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JUGES (LIVRE DES), SOURCES DE L’HISTOIRE DES JUGES


sance du milieu israélite de la période des Juges, mais ils ne mentionnent point Israël. Celui-ci l’est seulement sur la stèle de Minephtah, le pharaon de l’exode d’après l’une des deux hypothèses relatives à cet événement. On est donc réduit aux documents sacrés ; ils sont contenus dans le livre des Juges et dans I Sam., i-vm.

Aux renseignements fournis sur ces écrits par le Dictionnaire de la Bible, t. iii, col. 1846-1859 et t. v, col. 1129-1145, il suffira d’ajouter quelques remarques. 2° On peut considérer comme acquis que Jud. et I Sam., i-vra, ont été composés à l’aide de documents anciens plus ou moins intégralement reproduits par le rédacteur inspiré. Ce caractère de compilation littéraire était imposé par le sujet : les faits rapportés pour la période des Juges s’espacent sur un siècle au moins et peut-être sur trois ; le rédacteur de nos livres n’avait pu être témoin de tous et, comme les différences de style ne permettent pas de penser qu'à lui seul il aurait toujours rédigé son récit d’après des souvenirs oraux, il a dû utiliser des récits composés antérieurement à lui et plus voisins des événements qu’il ne pouvait l'être lui-même.

Mais autant ce fait paraît certain, autant n’arrivet-on qu'à de simples probabilités lorsqu’il s’agit de déterminer les étapes du travail rédactionnel, d’une part, et, d’autre part, le caractère et l’origine des documents anciens mis en œuvre. Sur ces deux points, les travaux critiques n’ont pas dépassé l'étape des tâtonnements et des approximations. Cette incertitude dérive en grande partie de ce que l’on ne possède pour cette période, réserve faite pour le cantique de Débora qui est contemporain de la bataille qu’il chante, aucun document daté.

3° En ce qui concerne le travail rédactionnel qui a mis en œuvre ces documents antérieurs, quelques constatations semblent montrer qu’il ne fut pas exécuté en une seule fois, mais bien à deux reprises différentes. En premier lieu, en effet, les formules chronologiques dues à la rédaction (en voir le tableau dans L. Desnoyers, La période des Juges, Paris, 1922, p. 382) ne sont pas les mêmes d’un bout à l’autre du récit, mais se répartissent en deux groupes : dans Jud., ni, 8-vm, 28, les dates se trouvent de préférence employées avec les expresssions « Benè-Israël », « le pays fut en repos », et le terme « Juge » n’est usité ni pour Aod, ni pour Débora, ni pour Gédéon. A partir de Jud., x, 2, jusqu'à I Sam., viii, 1, le terme « Juge « revient avec une régularité parfaite et toujours avec « Israël » pour complément. — En second lieu, on relève des traces d’additions qui semblent témoigner que le livre des Juges n’atteignit pas du premier coup sa forme définitive : les deux appendices, Jud., xvii-xxi, ne sont pas liés avec le corps du livre ; Jud., xv se terminant par la formule ordinaire des conclusions, le c. xvi, qui se réfère aussi à Samson et se termine par une nouvelle formule de conclusion, paraît une addition ; ix, qui raconte l’histoire d’Abiméléch, vient de même après la conclusion de l’histoire de Gédéon ; x, 6-xii, 6, qui raconte l’histoire de Jephté a été intercalé dans la liste des Petits Juges, dont Jephté faisait primitivement partie. — En troisième lieu, enfin, bien que cette constatation soit plus délicate et plus incertaine, on pourrait sans doute retrouver dans l’introduction générale au Livre des Juges, ii, 14-19, une retouche rédactionnelle due à l’auteur du discours de Samuel dans I Sam., xii et de l’introduction particulière à Jephté et Samson dans Jud., x, 1-16.

