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    1. JUGES (LIVRE DES)##


JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES

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Après avoir écrasé les. Éphraïmites, qui voulaient maintenir leur prééminence compromise par son initiative, il rentre dans l’ombre ; sans doute son essai de monarchie ne lui survécut pas. Jephté présente l’un des types les plus énergiques de cette rude période des Juges. Il n’a rien des hésitations et des détours de Gédéon, rien non plus de la lourdeur joyeuse de Samson. C’est le banni entreprenant et hautain qui refait sa vie à force de bravoure et ne rentre dans la société qui l’a rejeté que pour s’en faire le maître. Il en devient le maître, mais il ne la traite pas en despote ; il la sert au contraire avec loyauté et dévouement, et, s’il a mis son concours à un prix élevé, il ne marchande ni sa personne ni ce qu’il aime pour mener à bien l’œuvre de restauration que l’on attend de lui. Sa droiture éclate jusque dans sa religion. Sans doute il y apporte une fougue âpre et aveugle qui trahit l’ancien pillard ; il croyait bien faire en promettant à Dieu un sacrifice humain. Mais s’il s’écartait ainsi des plus pures traditions du jahvéisme, il a donné du moins la mesure de sa fidélité à sa parole en ne reculant pas devant l’accomplissement d’un vœu qui lui déchirait le cœur.

6. Les Petits Juges, Jud., iii, 31 ; x, 1-5 ; xii, 8-15, sont ainsi nommés parce que leur mention est extrêmement brève dans la Bible. Ce sont Shamgar, Thôla, Yâîr, Ibçan, Elôn et Abdôn. Si peu développés que soient les textes qui mentionnent les Petits Juges, ils témoignent assez haut de l’attachement professé par l’ancien Israël envers les représentants de sa vieille noblesse. Trois d’entre eux, Yâîr, Ibçân et Abdôn, étaient des chefs de famille ou de clan autour desquels se pressaient de nombreux descendants, et les tombeaux de tous faisaient l’objet d’un véritable culte, qui se perpétuait de génération en génération. Déjà dans le cantique de Débora on a entendu le poète parler des nobles avec une admiration significative ; tandis que le peuple s’était généreusement levé pour le combat, c’étaient eux qui avaient assumé un commandement difficile, soutenu les courages, entraîné à la victoire. Ici et là, se reconnaît le type de l’ancien cheikh d’Israël, qui gagne les cœurs des membres de sa tribu par les services qu’il leur rend autant qu’il frappe leurs esprits par son affabilité hautaine, l’ampleur de sa vie et la profondeur des pensées où il paraît toujours plongé. Il n’est pas seulement le grand propriétaire fortuné qui possède en abondance des champs et des troupeaux, le père de famille dont le harem renferme de nombreuses épouses qui lui ont donné beaucoup de fils, le guerrier intrépide qui protège les pauvres gens de son clan, le juge instruit et fin qui tient la balance d’une main ferme ; c’est aussi l’homme qui sait qu’il mérite son bonheur, le fidèle qui semble vivre plus près de Jahvé que des hommes et le juste qui remplit son devoir pour être béni de son Dieu.

7. Samson, Jud., xm-xvi, ne fournit à l’histoire générale qu’une anecdote et à l’histoire religieuse qu’un exemple. Pourtant, si ses exploits solitaires n’ont pas eu sur les événements une répercussion appréciable, il n’est pas tout à fait sans signification pour l’historien. Par quelques traits de son caractère et quelques incidents de sa vie, il nous aide à mieux connaître son temps. Son isolement en révèle l’atonie générale ; son jahvéisme rigoureux, la persistance de la foi dans les milieux populaires ; sa sensualité, l’étrange liberté des mœurs ; son mariage et sis fréquentations chez les Philistins, la facilité et l’étendue, des rapports d’Israël avec les populations au milieu desquelles il vivait. Il n’est même pas Jusqu’à ses aventures amoureuses qui ne nous révèlent dans un jour un peu cru tout un côté de la vie. d’alors. A regarder ces icènes d’un pittoresque ingénu, on comprend mieux

les plaintes des âmes austères comme les prohibitions de la Loi au sujet des contacts trop faciles avec les femmes infidèles, et l’on devine mieux à quelles défaillancesmoraleset religieuses s’exposaient ceux qui subissaient si volontiers le charme des païennes. Samson peut bien n’avoir joué dans l’histoire qu’un rôle de second rang, n’avoir exercé sur ses compatriotes qu’une action indirecte et lointaine, il personnifie un aspect important de la vie morale d’une époque.

