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JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES


glaive ; on ne goûtait presque jamais la douceur si enviée de festoyer sans souci à l’ombre des arbres du verger ; on ne savait pas d’avance quel malheur imprévu allait survenir, mais on éprouvait comme une certitude angoissante qu’il en viendrait sûrement un.

Il y eut donc des heures très noires pour les Hébreux pendant ces deux ou trois longs siècles, où ils durent peiner et combattre encore pour s’assurer la possession définitive et la paisible jouissance de cette terre que leurs armes leur avaient ouverte. Que d’efforts, de souffrances et de misères, quand ils avaient cru qu’il leur suffirait de se présenter aux frontières pour que Jahvé leur livrât Canaan soumis d’avance et pour jamais à ses maîtres prédestinés ! La déception était parfois douloureuse, et la masse du peuple ne se l’expliquait pas. Mais les âmes pieuses, restées fidèles à la religion révélée par Jahvé à Moïse, en indiquaient la raison : Israël abandonnait son Dieu ou joignait à son culte, dans un rapprochement monstrueux, les cultes des Baals, d’Astarté et d’Ashérâ. Tous les malheurs qui s’abattaient périodiquement sur les tribus découlaient de cette infidélité religieuse ; revenir à Jahvé sans partage était donc la condition unique mais la condition nécessaire de la paix et de la prospérité. Les Baals répandaient tant de largesses, Astarté et Ashêrâ attiraient par tant de charmes que, tout d’abord, on n’en croyait guère ces preneurs importuns. Mais, à la longue, la situation allant s’aggravant et les tentatives faites pour y remédier restant immanquablement stériles, on écoutait d’une oreille moins distraite les objurgations des jahvéistes et l’écho de plus en plus distinct qu’elles éveillaient dans les âmes. On se rappelait les délivrances passées, qui n’avaient été dues qu’à l’assistance d’en haut : l’idée de l’antique alliance entre Jahvé et son peuple reprenait de sa force ; on réclamait du Dieu de la nation l’aide qu’il lui devait dans les dangers et, pour l’obtenir, on maudissait les faux dieux et l’on revenait à Jahvé comme au seul Dieu qui comptât. La victoire sur les ennemis suivait cette conversion dont elle était la récompense.

A la tête de ces soulèvements religieux et nationaux dont le souvenir nous est parvenu dans le Livre des Juges se trouvait toujours un inspiré, jahvéiste fidèle que révoltait l’égarement de ses frères et patriote exalté qui souffrait de l’abaissement de son pays. Homme ou femme, chef de clan obéi ou banni méprisé, particulier sans renom ou héros adoré du vulgaire, il était suscité par Jahvé d’une façon soudaine et donnait tout d’un coup comme un point d’appui matériel aux aspirations jusque-là vagues et timides de la foule qui tardait à se décider. Tantôt, il se révélait par une action d’éclat, tel le meurtre audacieux d’un ennemi ; tantôt, il s’imposait comme un chef qui redonnait du cœur aux plus lâches ; tantôt enfin, il relevait l’espoir languissant par on ne sait quel rayonnement du divin qui ranimait. Presque tous ressemblèrent à des chefs militaires qui entraînaient subitement à leur suite les combattants d’une ou de plusieurs tribus ; quelques-uns toutefois se bornèrent à des prouesses individuelles. Leur œuvre accomplie, ils quittaient, en général, cette sorte de dictature qu’ils avaient exercée par inspiration divine et du consentement de tous. Mais ils gardaient, par suite de leur mission et en raison de leur succès, un prestige considérable. A une époque sans doute avancée de cette période, plusieurs acquirent même une autorité très voisine du pouvoir royal héréditaire (Gédéon, Samuel, peut-être Jephté).

