Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée
1853
185
JUGES (LIVRE DES), LA RELIGION

^

métaux, mais où toute la richesse consistait en fruits de la terre et en bétail que l’on tenait directement de la libéralité divine, le principal acte religieux était d’apporter au sanctuaire, pour les offrir au dieu et les partager avec lui et avec ses prêtres, des bêtes du troupeau, des fruits du verger et des produits des champs. La quantité de l’offrande devait être fixée par les rituels ; mais l’on peut bien penser que les pèlerins s’appliquaient pour la plupart à la dépasser afin de piquer la générosité de leur dieu et d’obtenir de lui des bénédictions plus abondantes ; quand l’émulation, l’ostentation ou la ferveur y aidaient, on voit tout de suite à quelle profusion pouvaient arriver les offrandes. Aussi le caractère agricole des rites du jahvéisme s’afïirma-t-il plus encore que dans les anciennes prescriptions mosaïques ; l’abus du culte extérieur, si souvent attaqué par les prophètes, commença dès lors à s’afficher dans les sanctuaires. Le calendrier des fêtes suivit avec une rigueur plus méticuleuse la série régulière des récoltes ainsi que le mouvement de la lune, cet astre bienfaisant qui facilitait la garde nocturne du berger et déversait sur la terre l’humidité fécondante sans laquelle la végétation aurait dépéri. Les assemblées revêtirent un aspect champêtre plus marqué. La pâque, repas commémoratif de nomades migrateurs ou fugitifs qui immolent un nouveau-né de leur troupeau, se surchargea des rites d’une fête des premiers fruits de la terre et coïncida avec l’ouverture de la moisson des orges ; sept semaines plus tard, on fêtait la moisson des blés, et, à l’automne finissant, lorsqu’on avait cueilli les fruits des arbres et vendangé la vigne, une joie bruyante accompagnait la dernière fête, le luig par excellence, qui mettait fin à Tannée agricole en épanouissant les âmes et en débridant les sens à cause des travaux arrêtés et des bienfaits reçus. On se plaisait aussi à enjoliver les sanctuaires et à compliquer les offrandes. L’autel traditionnel de mottes de terre ou de pierres brutes fut parfois remplacé par l’autel construit en pierres d’appareil ou formé d’un bloc sur lequel « ou avait promené le fer » pour le tailler. Aux modestes victimes tirées du troupeau de petit bétail, moutons et chèvres, on pouvait ajouter plus couramment maintenant les taureaux, les génisses et les veaux gras. Les holocaustes allèrent en se multipliant ; les festins sacrés, où l’on se dédommageait une bonne fois de ses longues privations et où l’on n’épargnait ni le ëèkar, ni le vin lourd de Canaan, ressemblèrent à des ripailles.

3. Fléchissement dans les idées religieuses.

Par suite de l’acceptation de certaines idées et de l’introduction de certaines pratiques caractéristiques du paganisme cananéen, une contamination plus profonde du jahvéisme se produisit, qui s’attaquait à des principes plus essentiels de la religion révélée par l’intermédiaire de Moïse.

C’est la notion même de Jahvé qui eut à pâtir tout d’abord du nouvel état de choses La ressemblance des cultes rendus à Jahvé et aux Baals, amenait beaucoup d’Hébreux à ne plus distinguer nettement les caractères de ces dieux. Pour leurs yeux obscurcis, Jahvé perdait cette grandeur distante et redoutabla dont, au Sinaï, il avait voilé son être divin, il restait toujours, cela va de soi, le Dieu exclusif de la nation, dont il assurerait, on en était certain, la gloire et la prospérité ; mais il se mêlait aussi davantage, pensait-on, à la vulgarité des petits intérêts de ses fidèles, tendait une oreille patiente à leurs plaintes, à leurs récriminations, à leurs désirs de richesse et de joies matérielles. La préoccupation morale de lui obéir a fait pface à la préoccupation intéressée de le corrompre. On se l’imagine alors exigeant en matière d’offrandes, gourmand, si l’on ose dire, de victimes grasses à point, rendu souriant et mis en bonne humeur par les mets suc culents qu’on entasse devant lui, et enfin surtout, car c’est cela que l’on attend, restituant bien vite et au centuple les présents qu’on lui a faits.

