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JUGES (LIVRE DES), LA RELIGION


jeté sur Canaan, s’étaient vu infliger des leçons sévères ; tout au moins après une grave défaite, ils restaient sur la réserve et pansaient leurs blessures. Quelques années de détente se succédaient ; les tribus respiraient plus à l’aise et poursuivaient dans la tranquillité l’œuvre de leur établissement.

Mais, dans l’ensemble, les textes donnent l’impression qu’il y eut alors moins de bonheur que d’inquiétude, moins de jouissances que de désirs, moins d’idylles que de combats.

Un souille d’anarchie passait, d’autre part, sur les tribus d’Israël.. Il ne cessait que lorsqu’un danger commun imposait à celles-ci un peu d’abnégation. Elles sacrifiaient alors leur animosité, leur jalousie, leur égoïsme, à la cause nationale. Puis bientôt elles laissaient tomber d’elles-mêmes ou renversaient d’une main brutale les organisations centralisatrices qu’elles avaient créées dans un élan de fraternité, et leurs Juges se suivaient sans parvenir à maintenir l’union ni à fonder une monarchie durable.

Les Philistins allaient précipiter l’avènement de cette centralisation que les tribus s’étaient évertuées à retarder. On dirait que Dieu a toujours eu besoin de violenter son peuple pour l’amener dans la voie où il voulait le voir se tenir et marcher. La nécessité de. secouer, sous peine de déchéance irrémédiable ; le joug pesant de la domination philistine oblige Israël à grouper étroitement toutes ses forces. Samuel, qui, malgré sa bonne volonté et malgré ses désirs, reste l’homme d’un autre âge, est à son tour obligé de céder la place à de jeunes héros plus décidés, plus entreprenants, plus valeureux que lui. Saûl, avec sa brusque énergie, David, avec sa séduction entraînante, sauront tirer du peuple que Jahvé leur confie plus de ressources qu’il n’en avait encore voulu dépenser et réussiront à lui imposer— plus de discipline qu’il n’en avait jamais voulu subir.

Il est juste toutefois de reconnaître, que, si doués qu’ils aient été, Saûl et David arrivaient à l’heure propkv a leur œuvre. Ils grouperont sous leur autorité toutes les tribus hébraïques ; mais celles-ci, au temps des Juges, avaient déjà tenté plusieurs essais d’union partielle et s’étaient ainsi préparées à leur centralisation générale. Dans des régions diverses, pour des durées variables, Débora, Gédéon, Jephté, Samuel n’avaient pas adressé un vain appel au sentiment de l’union nationale. A faire ses preuves et de façon brillante, ce sentiment s’était affirmé davantage ; il s’exaspérait sourdement à se trouver en lace de périls qu’il ne pouvait conjurer : succès el échecs contribuaient à le développer. Mais Saûl et David surtout auront le mérite de lui donner toute son ampleur.

Au lendemain de la conquête, quand commence la longue période de l’établissement en Canaan, on n’aperçoit guère que des tribus éparses absorbées dans leur installation ; la période des Juges montre des groupes de tribus, dont l’existence occasionnelle n’est qu’éphémère ; avec les premiers rois toutes les tribus unies formeront un seul État connue elles servaient un seul Dieu.

IV. La religion.

1° Le fléchissement de la relit /ion populaire. Les Cananéens n’avaient pas disparu du pays conquis par les Hébreux ; le jah cisine ne parviendra pas non pins a étouffer la religion païenne, imparfaite dans le domaine religieux, la victoire « l’Israël sera ternie par de nombrusrs et regrettables compromissions. Le peuple élu, son Dieu, sa religion et ses aspirations nationales garderont, au sein d’un

groupe fidèle d’âmes incorruptibles, leurs caractères essentiels fixés par la révélation ; mais la religion de la masse subira des transformations, les unes superficielles, les autres plus profondes, qui étaient de

nature à contrarier l’œuvre de Moïse et à compromettre la destinée d’Israël.

