours des siècles antérieurs à son arrivée ; il demeura lui-même, il garda son individualité, il constitua en Canaan un peuple nouveau. Cette stabilité frappe l’historien. On ne peut se défendre de sentir que Dieu veilla sur Israël pour assurer sa survivance et l’accomplissement de sa destinée ; il l’aida en des moments difficiles à rester un peuple indépendant et à éviter, dans sa religion, les défaillances irrémédiables. Les forces qui furent mises en œuvre pour obtenir ce résultat pourraient se ramener à trois : le sentiment de l’unité nationale ; l’action des lévites et l’influence des saints de ces anciens temps.

1. Le sentiment national. — Il fut la plus générale des forces de résistance que le jahvéisme authentique opposait à l’action néfaste de la religion cananéenne. Les tribus hébraïques avaient conscience qu’il existait plus de liens entre elles qu’il n’y en avait entre elles et les autres peuples, qu’elles possédaient en propre un fonds commun d’idées et d’aspirations identiques, que l’aide réciproque au temps de la conquête ou à l’heure d’un nouveau danger avait été et restait pour chacune un devoir, que leur véritable destinée enfin ne se réaliserait quepar leur union complète et durable. Or ce sentiment national, qui pénétrait ainsi le plus intime de la vie d’Israël, dérivait avant tout d’une idée religieuse : c’est que l’on était « le peuple de Jahvé ».

Considérable dans le domaine politique, très active dans le domaine moral, l’influence de ce sentiment fut particulièrement bienfaisante dans le domaine religieux. L’idée que la religion de Jahvé était le bien

propre et réservé d’Israël nous paraît une idée étroite ; nous avons même peine à la comprendre, parce que le christianisme nous a familiarisés avec la conception haute et noble de la religion universelle. Mais qui ne voit qu’en partageant avec toute l’antiquité cette idée de la religion nationale, l’Israël ancien était mieux en mesure de conserver son monothéisme ? Car, si ses croyances l’enfermaient encore comme dans des barrières qui empêchaient les autres peuples de se mêler à lui, il y trouvait aussi une protection, puisqu’elles le défendaient contre la tentation de se rapprocher d’eux. Aussi la période des Juges, celle des débuts de la royauté et même, on peut dire, l’histoire entière d’Israël nous montrent-elles que toutes les fois que le sentiment national s’exaspérait sous la pression d’un danger qui menaçait un groupe ou la totalité des tribus hébraïques, c’était bien pour sauver l’honneur d’Israël, mais c’était au nom de l’unité religieuse qu’on se levait pour lui faire face : à chaque sursaut national correspondait un renouveau religieux.

On en a vu maints exemples à l’occasion des faits rappelés plus haut. La guerre ne se faisait qu’au nom et avec l’aide de Jahvé ; aussi la victoire, qui répondait à la foi des tribus, était vraiment un triomphe pour Jahvé, une renaissance pour la religion d’Israël, une défaite pour les religions païennes.

2. Les lévites.

Représentants officiels du jahvéisme mosaïque, détenteurs des taras ou instructions divines, gardiens des prières et des rites traditionnels, consulteurs attitrés et, en droit, exclusifs de l’éphod-oracle.ils travaillèrent sans trop de défaillances à conserver le jahvéisme dans son intégrité et dans son unité. S’ils y réussirent pour une part importante, ils le durent d’abord au fait que la masse du peuple tenait avant tout à rester fidèle à Jahvé, le dieu de la nation : puisqu’on voulait le servir, on recourait à ceux qui, mieux que d’autres, en pouvaient indiquer les moyens. Ils le durent aussi à cette circonstance providentielle que, seuls parmi les Hébreux, ils ne possédaient point de grands territoires en Canaan. Aussi, ceux d’entre eux qui n’avaient pu se procurer quelqu’un de ces bénéfices enviés que l’on se transmettait de père en fils comme étaient, par exemple, le sanctuaire renommé de Silo dans la Montagne d’Éphraïm ou celui de Dan vers les sources du Jourdain, n’hésitaient pas à devenir des lévites errants ; ils cheminaient de ville en ville, de bourgade en bourgade, cherchant où se placer, où exploiter à leur profit et au profit de la cité ou du particulier qui les engagerait, l’expérience religieuse héréditaire dans leur caste. Comme on les appréciait, on les accueillait bien ; si les offres de salaire, d’entretien et de considération leur plaisaient, ils s’installaient à titre de gér ou d’étranger domicilié dans la tribu qui devenait ainsi leur patrie pour un temps ; si on leur offrait ou s’ils espéraient mieux ailleurs, ils reprenaient leur route et s’en allaient chercher fortune plus loin. Cf. Jud., xvii et xviii ; xix. Ces ambulants du jahvéisme traditionnel, de la même manière que le feront pour leurs idées les confrères errants du Moyen Age, portaient et propageaient ainsi à travers tout le pays peuplé d’Israélites les croyances, les rites, les prières, les pratiques, les décisions d’un jahvéisme de bon aloi, et ils contribuaient, dans la mesure où ils lui étaient eux-mêmes fidèles, à le mieux faire connaître parmi leurs frères et à le conserver indemne des infiltrations de la religion cananéenne.’.i. L’action de personnalités religieuses. — D’autres jahvéistes qui n’appartenaient pas à la tribu de Lévi, secondaient les Lévites de leur foi entraînante et du prestige de leurs hauts faits. Une Débora, un Gédéon, un Samuel, n’étaient pas seulement des héros et des artisans de victoire ; ils furent des personnalités religieuses puissantes, dont la foi, la parole, l’action, la