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JOACHIM DE FLORE. LE JOACHIMISME


schichlsforsclmng, t. xix, 1898, p. G61. Wilhelm, l’attribue à Jourdain d’Osnabrùck : Grauert, Jourdain d’Osnabriick et la Nolilia sœtuli, dans Mélanges Paul Fabre, p. 330, l’attribue à Alexandre de Roes ; de même Kampers. dans Zur Nolilia sœculi des Alexander de Rocs, dans Fcslgabe K. Th. von Heigel… gewidmel, p. 105 ; Schraub, Jordan von Osnabruck und Alexander von Roes, la croit, avec raison sans doute, d’un troisième auteur impossible à déterminer. Ce curieux ouvrage est une contamination assez gauche de deux écrits très différents ; l’un pseudo-joachimite, le De scminibus scripturarum, l’autre d’ordre politique, le De prærogativa Romani Imperii, œuvre lui-même de deux auteurs, dont le second, Alexandre de Roes, a inséré dans son travail celui du premier, Jourdain d’Osnabrùck. Au De scminibus, l’auteur de la Nolilia a emprunté l’idée de grands changements qui doivent se produire dans le siècle compris entre 1215 et 1315, et donc à une date très voisine, de celle (1288) où il écrit : Jérusalem sera délivrée des infidèles, et l’autre Jérusalem, l’Église romaine, délivrée de la simonie. — La division qu’il donne de l’histoire de l’humanité (différente d’ailleurs de celle deDeseminibus) : cinq âges, de l’innocence, de la loi de nature, de la loi mosaïque, de la loi de grâce, et de la gloire, n’a rien de joachimite. — Au De prærogaliva, il a pris le souci patriotique du maintien de l’empire, un profond respect pour la science, représentée par l’université de Paris, la notion d’un équilibre entre les grandes puissances : l’Italie ayant la papauté, l’Allemagne l’empire, et la France l’université ; enfin l’idée que l’empire et l’université sont les deux soutiens de l’Église, dont l’écroulement, qu’il faut conjurer, annoncerait la venue de l’Antéchrist. Nous sommes en dehors et presque aux antipodes du joachimisme. Les emprunts au De seminibus font l’effet d’un placage. Si, comme il y a lieu de le croire, l’auteur de la Nolilia est un Allemand, établi en Italie, écrivant à l’adresse des cardinaux, spécialement d’un cardinal romain (Jacques Colonna ?), et pendant le conclave d’où devait sortir Nicolas IV, en vue de provoquer l’élection d’un pape italien, et non pas français, l’utilisation qu’il fait du De seminibus ne prouve qu’une chose : l’influence que le joachimisme exerçait encore ou passait pour exercer jusqu’à la cour pontificale ; et c’est seulement par là que son écrit intéresse notre sujet.

5. Arnaud de Villeneuve.

Mais, au moins dans les pays méditerranéens, spiritualisme et joachimisme, étroitement associés, se rencontrent à cette époque, dans tous les milieux, intellectuels, politiques et princiers. C’est précisément cette diffusion qui en fait la grande importance historique, surprenante pour nous. Ils ont été un facteur politique non négligeable. Au début du xive siècle, on n’a vraiment classé un homme que lorsqu’on a dit ce qu’il en pensait. Que dire de Dante ? Il a parlé, Parad., xii, 140, avec beaucoup d’estime de

Il calavrese abate Giovaccllino,

Di spirito profetico dotato ;

il a lu et imité VArbor Vilæ d’Ubertino de Casale, qu’il avait probablement connu lui-même à Florence, ainsi que Pierre Olivi ; voir Kraus, Danle, sein Leben und sein Wcrk ; il ressemble à l’un et à l’autre par son amour pour la pauvreté, par sa haine pour la « grande prostituée », par son habitude d’exprimer ses espérances sous forme de visions apocalyptiques. Mais il a blâmé cependant l’étroitesse d’Ubertino dans l’interprétation de la règle, et donné raison contre lui à la modération de saint Bonaventure, Parad., xii ; il n’a pas suivi jusqu’au bout les spirituels ; s’il a beaucoup des habitudes d’esprit joachimites, ce serait exagérer peut-être que de lui attribuer une adhésion complète

