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1825 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

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tem et proprietalem. Car, en réalité, il ne saurait y avoir de différence entre fidèles et infidèles, dont toute les actions seront pareillement pesées et publiées. Si l’infidélité coupable est un principe évident de damnation, de même en est-il pour une foi stérile que n’ont pas accompagné les œuvres. Il ne s’agit d’ailleurs pas uniquement de partager les hommes en fidèles et infidèles, mais d’apprécier dans le détail la responsabilité de chacun : ce qui exige une discussion pour les uns aussi bien que pour les autres. Pourquoi, du reste, la foi comporterait-elle un privilège plutôt, par exemple, que la charité ? Tout ce qu’on peut dire des grands coupables, ce n’est pas qu’ils ne sont pas soumis au jugement, mais qu’ils y sont d’avance condamnés. Non est ergo sensus hos non esse judicandos in judicio divino, scd solum habere in se ccrtam damnationis causam. Disp. LVII, sect. v, p. 1087-1089.

Application est faite un peu plus loin des mêmes principes au jugement des saints. Seules les âmes exemptes de tout péché actuel, comme celle de la vierge Marie, n’ont à atteridre que la louange divine. Pour toutes les autres, il y a lieu à une discussion comparative de leurs mérites ou démérites respectifs. Même les assesseurs du Christ seront d’abord jugés par lui avant de juger les autres. Mais il est bien évident que la discussion sera moindre pour ceux qui n’eurent à se reprocher que des péchés véniels ou de légères imperfections. Disp. LVII, sect. vii, p. 1092-1095.

Cette doctrine de Suarez est entrée communément dans la théologie récente sous la forme d’une distinction entre le « jugement de discussion » et le « jugement d’évidence », celui-cin’étant applicable qu’à certains cas exceptionnels tandis que celui-là demeure la loi commune. Voir Katschthaler, op. cit., p. 550-551, etBautz, op. cit., p. 215-226. D’autres ont fait observer cependant qu’il ne saurait y avoir pour personne de discussion proprement dite, du moment que le sort de chaque âme est réglé par le jugement particulier, mais qu’il y a lieu pour toutes à la manifestation publique de leur place relative dans l’échelle du bien ou du mal. Voir Oswald, op. cit., p. 350.

Le cas des enfants morts en bas âge a paru mériter un examen spécial. Du moment qu’ils n’ont pas pu acquérir de mérites personnels, saint Thomas les fait comparaître devant le tribunal divin, non ut judicentur sed ut videanl gloriam judicis. In IV Sent, dist. XLVII, q. i, a. 3, sol. 1, ad 3um, p. 423, et Su777.//ieoL, Supplem., q. lxxxix, a. 5, ad 3um. Mais saint Bonaventure croit devoir les soumettre au jugement. In IV Sent., dist. XLVII, a. i, q. iii, p. 974. Conformément à son système, Suarez soustrait au judicium discussionis ceux qui ont reçu le baptême, disp. LVII, sect. vii, n. 3, p. 1092 ; mais les autres devront être jugés. Ainsi l’exige la loi générale et c’est ce qu’indique positivement l’Apocalypse, xx, 12, quand elle place devant le trône de Dieu tous les morts sans exception, « les petits comme les grands ». Ibid., sect. vi, p. 1089-1091. Voir dans ce sens Katschthaler, p. 546-551, et Bautz, p. 226229.

2. Application aux anges.

Faut-il enfin mettre les anges parmi les sujets du jugement ? La question a été diversement résolue.

D’après l’ancienne doctrine de l’école, leur cas ne saurait comporter de discussion. Quant à la rétribution, saint Thomas estime qu’elle est déjà réalisée pour eux et que le dernier jugement leur vaudra seulement un supplément accidentel de joie ou de peine, d’après ce qu’ils auront fait de bien ou de mal pour les hommes. Unde directe loquendo, conclut-il, judicium neque ex parte judicantium neque ex parle judicandorum erit angelorum sed hominum ; sed indirecte quodammodo respiciel angelos, in quantum actibus hominum fuerunt commixti. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 3, sol. 4,

p. 424, et Su/77, theol., Supplem., q. lxxxix, a. 8. Au contraire, saint Bonaventure, sur la foi principalement de II Petr., ii, 4, tient que le jugement dernier comprendra les anges aussi bien que les hommes. In IV Sent., dist. XLVII, a. i, q. 4, p. 974-975.

