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    1. JUGES (LIVRE DES)##


JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES

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soulèvements partiels ; les petits Juges, dont nous ne savons pas quels ennemis ils combattirent, pourraient avoir eu affaire avec des indigènes dans des conflits locaux. Mais les Cananéens ne se soulevèrent plus en masse. Débora, qui venait de renouveler les exploits de Josué vainqueur des deux ligues cananéennes, était donc plus heureuse que celui-ci ; elle avait porté un coup si rude à ses adversaires qu’ils ne s’en relevèrent jamais. Décimés, privés de chars, il leur fallut céder sous la poussée de l’infiltration hébraïque. et, s’ils gardèrent les places fortifiées, la plaine et les coteaux d’alentour s’ouvrirent plus largement aux tenaces envahisseurs. Dans la population mêlée qui se disputait les avantages de cette région, les Cananéens, restés citadins et marchands, se trouvèrent partout serrés de près par les campagnards et les agriculteurs israélites.

1. Gédéon, fils de Joas, Jud., vi-ix, eut aussi à lutter pour la libération de la plaine de Jezraël. Les pillards nomades de la Transjordane, Madianites, Qedémites, Amalécites. venaient y razzier les moissons des Hébreux. Ceux-ci n’osaient leur tenir tête. On dirait qu’en devenant hommes des champs, ils axaient perdu leurs qualités d’hommes de guerre ; le cours régulier de la vie agricole semblait avoir étouffé leur ancienne fougue conquérante, abattu leur courage en présence du danger, et effacé à demi le souvenir des exploits de leurs premiers Juges. Ils n’avaient pas mieux gardé la ferveur religieuse que ces héros avaient jadis inspirée à leurs pères. Au fur et à mesure qu’ils s’adonnaient d’une manière plus étendue et avec plus de goût aux travaux de la campagne, ils résistaient de moins en moins fermement à l’attrait des cultes cananéens. Les liaals, les Astartés et les Ashêrâs, dont la terre de Canaan avait été pendant de longs siècles le domaine indiscuté, reprenaient sournoisement à Jahvé par l’intérêt et par la volupté ce que celui-ci leur avait ravi par sa force terrifiante. Non seulement ils enveloppaient les Hébreux dans une sorte d’atmosphère païenne, puisque toute la vie agricole était imprégnée de pratiques nées de la croyance au souverain empire de ces divinités sur les productions du sol, mais ils réussissaient à se gagner des dévots parmi les fidèles de leur austère rival : ici, quelque individu se glissant furtivement de l’autel de Jahvé, qu’il craint comme le Dieu de son peuple, à l’autel du Baal, qui sait si bien multiplier la semence et le troupeau ; là, des groupes plus considérables, des villages entiers même qui fréquentaient ouvertement le sanctuaire public du Baal de l’endroit et n’entendaient pas qu’un Israélite trop fervent vînt troubler leur culte et outrager leur dieu. A Ophra, un autel du Baal, érigé sur une éminence qui avait des airs de forteresse, faisait l’orgueil et recevait les pieuses visites des habitants ; les parents de Joas, le père de Gédéon, et Joas lui-même comptaient parmi les tenants de l’idolâtrie. Jud., vi, 25-27.

Telles étaient les dispositions religieuses et la situation matérielle des Hébreux de la plaine « le Jezraël et de ses alentours. Sans apparaître comme des plus graves, leur état ne laissait pas d’être très pénible, d’autant plus que leur aveuglement ne leur permettait pas de voir d’où viendrait le salut. L’abattement gagnait même ceux qui étaient restés fidèles ; les meilleurs, connue ce Gédéon qui devait mettre une borne à cette détresse, en témoignaient déjà un commencement d’humeur contre Jahvé. Jud., vi, 13. On avait bien perdu l’enthousiasme national et religieux qui avait soulevé les esprits et les cu’llis au temps de Débora ! fahvé n’abandonnait pourtant pas les siens ; il leur suscila un sauveur en la personne de Gédéon, fils de Joas. La foi couraj/ctue de Gédéon le signala à ses

