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JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES


chevelure qu’il faille méconnaître l’élément moral très accentué des récits.

Les exploits de Samson furent trop isolés pour avoir eu un résultat matériel appréciable dans l’histoire. Le héros ne réussit pas à soulever ses compatriotes contre les Philistins et ceux-ci, qui restaient redoutés dans le pays de Juda, ne tarderont pas à pénétrer dans la Montagne d’Éphraïm. Mais en attendant que le peuple hébreu se sentît encouragé à reprendre avec ses forces réunies l’œuvre individuelle de Samson, il ne manquait sans doute pas de souligner tout au moins la signification religieuse des prouesses de ce Juge. Samson imposait aux ennemis d’Israël une certaine terreur de Jahvé, de qui il tenait sa force invincible ; il était aussi pour ses coreligionnaires un exemple vivant du soin que Jahvé apporte à soutenir les siens tant qu’ils sont fidèles à leur devoir, comme de l’abaissement où il les laisse tomber dès qu’ils deviennent oublieux de leurs promesses. De plus, Samson n’est pas sans piété. Dans le portrait qu’esquisse de lui la Bible, il donne l’impression d’un homme qu’épanouit sans cesse la confiance en la force qui lui vient d’en haut. Il y puise cette sûreté de soi, provocante et gaie, qui le mène aux entreprises les plus risquées, avec la certitude d’en sortir à son honneur. La fidélité du succès arrive, toutefois, son cœur aidant, à le griser ; il joue trop avec le danger, dont il s’est toujours tiré, pour ne pas finir par y trouver sa perte. Mais jusque dans sa chute, il éveille la pitié ; sa dernière faiblesse, longtemps retardée, n’échappe qu’à sa lassitude et coûte à sa foi, et il est presque touchant dans l’humilité de sa prière pour obtenir de nouveau, en vue d’un exploit suprême, la vigueur que Dieu lui avait retirée.

8. Héli, le vieux prêtre du sanctuaire de l’arche, est rangé parmi les Juges par I Sam., xv, 18. Mais aucun exploit ne lui est attribué par la Bible.

9. Samuel, Éphraïmite ou Lévite du pays de Çouph (sur les origines de son père, Elqana, voir L. Desnoyers, La période des Juges, p. 210, n. 2), fut le dernier des Juges et institua le régime monarchique en Israël. Dès son enfance, il fut favorisé des communications divines, et, comme les prêtres de Silo, Héli et ses deux fils, se discréditaient auprès du peuple, celui-là par sa faiblesse, ceux-ci par leurs désordres, Samuel fut bientôt considéré comme le vrai représentant de Jahvé auprès d’Israël. Avec sa double qualité de prophète et de Lévite, Samuel apparaît, dans cette période lointaine, comme un précurseur de Jérémie ; en lui, comme en ce dernier, les deux principales forces religieuses qui s’opposèrent si souvent au cours de l’histoire d’Israël s’unissent déjà harmonieusement. Il est un de ces personnages de transition que Dieu ménage à son peuple aux heures de crise et qui, en s’appropriant des idées et des aptitudes ordinairement divisées entre plusieurs partis, se trouvent ainsi préparés à utiliser les dernières ressources d’un ordre de choses qui va finir et à préparer les débuts laborieux d’un ordre nouveau qui est en train de naître.

Après la prise de l’arche par les Philistins, I Sam., iv, et son installation à Qiryath-yearim, ville peuplée de Cananéens et d’Hébreux, I Sam., vii, 1-3, commence une période obscure. La seule figure qui s’y détache, et encore avec un relief à peine marqué, est celle de Samuel. Il y apparaît un peu à la manière des anciens Juges, guerriers d’abord puis personnages vénérés et influents. Une fois, il se mit à la tête d’Israélites rassemblés à Miçpâ pour une cérémonie expiatoire et donna la chasse à un parti de Philistins qu’il mena l’épée dans les reins jusqu’à Bethkâr ; en cette circonstance, comme en plusieurs autres, un orage soudain jeta la panique dans les rangs ennemis et Samuel dressa une pierre, « la Pierre du secours », pour commémorer l’aide opportune que lui avait