De ces constatations, les unes toutes matérielles, les autres plus hypothétiques, on pourrait tirer la conclusion que notre Livre des Juges, auquel, peutêtre, des fragments conservés dans I Sam., i-vm, étaient primitivement liés, n’atteignit à peu près sa

forme actuelle qu’en deux étapes. Il y aurait eu d’abord un Livre israélite des Libérateurs du nord, qu’un rédacteur judéen aurait repris et complété à l’aide de documents du sud.

Ce rédacteur pourrait avoir écrit dès le ixe siècle finissant, puisque les documents utilisés par lui semblent être antérieurs à cette date. Mais si son ouvrage constitue réellement une fusion d’un écrit israélite avec des documents judéens, peut-être vaudrait-il mieux penser qu’il écrivit sous le règne d'Ézéchias, car cette époque fut marquée par une certaine activité littéraire (cf. Proverbes, xxv, i ; récits en prose d’Isaïe, xxxvi-xxxix), activité que favorisaient sans doute la venue des prêtres et prophètes du Nord échappés à la mort et à la déportation, et sûrement l’application des Judéens à recueillir, avec le nom d’Israël, les traditions, souvenirs et écrits des Israélites en grande partie désorientés et dispersés. Le Livre des Juges composé par ce rédacteur aurait été identique à peu de choses près au Livre que nous possédons.

4° En ce qui concerne les documents anciens que mit en œuvre la rédaction, la plupart des critiques modernes se sont appliqués à relever ce qu’ils estimaient être traces de double récit, puis, leurs résultats leur ayant paru suffisamment solides, à établir l’existence d’une double série de récits relatifs aux mêmes faits et aux mêmes personnages, enfin, à rattacher ces deux histoires parallèles aux documents J et E du Pentateuque.

A vrai dire, la dualité de documents ne paraît évidente que pour l’histoire de GédéonYeroubbaal et probable que pour le deuxième appendice de Jud., xx, xxi. Dans les autres cas, il semble qu’on a analysé les textes avec la préoccupation antécédente d’expliquer toujours par un doublet les heurts de la rédaction actuelle. D’autre part, en rattachant les récits anciens aux histoires hypothétiques J et E, les partisans de cette conjecture se sont arrêtés à michemin de leurs recherches critiques. J et E, en effet, quand ils auraient été définitivement constitués, au ixe ou au viiie siècle avant Jésus-Christ, n’auraient été, en fait, que des compilations ; aussi, pour être complet, le travail critique devrait-il rechercher, dans la mesure du possible, les périodes et les milieux où auraient été rédigés les documents recueillis plus tard dans les compilations J et E. Ce n’est pas ici le lieu d’instituer cette enquête. Disons seulement qu’on pourrait répartir ces récits entre les milieux lévitiques, prophétiques et laïques, et qu’il y a tout lieu de penser que la plupart des récits anciens auraient été rédigés d’assez bonne heure, au plus tard sans doute dans le premier demi-siècle qui suivit le schisme des dix tribus (vers 933) : à dater d’Achab, roi d’Israël, et de Josaphat, roi de Juda, la littérature historique accuse une nuance prophétique sensible ; or cette nuance est, pour bien dire, absente des récits des Juges ; elle n’apparaît guère que dans I Sam., i-ni La composition de quelques-uns des récits sous Salomon et David, ou même au cours de la période des Juges, demeure probable.

5° La valeur historique des récits ne dérive pas seulement de leur ancienneté ; elle découle aussi du fait que plusieurs d’entre eux reproduisent simplement des souvenirs locaux qui se rattachaient à un tombeau, à un autel, à une fête religieuse ou à une dénomination topographique.

Quant à la chronologie de la période des Juges, elle ne saurait être fixée tant que l’on ne connaîtra pas avec certitude la date de l’exode. L’institution des Juges cesse avec l’apparition d’une royauté durable en Israël, vers 1040 avant Jésus-Christ. Si l’on place l’exode sous le pharaon Minephtah, vers 1225, la