compatriotes. Il fut favorisé d’une apparition de l’Ange de Jahvé, détruisit l’autel du Baal d’Ophra et édifia un autel à Jahvé ; ce dernier exploit religieux lui fit donner le surnom de Yeroubbaal ( « Que Baal se défende ! » ). Il ne fallait, du reste, rien de moins qu’un ordre formel de Jahvé pour décider le jeune homme à attaquer les Madianites. Il aurait dû le faire pour accomplir la vendetta légale, puisque ces pillards lui avaient tué deux de ses frères. Il n’avait pas osé. Mais sa docilité à l’ordre divin l’entraîna à agir. Ses hauts faits sont racontés longuement. Soit que l’on distingue deux victoires dans ces récits soit que l’on n’en veuille reconnaître qu’une (sur cette question, voir L. Desnoyers, La Période des Juges, p. 392-396), le succès de Gédéon fut des plus brillants et son importance politique des plus considérables : il eut pour résultat un premier essai de monarchie. Car les Israélites, désireux de reconnaître le service rendu par Gédéon à la cause commune et plus encore peut-être de s’en assurer le bénéfice pour l’avenir, proposèrent à leur chef d’un jour de le rester désormais : il serait leur maître sa vie durant et son fds, puis son petit-fils, le seraient après lui. Sans le mot, c’était la royauté héréditaire que les Israélites de la montagne d’Éphraïm et de la plaine de Jezraël voulaient établir. La nécessité d’un lien étroit et durable entre les tribus s’imposait à leur esprit ; c’était une nouvelle étape vers l’organisation des groupes distincts en un corps de nation plus étroitement uni. Mais c’était aussi une nouvelle étape dans l’abandon des institutions traditionnelles. Elles avaient et elles auraient toujours en Israël leurs partisans obstinés, aux yeux de qui l’indépendance du nomade et l’indépendance « le la tribu gardaient le prestige tenace d’un idéal social que rien ne devait faire abandonner. L’ancien ordre de choses ne remontait-il point jusqu’aux glorieux ancêtres de l’époque patriarcale ? Les cheikhs des diverses tribus avaient-ils tellement démérité dans les guerres ou failli dans l’exercice de la justice qu’on dût réduire leur autorité et les subordonner au pouvoir souverain d’un seul maître ? Celui-ci ne s’ingénierait-il pas à effacer les traditions que chaque tribu gardait comme un héritage précieux ? Pourquoi, enfin, détruire une organisation où Jahvé était le véritable chef unique et qu’il avait sanctionnée en quelque manière par d’innombrables bienfaits ?

Entre les tenants irréductibles du passé et les partisans d’une transformation suggérée par les circonstances présentes. Gédéon, h qui l’on offrait le pouvoir, se montra comme toujours assez hésitant. 11 se décida pour un compromis. Non, il n’accepterait point de se substituer à Jahvé : Jahvé seul devait être le chef. Mais il demanderait du moins à ses hommes de lui donner une part de leur butin ; sur un manteau étendu à terre chacun d’eux —consentit à jeter un anneau d’or. Des dix-sept cents sicles d’or qu’il recueillit ainsi, il se lit confectionner un éphod ; cet éphod. il le plaça dans un sanctuaire qu’il ouvrit à Ophra, et Ophra, avec cet oracle uni permettait de consulter Jahvé avant de trancher un différend ou d’entreprendre une guerre, avec le harem de Gédéon princièrement peuplé, avec ses soixante dix fils, Ophra paraissait bien une façon de capitale et Gédéon, presque un roi.

C’est ainsi qu’assez insidieusement, par la volonté « l’une partie des habitants et grâce à l’indécision d’un chef heureux, se lent ail en Israël un premier essai « le royauté. Car si l’on ne veut pas chicaner sur un

moi. n’est-ce pas vraiment la royauté qui prend

naissance’? Qu’on regarde ceux qui avaient détenu le pouvoir avant Gédéon. Ils l’avaient reçu directement de Jahvé, pour un but déterminé, « l’une manière transitoire, avec un caractère tout personnel. Moïse