1. Les causes du fléchissement religieux.

Elles se laissent aisément entrevoir. L’attrait de la civilisation cananéenne, qui est supérieure à celle des Hébreux, la séduction d’une terre qui émerveille ceux-ci par sa fertilité, une vague superstition à l’égard des dieux agricoles honorés dans le pays, une pointe de défiance à l’égard des aptitudes de Jahvé pour tout ce qui concerne les choses de la terre, l’espoir qu’en servant Jahvé à la manière d’un Baal on l’obligera à être aussi généreux que ce dieu vaincu, enfin le charme pervers des pratiques licencieuses du culte de la Nature et de la Fécondité, toutes ces causes semblent se concerter pour livrer de toutes parts un assaut tenace à la conscience religieuse d’Israël. Il se passa pour la religion populaire ce qui se passait pour les mœurs : les contacts entre Israélites et Cananéens étaient trop multipliés et souvent trop étroits, pour qu’il ne s’établît point à la longue, dans cette population mêlée, une sorte de religion hybride qui restait bien un certain jahvéisme, mais qui s’était en même temps chargée d’idées et de pratiques empruntées au milieu païen et ne peut être envisagée que comme une déformation de la religion révélée par Dieu à Moïse. On peut donc dire qu’en réalité il existait deux religions de Jahvé. L’une, dont on constatera sans peine l’existence dans quelques milieux choisis ou, au pis aller, chez quelques individus isolés, demeurait conforme à la véritable traililion ; c’était le jahvéisme authentique. L’autre, pratiquée par la masse du peuple, bien que dans une mesure que nous ne pouvons évaluer, n’était plus qu’un jahvéisme abâtardi.

Le rapprochement de la religion de Jahvé et de la religion des dieux cananéens s’opéra dans les formes extérieures et dans les idées.

2. Fléchissement dans les formes extérieures du aille.

— Nombre d’objets et de lieux sacrés cananéens qui n’avaient pas été détruits à la conquête lurent appropriés au culte de Jahvé. Des sanctuaires, des hauts lieux, des autels, des dolmens et des cromlechs, des arbres et des sources, des stèles et des pierres levées, auxquels une coutume immémoriale imprimait un caractère religieux, continuèrent à bénéficier de Ce prestige à peu près ineffaçable dans un temps et parmi des populations où la croyance religieuse, quelle qu’elle fût, imprégnait profondément les esprits. Ils forçaient presque la vénération, une vénération à demi superstitieuse et craintive d’abord, plus familière et plus confiante ensuite, indéracinable à la longue et plus chère que la vie.

Plusieurs, beaucoup peut être, des hauts lieux cananéens qui n’avaient pas été ruinés, furent occupés par les Hébreux et restèrent à peu près tels qu’ils étaient : ceux que l’on éleva en l’honneur de Jahvé leur rassemblèrent sans doute beaucoup. Là aussi se voyaient l’autel, la pierre dressée. l’aSérâh, l’arbre sacré ; les plus importants avaient leur salle pour les festins sacrés.

Les Israélites peu difficiles installés dans les sanctuaires cananéens et même certains Israélites à demi fidèles qui ne fréquentaient que des sanctuaires authentiques de Jahvé mais croyaient plus avantageux de recourir au rituel en usage dans le pays, commencèrent, une l’ois établis a l’aise en Canaan, à introduire dans le culte du Dieu d’Israël certaines pratiques du culte des Baals et des Ashêrâs. C’était presque une fatalité dès lors qu’on ne s’en tenait plus, avec une rigueur sans faiblesse, au rituel ancien. 1 >ans ces tulles

antiques où les offrandes faites a la Divinité étaient

de beaucoup plus multipliées qu’elles ne le sont de nos jours, dans ce pays de Canaan, où il n’y avait, ni dans le sol, ni en circulation, une quantité appréciable de