Ceux d’entre eux dont les Livres saints nous ont gardé le souvenir nous sont connus d’une manière très inégale ; des uns nous savons les exploits ; des autres nous ne connaissons guère que le nom. Tous

portent dans l’histoire le nom de » ’<5/é/, qui rappelle celui des « suffètes » de Carthage et que l’on traduit par « Juge ». Cette traduction usuelle pourrait, si l’on n’y prenait garde, donner une idée peu exacte de leur véritable caractère. Qu’ils aient pu rendre la justice, comme l’indique le sens que nous donnons à ce terme de « Juge », cela ne paraît pas douteux ; le rôle d’arbitre est souvent joué en Orient par celui que des qualités éminentes : sainteté, bravoure, finesse, connaissance des usages traditionnels, désignent au choix des plaideurs. Mais cette magistrature, quand les Juges l’exercèrent, n’était en réalité qu’une conséquence secondaire de leurs hauts faits. Leur nom de $6fét indique avant tout qu’ils furent de ces hommes qui prennent en main et qui font triompher la cause de la justice, et, dans leur cas, cette cause était d’assurer l’écrasement des oppresseurs d’Israël et la libération de ce peuple. L’idée essentielle du titre de « Juge », qui semble leur avoir été spécialement approprié par l’un des rédacteurs sacrés, apparaît avec plus de netteté pour nous dans l’appellation de « sauveur », qui se trouve dans les textes anciens. Ainsi les « Juges » furent des « Libérateurs » ou, mieux encore peut-être, des « Dictateurs ».

On les voit apparaître tantôt dans une tribu, tantôt dans une autre, un peu au gré des besoins. Si leur action pouvait intéresser par contre-coup l’ensemble du peuple, elle avait surtout pour résultat principal d’en tirer une portion plus ou moins notable du danger localisé qui la pressait. Aussi n’y eut-il jamais de gouvernement des Juges sur tout Israël ; ils ne se succédèrent pas comme des rois dont chacun aurait choisi une résidence nouvelle ; s’ils se ressemblent et s’ils ont tardivement reçu le même titre, c’est parce que le malheur des temps nécessitait trop souvent l’apparition d’un sauveur. Bien que devenues sédentaires, les tribus vécurent alors beaucoup de leur vie individuelle ; elles ne formaient ni un royaume même embryonnaire, ni une féodalité confédérative. La grande unité que Moïse avait rêvée et réalisée en partie avait à peu près disparu ; elle ne subsistait guère que dans la religion et dans les souvenirs du passé ; mais peu à peu elle tendit alors à renaître plus étroite que jamais sous l’influence de dangers plus considérables et d’aspirations de plus en plus nettes vers la royauté. Le mérite des Juges n’est pas de l’avoir établie ; leur temps ne le permettait pas encore ; mais du moins, si quelques-uns l’ébauchèrent dans un territoire restreint et pour une courte durée, tous travaillèrent à la préparer de loin en empêchant la disparition de leur tribu et en y ravivant, par la restauration de l’indépendance locale, le sentiment de l’appartenance à une même nation et à un même Dieu.

Les différents Juges.

 1. Othniel, fils de Qenaz

Jud., iii, 7-11, est le seul Juge de Juda qui nous soit connu. Il battit un certain Coushân-Rishâtaïm, roi araméen de l’Aram des deux fleuves (Euphrate et Chaboras).

2. Aod, fils de Gêrâ, Jud., iii, 12-30, délivra les plaines de Jéricho et les premières pentes orientales de la montagne d’Éphraïm qu’opprimaient les Moabites qui s’y étaient établis et en exigeaient des redevances périodiques. Il poignarda leur roi Eglon, souleva ses compatriotes et, ayant occupé les gués du Jourdain, massacra de nombreux ennemis. Benjamin ne fut pas seul à profiter de ce massacre : Israël tout entier, devait en tirer parti. La possession des gués, que gardaient (îalgala et.Jéricho, assurait aux Hébreux la haute main sur l’un des plus importants passages qui mettaient en communication les pays de l’est cl ceux de l’ouest du Jourdain. Les plaines de Jéricho nettoyée », ils n’avaient qu’à faire bonne garde aux gués pour empêcher une invasion nouvelle venue de