On sait que l’interprétation mythique de la personne, des exploits et des aventures de Samson a suscité toute une littérature aussi intéressante par la multiplicité des détails relatés que médiocre par la solidité des résultats acquis. Pour certains, tout est légendaire et mythique dans ces récits ; pour d’autres, qui sont frappés par l’exactitude des tableaux qui y représentent la vie de cette population mixte des confins hébreux, si beaucoup de traits ont la vraisemblance du réel, plusieurs ne doivent leur existence qu’au folk-lore mythologique. Et comme la différence des temps ne permet plus guère de mettre en avant l’Hercule grec, qui serait plutôt un descendant de Samson, et que le Melqart tyrien ne ressemble à Samson que dans la mythologie grecque qui l’a rapproché d’Hercule, c’est au héros babylonien Gilgamès que l’on demande aujourd’hui de servir de prototype à Samson. Il existe, en effet, entre eux divers points de ressemblances, dont on pourra se faire une idée par l’étude assez nuancée de C. F. Burney, The Book of Judges, Londres, 1920, p. 391 sq. Mais ces rapprochements, qu’on les croie nombreux ou presque rares, suggèrent les réflexions suivantes.

D’abord, il n’est pas étonnant qu’entre deux héros antiques, il puisse se rencontrer des points de contact, car même celui qui est légendaire, n’est imaginé et dépeint qu’à l’aide de traits copiés, tout au moins, sur la réalité. — D’autre part, la simplicité si vivante des récits relatifs à Samson s’explique en somme bien mieux par des faits réels que par une épuration de données mythologiques, épuration qu’on devrait supposer infiniment heureuse puisqu’il ne faut rien de moins qu’une sagacité d’une pénétration pénible pour en retrouver les traces. — En outre, la description du milieu où vécut et opéra Samson offre une telle netteté et un tel cachet d’exactitude, qu’elle ne s’explique que par la mise en œuvre de souvenirs précis, soit traditionnels, soit confiés de très bonne heure à l’écriture. A l’époque de la royauté, où les Philistins étaient partout refoulés hors du territoire d’Israël, on n’aurait pas imaginé qu’ils en avaient été les maîtres ; la mémoire de ces tristes temps survivait donc encore et, avec elle, la mémoire des quelques actions d’éclat qui en avaient à peine interrompu et n’en avaient pas dissipé la craintive inaction. — Enfin, si l’on ne peut évidemment pas prouver que toutes les anecdotes et tous les détails de cette histoire appartiennent à la réalité, on en peut signaler quelques-uns tout au moins qui s’expliquent très naturellement par les circonstances et qu’il n’y a pas de raison de rattacher à la mythologie : le nom de « Samson », qui dérive en effet de SéméS « Soleil », s’explique au mieux par l’influence cananéenne du sanctuaire de Beth-sémé*, au voisinage duquel vivaient les parents de Samson ; les longs cheveux de celui-ci, qui rappelleraient les rayons du soleil, rappellent bien mieux le vœu de la chevelure, pratique guerrière attestée par le cantique de Débora et pratique ascétique attestée par l’histoire de Samuel ; l’épisode du lion déchiré, celui des renards capturés, ont leur équivalent dansdes faitsréelsqui sont signalés en d’autres circonstances et n’ont rien de mythique ; les faiblesses de cœur de Samson, il n’est pas besoin de recourir à Hercule ou à Gilgamès pour les expliquer ; enfin, sa force n’est pas tellement liée à sa longue