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    1. JUGES (LIVRE DES)##


JUGES (LIVRE DES), HISTOIRE DES JUGES

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pastorale. Ce changement social entraîna des conséquences importantes. La vie sédentaire diminua la signification des tribus obligées de se disloquer pour vivre dans les villes et les villages ; leur population se mêla un peu plus qu’au désert ; leurs cheikhs, au lieu d’être des potentats monarchiques, formèrent des aristocraties municipales ; leurs intérêts occasionnels les rapprochèrent par groupes géographiques et économiques : tribus galiléennes, tribus de la Montagne d’Éphraïm, tribus du pays de Juda, tribus de la Transjordane. Ce n’est qu’à l’heure de dangers considérables, au temps de Débora, pour libérer la plaine de Jézraël de l’hégémonie cananéenne, au temps de Saùl et de David, pour chasser les Philistins, que les tribus s’unirent toutes ou presque toutes. Mais ces unions ne furent qu’éphémères. Les tribus gardant jalousement leur particularisme, les conflits qui les opposaient n’étaient point rares : écrasement de Benjamin à propos de l’outrage fait au Lévite d’Éphraïm, Jud., xix-xxi ; intervention d’Éphraïm pour interdire à Ruben d’élever un autel, Jos., xxii, 9-34 ; destruction de Sichem par Abiméléch, Jud., ix, 46 ; massacre d’Éphraïmites par les Galaadites de Jephté, Jud., xii ; luttes de Juda et d’Israël sous David et enfin leur sécession définitive après la mort de Salomon. L’union accomplie par Moïse en créant la confédération du Sinaï sous la protection de Jahvé, le Dieu unique, ne put se maintenir quand le peuple d’Israël fut devenu sédentaire.

Le milieu religieux.

Le grand événement

religieux de la période des Juges fut l’entrée en contact de la religion de Jahvé avec la religion cananéenne. Il devait en naître plus d’un danger de contagion pour le jahvéisme. Ce dernier réussit à y échapper et à rester essentielllement conforme à ce que Moïse l’avait fait sous l’inspiration de Dieu. Mais, autant que nous en puissions juger, ceux qui le professaient dans sa pureté primitive ne furent plus qu’une élite, tout au plus furent-ils une minorité. La masse des Hébreux commença dès lors à céder à l’attrait de la religion indigène, à en imiter des pratiques, à s’en assimiler des croyances. C’est à cette époque que s’ébaucha ce jahvéisme de mauvais aloi qui faillit compromettre à plusieurs reprises la destinée religieuse d’Israël et contre lequel les prophètes s’élevèrent plus tard avec une énergie indignée.

La religion cananéenne, telle que l’avaient faite plusieurs siècles de sédentarisme et de vie agricole, était une religion de la Nature féconde. Le Baal était le maître du sol ; Astarté et Ashêrâ semblent avoir été les déesses de la reproduction des plantes, des troupeaux, des hommes. Comme les Cananéens devaient avoir sans cesse recours à ces protecteurs célestes, ils avaient multiplié partout leurs sanctuaires. Ceux-ci sont les « hauts lieux » de la Bible. Un haut lieu complet comportait un terrain sacré, un autel de roche, des pierres dressées, un ou plusieurs pieux sacrés (ashérâs), de l’eau vive ou celle d’une citerne, d’un bassin ou de jarres, des fosses à offrandes, des tables d’offrandes, souvent une caverne, un arbre sacré et quelques édifices plus ou moins amples pour les besoins du culte, en particulier pour le repas du sacrifice. Outre les rites communs à toutes les religions sémitiques, les Cananéens offraient des sacrifices humains, soit sacrifices de nouveau-nés, soit sacrifices de fondation, et pratiquaient aussi la prostitution sacrée à laquelle se vouaient des hiérodules hommes et femmes. Ils ne semblent pas avoir placé, pour l’ordinaire, d’idoles dans leurs hauts lieux ; mais ils possédaient en abondance des plaquettes d’argile avec une image de la déesse nue. Ni leurs idées, ni leurs cérémonies religieuses ne nous sont bien connues. On entrevoit du moins qu’ils considéraient le mystère