à la doctrine. — C’est un joachimite. par contre et sans conteste, qu’Arnaud de Villeneuve, celle curieuse figure de médecin de profession, de diplomate et de théologien d’occasion, qui traverse les premières années du xive siècle, aussi souple dans ses relations qu’exalté dans ses idées : il a été l’ami de Nogaret, qui l’a aidé à se tirer d’un mauvais pas près de l’oiïicialité de Paris ; il a été le prisonnier, puis le médecin très influent de Boniface VIII, qui a bien accueilli une de ses élucubrations apocalyptiques et en a permis la diffusion ; arrêté par ordre de Benoit XI, de nouveau en faveur auprès de Clément V, il dit son mot sur toutes les questions du jour ; il est employé par son souverain Jacques II d’Aragon, par Frédéric III de Sicile, dont il est le conseiller moral et religieux, et dont il interprète à l’occasion les songes. Voir t. i, col. 1975. Ses œuvres, étudiées ou publiées par Menendez y Pelayo, t. iii, p. xlix-cxv, et par Finke, Aus den Tagen Bonifaz VIII, p. cxvi-ccxi, comprennent notamment : une Introduclio in librum Jo.ach.im de semine scriplurarum (cf. plus haut) ; une Exposilio super Apocalupsi, presque entièrement fondée sur celle de Joachim ; un Tractatus de lempore adventus Anlechristi, rédigé en deux parties, 1297 et 1300, avec une espèce de complément, le De mislerio cimbalorum, qui date de l’été 1301. Dans le De lempore advenlus il donne des vues personnelles, sinon quant à l’imminence de.la venue de l’Antéchrist,

— là-dessus tous ces apocalyptiques sont d’accord — mais quant à la date, qu’il fixe en 1358 ; la théorie des trois âges n’apparaît pas. Quelques traits intéressants distinguent ses écrits : a) Un souci très vif d’établir la légitimité théorique et l’utilité pratique de spéculations comme les siennes ; b) une grande déférence à l’égard du Saint-Siège ; affaire de tactique, et conséquence des rapports personnels d’Arnaud avec plusieurs papes ; c) une hostilité violente contre l’ordre dominicain, et contre l’Université de Paris, coupables d’avoir méconnu la valeur de ses prophéties. Un sien pamphlet, par exemple, est intitulé Antidotum contra venenum cjjusum per fratrem Martinum de Alliecu predicalorem adversus denuntiationes finalium lemporuin. Quant à l’université, dans le De mislerio cimbalorum, entre autres, il prédit les plus fâcheuses destinées au « nid d’Aristote, qui sera détruit, parce que les piaillements des oisillons qu’il renferme étouffent la vérité en se moquant de ses ministres. » Finke, op. cit., 222. C’est un épisode de la querelle des théologiens officiels et des voyants. — D’autre part, la carrière d’Arnaud, cf. outre les ouvrages précédemment cités de Menendez y Pelayo et de Finke, du même Finke les Acta aragonensia, et Diepgen, Arnald von Villanova als Politiker und Laientheologe, ses relations avec toutes ces cours, apparentées ou rivales d’Aragon, de Sicile, de Xaples, entre lesquelles il sert de lien, attestent combien y étaient vives les préoccupations religieuses et mystiques, ardentes les sympathies pour une réforme de l’Eglise, dans le sens spirituel. Sur cet état d’esprit si intéressant, et qui n’est pas sans avoir eu des conséquences politiques cf. aussi van Heuckelum, Spiritualistische Slrômungen an den Hôfen von Aragon und Anjou wuhrend der Hôhe des Armulslreiles. D’autres symptômes en sont la vie de saint Louis de Toulouse, ce fils de Charles II de Xaples et petil-neveu de l’autre saint Louis roi de France, don/ : jeunesse a été si fortement impressionnée par Pierre Olivi, cf. dans Ehrle, Archiv… t. iii, p. 534, la lettre adressée par celui-ci à Louis et à ses frères ; et surtout l’histoire de cet autre Ascète de sang royal, pour prendre le titre du travail de M. Vidal, Revue des questions Historiques, 1910, p. 361, Philippe, fils du roi Jacques I er de Majorque, dirigé de bonne heure par Ange de Clareno, séduit par le franciscanisme sous sa forme la plus rigoureuse, et qui, après