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JUGEMENT TÉMÉRAIRE — JUGES (LIVRE DES)


rigueur. L’amour-propre, un secret orgueil l’empêche de croire les autres meilleurs que lui-même ; il pense se relever à mesure qu’il s’imagine découvrir en eux plus de faiblesses. La malignité du cœur avec toutes les petites passions qui lui font ordinairement cortège, sont le verre noirci qui change la couleur des objets, le crêpe funèbre qui, enveloppant en quelque sorte l’esprit et la conscience, leur présente les personnes et les choses sous le jour le plus sombre. Qu’il est aisé de se tromper, de verser dans l’injustice, lorsqu’on suit de tels guides !

Une autre cause des jugements téméraires est la précipitation d’un esprit léger, vaniteux. On ne prend pas la peine de réfléchir ; on s’attribue volontiers de la perspicacité et du jugement ; on se croit sagace et, fort de ce brevet d’habileté qu’on se décerne à soi-même, on estime pouvoir lire sans effort et sans erreur dans la conduite et les intentions d’autrui. A la simple vue, au premier aspect d’une personne on prétend la juger et décider de ses qualités morales. L’extérieur, la physionomie, les manières, l’attitude, le langage, quelques travers d’esprit ou de caractère, c’en est assez pour prononcer une sentence sans appel. Les personnes qui jugent de manière aussi précipitée appartiennent à la catégorie de gens dont parle saint Thomas : ayant une grande puissance d’imagination, ils manquent totalement de jugement et de bon sens. Quod videtur provenire ex disposilione imaginativse virtutis, quæ de facili poiest formare diversa phantasmata ; et tamen hujus modi quandoque non sunt boni judicii ; quod est propter dejectum intelleclus, qui maxime contingit ex mala disposition communis sensus non bene judicantis. Sum. theol., II a Ilæ, q. ii, a. 3.

Enfin une longue expérience est une source parfois de jugements ou de soupçons téméraires. Saint Thomas nous l’explique. Les vieillards sont soupçonneux au plus haut point et parce qu’ils ont beaucoup observé les défauts des autres et parce qu’ils en ont maintes fois pâti : Senes sunt maxime suspiciosi quia mulloties experti sunt aliorum defcctus. Chez eux pourtant le soupçon tient moins du vice et paraît davantage excusable ; c’est plutôt de la défiance, une crainte qu’on les trompe, un besoin de certitude qu’a créé l’expérience. Tertio modo suspicio provenit ex longa experientia… tertia vero causa diminuil rationem suspicionis, in quantum experientia ad certitudinem proficit, quæ est contra rationem suspicionis. Ibid., II a Ilæ, q. lx, a. 3.

Une remède d’abord qui contribue à guérir de l’habitude de juger témérairement consiste à se montrer sobre de jugements sur le prochain. C’est vulgaire sagesse autant que justice et charité chrétiennes. La valeur morale des actions dépend en grande partie des motifs qui inspirent celles-ci. Or ces motifs d’ordinaire secrets et pour des raisons de discrétion et de haute prudence devant parfois rester à jamais tels, qui peut se flatter de les pénétrer à fond, avec une absolue certitude ? Nous sommes à nous-mêmes une énigme souvent insoluble et nous voudrions percer les autres à jour ? Nous vivons dans un perpétuel contact avec notre conscience, nous sommes les témoins intimes des sentiments qui remuent au fond de notre cœur, et cependant que de mouvements cachés nous échappent ? Combien de motifs secrets, obscurs restent ensevelis dans le mystère ? Comment prétendre dès lors juger en connaissance de cause la conduite de nos semblables ? A côté d’actions manifestement répréhensibles, sans excuse, combien d’autres ne présentent pas ce caractère de malice, que l’ignorance ou l’intention excusent, justifient ? Combien aussi n’ont du mal que l’apparence ? Combien enfin n’existent même pas, ont été inventées de toutes pièces, puis colportées, faussement accréditées ? Juger est chose délicate et dangereuse. Celui-là est prudent et sage, juste autant que

charitable qui s’abstient ; plus encore qui sait envisager les actions d’autrui du meilleur côté, les interpréter de la manière la plus favorable, fermer les yeux sur les défauts du prochain et ne les ouvrir que sur ses qualités. Quand rien ne fait un devoir du contraire, c’est s’épargner à soi-même bien des inquiétudes et des fautes.