fournie Jahvé en faisant rouler son tonnerre. I Sam., vn, 5-12. Ce fut là, semble-t-il, l’unique succès militaire de sa judicature ; elle se poursuivit désormais dans le calme. L’arche résidait à Qiryath-yearim sous les yeux, sinon au pouvoir des Philistins ; le sanctuaire de Silo était vide et peut-être même détruit. Samuel résidait dans la ville de Râmâ. Étant naziréen, c’est-à-dire voué à Jahvé par le vœu de sa mère, il y vivait en homme de Dieu et dépensait une activité inlassable au service de la religion et du peuple. Il y avait bâti un autel, sans doute bientôt fréquenté à la ronde, et, de là, rayonnait dans le voisinage pour trancher les différends au nom de Jahvé et pour maintenir les Israélites dans la fidélité à leur Dieu ; à de longues années de distance, il renouvelait le ministère de Débora, la prophétesse. Cette judicature ambulante le conduisait, une fois l’an, dans les trois sanctuaires de Béthel, Galgala et Miçpâ, c’est-à-dire dans le territoire de Benjamin et la portion méridionale de la Montagne d’Éphraïm. Mais il devait être connu beaucoup plus loin ; au temps de David, on le voit aller sacrifier à Bethléem, I Sam., xvi, 1-5, et une tradition antique savait que, vers la fin de sa vie, ses fils Joël et Abias jouissaient de quelque autorité jusque dans la ville sainte de Bersabée, au sud de Juda. I Sam., viii, 1-2. A l’exercice de cette judicature, il joignait celui de sa profession de voyant ; on avait recours à lui moyennant un petit présent, du pain, une pièce de monnaie par exemple, pour retrouver les objets perdus. I Sam., ix, 7-8. Tout cela faisait qu’il était entouré par tous d’une respectueuse considération, On venait lui demander conseil ; on s’honorait de l’avoir pour président des festins sacrés ; les nâbis, ces jahvéistes remuants, lui témoignaient de la déférence et l’envisageaient comme l’un des leurs, comme un apôtre de la cause sainte qu’ils défendaient avec tant de vigueur. Samuel nous apparaît comme l’homme le plus en vue à cette date et sur qui semblait reposer la destinée d’Israël.

Et pourtant il arriva un moment où le peuple ne regarda plus Samuel comme l’homme de la situation et réclama un roi. Samuel fut indigné de cette demande. La royauté était considérée comme une institution païenne, Deut., xvii, 14 ; I Sam., viii, 20 ; la désirer, c’était se défier de Jahvé, qui, jusqu’alors avait lui-même sauvé son peuple, et s’exposer à regretter plus tard la tyrannie du maître qu’on réclamait follement. Mais le peuple ne voulut pas se rendTe à ces raisons. Sur l’ordre de Dieu, Samuel céda et promit de chercher le roi qui, avec l’aide d’en haut, unirait les tribus et libérerait le territoire.

Aspect général de la période des Juges.

La

période des Juges fut pour Israël une époque très rude, presque toute remplie de conflits journaliers et souvent entrecoupée de véritables batailles.

Les conflits habituels n’éclataient pas seulement entre Israélites et Cananéens qui vivaient à peu près partout porte à porte et ne s’entendaient pas toujours. Ils s’élevaient aussi entre tribus, entre dans, entre villages israélites et entraînaient parfois des déplacements individuels, des migrations de groupes importants et même des rencontres sanglantes. Ce n’est pas à dire que jamais ne sonnait une heure de répit. Au voisinage d’une bourgade ou d’une région en pleine effervescence, des villages ou des cantons entiers pouvaient vivre dans une sécurité paisible, oubliant presque, à voir de loin les troubles qui les épargnaient, les misères qui, bientôt peut-être, les atteindraient eux-mêmes.

Les grandes guerres avec l’étranger n’étaient pas non plus continues. Les Araméens, les Moabites, les Cananéens, les nomades pillards, les Benè-Ammôn, tous ces ennemis qui avaient mis tour à tour à l’épreuve la vigueur du jeune peuple que Moïse avait