De là à honorer Jahvé par les pratiques les plus caractéristiques et les moins imitables de la religion cananéenne, il n’y avaitqu’un pas, et ce pas fut franchi. Il ne le fut pas alors toutefois, même dans les milieux les plus atteints par la contagion, avec une décision qui eût fait tomber le jahvéisme au rang d’une religion cananéenne à peine démarquée. Cependant on ne peut guère douter que la prostitution sacrée ne se soit glissée ici et là, dans le culte rendu à Jahvé par des Israélites ignorants ou pervers, ainsi qu’en pourraient témoigner les prohibitions anciennes relatives à ce point. Mais il est probable que, maintes fois, ce désordre constituait un hommage proprement idolâtre aux Baals et aux Ashêrâs ou que, s’étant dépouillé de sa signification religieuse, il n’était plus que de la débauche.

C’est avec une semblable réserve qu’il convient de signaler la fabrication des idoles, images ou représentations symboliques de Jahvé, dont la prohibition, qui remontait à Moïse, doit être considérée comme l’un des points les plus remarquables du jahvéisme primitif. Les textes en parlent peu pour la période des Juges ; ils ne mentionnent expressément que l’idole de Mikhâ l’Ephraïmite. L’éphod de Gédéon ne semble nullement avoir été une statue de Jahvé comme trop de critiques prétendent l’établir par les déductions les moins satisfaisantes ; nous savons que l’éphod était un instrument pour tirer les sorts sacrés ; ce que l’on ajoute à cela n’est que conjecture. Quant à l’expression si fréquente « en présence de Jahvé « , elle implique que l’on croyait Jahvé plus particulièrement présent dans un sanctuaire, avec les sorts ou dans l’arche, comme il est naturel puisqu’il s’agit de lieu ou d’objets où il manifestait sa volonté et sa puissance : elle ne prouve point par elle-même que l’on se tînt alors devant une idole.

Des sacrifices humains furent offerts occasionnellement, peut-être assez tôt, en l’honneur de Jahvé, à l’imitation du baalisme et malgré la défense traditionnelle dans le jahvéisme. Il ne s’agit pas ici, on le comprend, de l’immolation des prisonniers de guerre, que réclamait la rigueur impitoyable du hêrém ; pareilles exécutions, toutes rituelles qu’elles fussent. ressortissaient aux lois de la guerre telle qu’elle se faisait en un temps où lareligionpénétraitles actes collectifs du clan et de la tribu. Mais le sacrifice humain proprement dit, pour des motifs d’ordre religieux, se pratiqua sûrement alors en hommage à Jahvé. Sur ce point encore, toutefois, nous n’avons qu’un exemple à fournir et nous prendrons garde de le généraliser. Mais cet exemple est typique et, d’ailleurs, des moins contestables. C’est celui de Jephté, qui immole de sa main sa fille unique à la suite d’un vœu. Jud., xi, 34-40. A coup sûr, le fait que l’on institua une fête annuelle pour célébrer périodiquement la mémoire de cette immolation montre à l’évidence jusqu’à quel point elle avait frappé les esprits, et, par conséquenl, combien ce sacrifice était exceptionnel. Il n’en reste pas moins que des jahvéistes fervents, comme l’était ce Jephté, pouvaient se décider à servir leur Dieu de la manière dont leurs voisins païens honoraient les leurs, et que cette dévotion, qui s’égarait loin (te la religion authentique, provoquait parfois dans les esprits un mélange équivoque d’horreur et d’admiration.

Mentionnons enfin l’usage des teraphim, qui devaient servir d’oracles domestiques, et l’introduction ou plutôt la diffusion, à cette époque des Juges, des pratiques de la sorcellerie et de la nécromancie si chères à toute l’antiquité. Les Philistins, qui s’adonnaient, ï la divination, contribuèrent peut-être aussi à en répan-