Le pieux auteur de V Imitation suggère une recette non moins salutaire : Ne croyez pas à toute parole, mais pesez longuement toute chose… L’homme parfait ne croit pas facilement à tout homme qui parle, car il sait combien la nature humaine est portée au mal et peu discrète en paroles. Imit., t. I, c. iv. La leçon revient à cette autre formule : Soyez lents à croire, et plus lents à juger. Au fond de certains bruits répandus, qui s’accréditent et vont grossissant à proportion qu’ils s’éloignent de leur point de départ, que trouve-t-on la plupart du temps ? Rien que l’impardonnable jeu d’un esprit léger, ou la malveillance d’une méchante langue. Les cercles formés sur l’eau et qui vont aussi s’élargissant toujours, finissent par se briser et mourir contre quelque rocher ferme et droit ; nous pouvons chacun, par notre lenteur à croire et à juger, c’est-à-dire par la dureté de nos oreilles et la solide droiture de notre conscience, être le rocher où viennent expirer les discours malveillants et les appréciations défavorables.

i Comment, s’écriait Jésus, vous voyez une paille dans l’œil de votre frère, et vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre 1 Commencez par retrancher la poutre de vos défauts, et vous verrez ensuite à arracher les pailles de votre prochain. » Un troisième remède contre l’habitude du jugement téméraire consiste, en effet, à rentrer en soi-même, à examiner et à purifier sa conscience. Les petites passions qui s’agitent dans le cœur de l’homme sont la poussière qui obscurcit l’œil de son esprit et change la face des objets. A ceux qui jugent volontiers, à tout propos, on pourrait dire, imitant le langage du divin Maître : Supprimez de votre âme les motifs secrets, inavoués qui inspirent vos appréciations, que vous colorez de beaux prétextes et par lesquels vous cherchez à vous aveugler, nettoyez vos fenêtres, et vous serez admis à dire ce que vous voyez dans vos frères : vous ne croirez plus à leurs défauts du moment que vous ne les aurez plus vous-mêmes.

Saint Thomas, Summa theologica, II » II æ, q. lx, a. 3-4 ; Saint Alphonse de Liguori, Theologia moralis, t. III, n. 962965 ; Gousset, Théologie morale, Paris, 1845, t. I, n. 10661068 ; Cl. Marc, Institutiones morales alphonsianw. Home, 1885, t. i, n. 1191-1194 ; Gury-Ballerini, Compendium theologia ; moralis, Rome, 1887, t. i, n. 465-467 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. i, n. 11851186 ; Noldin, Summa theologiæ moralis, t. ii, De » rœceptis, n. 658-661 ; Sebastiani, Summarium theologiæ moralis, Turin, 1918, n. 343. D’une manière générale, les sermonnaires et les moralistes.

A. Thoiivenin.

    1. JUGES (LIVRE DES)##


JUGES (LIVRE DES). — Sous cette lubrique nous n’étudierons pas seulement le livre de l’Ancien Testament qui porte ce nom, mais encore la portion de l’histoire d’Israël comprise entre l’installation en Chanaan et l’établissement de la royauté. Cette « période des Juges » est d’une très grande importance pour la vie religieuse d’Israël. On trouvera donc ici une des tranches de l’Histoire de la religion juive.

I. Sources de l’histoire des Juges. — II. I.e milieu (col. 1835). — III. Histoire des Juges (col. 1838). — IV. I.a religion à l’époque des Juges (col. 18. r >l).

I. Les sources de l’Histoire des Juces. — 1° Quelques documents profanes, inscriptions et basreliefs de Ramsès III, inscription de Téglath-Phala* sar I or, récit de voyage sur les côtes de Syrie de l’Égyptien Wenamon, sont à utiliser pour la connais-