de la génération, de la fécondité et de la fertilité, comme relevant de la puissance et de la bonté de leurs dieux. Rien ne leur coûtait en fait d’offrandes et de sacrifice pour obtenir d’eux cette bénédiction, qui assurait la perpétuité des familles et l’aisance de l’agriculteur. Aussi, quand les Hébreux envahisseurs s’installèrent à leur tour en Canaan et qu’ils durent s’adapter à la vie agricole, que les ressources du pays leur imposaient, on prévoit assez de quelles séductions perfides ils se trouvèrent aussitôt assaillis. Ce n’était pas seulement l’exemple des Cananéens qui les appelait à participer à tous ces rites nouveaux pour eux mais trop appropriés aux pires aspirations de la nature humaine pour ne pas leur avoir dès l’abord souri ; ce devaient être plus encore peut-être les mille voix tentatrices qui montaient de cette terre ardente et généreuse, où ces échappés du désert, le pays de la soif et de la faim, allaient trouver toutes sortes de biens qui leur amolliraient le cœur, troubleraient leurs sens et les amèneraient presque fatalement à faire de la religion révélée par Dieu à Moïse, jugée désormais trop austère, une religion facile où s’étaleraient les rites grossiers, où se glisseraient même parfois les turpitudes de Canaan.

III. Histoire des Juges.

Il n’y a pas lieu d’entrer ici dans le détail de l’histoire des Juges ; on le trouvera dans la Bible, les commentaires et les histoires. Il suffira de signaler les situations générales et l’importance religieuse ou politique des faits qui nous sont connus.

Caractère général de l’activité des Juges.


Le manque d’entente, que la jalousie et l’intérêt particulier entretenaient d’une manière trop habituelle entre les tribus, n’était pas seulement un obstacle à leur développement politique ; en confinant chacune d’elles dans la recherche égoïste de ses propres avantages, il dispersait aussi les forces de la nation et rendait celle-ci moins capable d’échapper aux périls presque incessants que lui faisaient courir les étrangers qui l’entouraient et ceux qui vivaient au milieu d’elle. C’était cependant pour Israël une question de vie ou de mort que d’arriver à conquérir définitivement Canaan sur les indigènes nombreux et, en maints endroits, puissants qui s’y trouvaient encore, comme de défendre son territoire contre les tentatives de pillage ou de conquête venues du dehors. Cette double tâche était pressante.

Dans un tableau synthétique qui résume sans doute des faits assez nombreux, la Bible nous montre ces ennemis se ruant tour à tour sur les tribus pour leur arracher une partie de leurs conquêtes ou ravager la terre qu’elles exploitaient : Amorrhéens, Araméens, Moabites, Phéniciens, Cananéens, nomades d’alentour, Benè-Ammôn et enfin Philistins, se soulèvent ou accourent à la curée. Jud., i, 34 ; x, 8-12. Les Israélites, après avoir d’abord plié sans courage, se défendent de leur mieux et souvent très bien ; ils s’imposent même d’oublier parfois leurs dissentiments pour s’unir par régions, afin d’écraser les révoltés ou de repousser les envahisseurs. Mais si, dans l’ensemble, ils furent victorieux, ils ne remportèrent point, durant la période des Juges, une de ces victoires considérables qui mettent fin pour toujours à une situation incertaine. Au lendemain d’un succès obtenu grâce à l’aide de Dieu et à l’union de leurs forces, ils retournaient à leur isolement ombrageux avec l’espoir de jouir tranquillement de la sécurité reconquise ; puis un ennemi nouveau surgissait à un autre point, et il leur fallait recommencer à soulTrir et à se battre. Cette alternative incessante de paix éphémère et de luttes trop fréquentes jetait les esprits dans une inquiétude presque habituelle. On était las d’avoir si souvent à quitter la charrue pour empoigner le