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JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES


l’est ; et si, du côté de l’ouest, un ennemi devenait trop pressant, ils pouvaient passer le fleuve et chercher un refuge momentané dans les montagnes du Galaad. I Sam., xiii, 7 ; II Sam., xvii, 21 sq. Autant que nous sachions, cette position importante resta fort longtemps au pouvoir d’Israël sans que les Moabites, rendus prudents par cette leçon sévère, fissent de nouveaux efforts pour s’en emparer.

3. Débora, Jud., iv, v, accomplit un exploit beaucoup plus extraordinaire dans la plaine de Jezraël. Cette plaine très fertile et très commerçante était encore pour une bonne part aux mains des Cananéens, qui possédaient tout alentour de nombreuses places fortifiées, Acre, Dôr, Harosheth, Qitron, Nahalol, Beth-Shean, Yibleam, Taanakh, Megiddo. A la suite, sans doute, des empiétements des Hébreux de cette région, les anciens habitants se coalisèrent pour écraser leurs ennemis. Leur chef effectif était Sisara (son nom paraît être hittite), prince de Harosheth ; il possédait de nombreux chars, terreur des Hébreux, qui en étaient dépourvus. Cette fois, le salut vint par une femme. Assez vraisemblablement originaire de la tribu d’Issachar, Jud., v, 15a, et mariée à un certain Lappidoth, Débora exerçait parmi les Hébreux une sorte de magistrature extraordinaire, qui touchait à la fois à la prophétie et à la justice. On conserva longtemps le culte, puis le souvenir, d’un « Palmier de Débora » qui se trouvait à mi-chemin entre Béthel et Râmâ et près duquel elle avait coutume de rendre ses sentences inspirées. De toutes les contrées d’Israël on venait la consulter ; aussi connaissait-elle par le détail la lourde oppression qui s’appesantissait sur les tribus voisines de la grande plaine. Sa foi ardente ne lui permettait pas de partager le désespoir ni d’approuver l’inaction de ses compatriotes. Elle crut que l’heure était venue d’y mettre un terme. Pour l’aider dans cette tâche, elle convoqua auprès d’elle un certain Baraq, fils d’Abinoam, natif de Cadès de Nephtali, et lui intima, de par Jahvé, l’ordre de rassembler les combattants des deux tribus galiléennes de Nephtali et de Zabulon au mont Thabor pour écraser les Cananéens que Jahvé allait lui livrer. Ce Baraq avait été personnellement malmené par les Cananéens qui l’avaient arrêté quelque temps ; il avait souffert ; il ne possédait pas la foi de Débora : il ne se décida à accepter cette mission que si la prophétesse s’engageait à se tenir à ses côtés pour lui faire connaître le jour où l’ange de Jahvé donnerait la victoire ; car, en ces temps anciens, on ne livrait pas de combat sans avoir pris l’avis de la Divinité « par les sorts, les prophètes ou les songes. » Cette hésitation de Baraq, cette condition mise à son acceptation froissèrent la piété de Débora ; elle prédit à ce libérateur trop timoré qu’une femme et non pas lui aurait l’honneur de donner la mort au chef des ennemis. La coalition israélite réunissait toutes les tribus voisines de la plaine, Nephtali, Zabulon, Issachar, Makhir, clan important de Manassé, puis Éphraïm et Benjamin, qui obéissaient à Débora. Celle-ci avait appelé Ruben et Galaad, Dan et Aser ; mais ces derniers se désintéressèrent de la cause de leurs frères et ne vinrent pas au combat. Quant à Jucla, Siméon et Lévi, ils ne parurent pas non plus : Lévi était trop dispersé, Juda et Siméon trop éloignés pour que l’on eût songé à demander leur appui. La rencontre eut lieu entre le Thabor et les places de Megiddo et Taanakh. Un orage soudain déchaîné par Jahvé mit le désordre puis la panique dans les rangs cananéens, qui se débandèrent. Sisara fut tué par une femme qênite, Jaël, près de qui il s’était réfugié et qui lui enfonça à coups de maillet un pieu de tente dans la tête. Ces faits héroïques et sanglants ont été chantés par Débora en un magnifique poème, qui est l’un

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

des plus beaux monuments de la littérature lyrique des Hébreux. Les derniers vers comme les premiers de cette ode guerrière sont à la gloire de Jahvé. C’est que Jahvé est bien le véritable triomphateur de cette mémorable journée. Il a inspiré à une femme l’idée de la coalition, vaincu les hésitations d’un chef qui doutait du succès, ranimé le dévouement de chacun à la cause de tous. On l’a vu accourir du Sinaï où il réside et traverser à la hâte les montagnes de Seïr et d’Édom pour apporter aux siens le secours de son bras puissant. Il déchaîne l’orage qui effraie les chevaux ; il verse la pluie qui détrempe la plaine où les chars s’enlisent et fait déborder les rivières qui les entraînent ; ses étoiles mêmes semblent combattre à ses côtés. Comme il a prévu et combiné l’attaque, il en donne le signal, et quelques heures suflisent à ses fidèles mal armés pour briser la force d’un ennemi redoutable. La victoire est si bien à lui tout seul que c’est une femme encore, une femme qui n’est même pas israélite, qui donne le dernier coup à l’ennemi en mettant à mort Sisara.

Aussi le cantique de Débora, composé parmi ces événements, est-il encore tout vibrant de l’enthousiasme religieux qui, au lendemain de la journée du Thabor, agitait ce petit peuple étonné lui-même de sa victoire. Israël sentait que son Dieu était plus puissant que les autres dieux, et toujours aussi puissant qu’aux jours de Moïse, dont il ne cessait de commémorer et de célébrer les hauts faits. A la fierté d’avoir un tel Dieu s’ajoutait une reconnaissance joyeuse pour le dernier témoignage de sa bienfaisance inlassable. On l’exaltait, on le remerciait, mais mieux encore on l’aimait. On l’aimait — le mot est du poète hébreu, Jud., v, 31, — et c’est presque une surprise pour nous de constater que, dès l’aube d’une histoire où la crainte de Dieu tiendra une si grande place, un sentiment affectueux amollissait parfois ces âmes farouches et les attachait à Jahvé par des liens plus doux que ceux de la terreur.

Et l’on s’aimait mieux aussi les uns les autres, Le sentiment de l’unité nationale ne s’était pas évanoui quand les tribus s’étaient disloquées pour coloniser les territoires conquis. Rien n’en prouve mieux la survivance que l’action de Débora : comme prophétesse, elle réglait les différends nés au sein de plusieurs tribus ; comme Juge, elle réussit à soulever tout le nord du pays. Le cantique, qui n’a pas assez d’éloges pour ceux qui s’étaient dévoués à la cause commune, pas assez de sarcasmes pour ceux qui s’en étaient désintéressés, suppose aussi ce sentiment ancré au fond des cœurs. Le danger et la victoire ne le manifestèrent pas seulement au grand jour, ils surent le rendre beaucoup plus vif. Les tribus victorieuses comprenaient que, après l’aide de Jahvé, c’était le fait de s’être coalisées qui leur avait assuré le succès. Opprimées tant qu’elles avaient vécu à l’écart les unes des autres, elles avaient écrasé les Cananéens dès qu’elles s’étaient unies. Elles purent bien, passé le jour de la victoire, retourner a leur isolement jaloux ; elles n’en conservaient pas moins le souvenir brillant de ce qu’elles avaient pu accomplir, serrées ensemble autour de Jahvé invincible, et si elles ne le désiraient pas encore, elles entrevoyaient du moins le temps où, réunies de nouveau sous le commandement d’un seul chef, elles pourraient marcher à de nouveaux triomphes.

Quel fut le lendemain de cette victoire éclatante ? On ne le sait pas au juste. Toutefois, comme elle devait laisser une trace profonde dans le souvenir des Israélites, on peut bien supposer qu’elle avait mis pour toujours un terme à la suprématie des Cananéens dans cette région. Il dut y avoir encore quelques

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