Cette opinion est retenue par Suarez comme « plus probable », disp. LVII, sect. viii, p. 1095-1097, et généralement suivie avec la même note par la théologie moderne. Voir Katschthaler, p. 546-548 ; Oswald, p. 350-351 ; Bautz, p. 229-231 ; Tanquerey, p. 768. Quelques auteurs cependant, tels queChr.Pesch, p.372, rapportent côte à côte les deux conceptions sans exprimer leurs préférences. Il est certain que la seconde, outre ses attaches traditionnelles, correspond davantage au courant de la pensée religieuse actuelle, qui aime considérer le dernier jugement comme la suprême manifestation de la justice de Dieu et l’inauguration solennelle, pour toutes les créatures raisonnables, conformément à leurs mérites, de l’ère de l’éternité.

Conclusion générale. — A la prendre dans son ensemble, cette doctrine catholique du jugement, telle que la présente l’Église, rentre bien dans l’économie de la divine révélation, qui a pour but de nous fixer sur « l’unique nécessaire » plutôt que de satisfaire aux exigences d’une vaine curiosité. Bien inconsciente de ses moyens et de ses limites serait la théologie qui prétendrait en exclure toutes les ombres ou répondre d’une manière adéquate à toutes les questions qu’elle peut soulever. « Bespectons les mystères que Dieu n’a pas voulu nous révéler et n’essayons pas de suppléer à son silence par les constructions enfantines de notre imagination. » Et. Hugueny, op. cit., p. 372. Dans ces mystères eux-mêmes, l’enseignement divin, quand il est reçu avec une confiante fidélité, fait jaillir assez de lumières pour que l’âme religieuse y trouve de quoi guider sa marche à travers les ténèbres de la vie présente et s’exciter à un effort moral toujours plus intense, en vue de solliciter efficacement la miséricorde de Dieu avant que se révèle cette justice qui, pour chacun de nous et pour l’ensemble de l’humanité, ne saurait manquer d’avoir son jour.

Juste judex ultionis,

Donum fac remissionis

Ante diem rationis.

I. Croyances des religions non-chrétiennes. — 1° Outre les histoires générales ou spéciales des religions, on peut consulter les monographies suivantes : L. Marillier, La survivance de l’âme et l’idée de justice chez les peuples non civilisés, Paris, 1894, dans la Bibliothèque de l’École pratique des hautes études : Section des sciences religieuses ; N. Sôderblom, La vie juture d’après le Mazdéisme à la lumière des croyances parallèles dans les autres religions, Paris, 1901, dans les Annales du Musée Guimet : Bibliothèque d’études, t. ix ; H. Hubschmann, Die parsische Lehre von Jenseits und jungslem Gericht, dans Jahrbûcher fur protestantische Théologie, t. v, 1879, p. 203246 ; A. V. Williams Jackson, Weighing of the soûl in the balance ajter death an Indian as well as Iranian idea, dans les Actes du X’Congrès international des Orientalistes, tenu à Genève, 1894, 2e partie, p. 65-75 ; Edin. Spiess, Entuiickelungsgeschichte der Vorstellungen vom Zustande nach dem Tode auf Grund vergleichender Religionsforschung, Iéna, 1877.

2° En particulier pour l’antiquité classique, L. Ruhl, De mortuorum judicio, dans A. Dieterich et R. Wiinsch, Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, Giessen, 1905, t. ii, p. 33-105 ; G. Iwanowitch, Opiniones Homeri et tragicorum gréecorum de inferis, dans Berliner Studien fur klassische Philologie und Archàologie, t. xvi, 1894, p. 5-103 ; H. Meuss, Die Vorstellungen von Dasein nach dem Tode bei den altiken Rednern, dans JVeue Jahrbûcher fur classische Philologie und Pàdagogik, t. cxxxix, 1889, p. 801-815 ; E. Rohde, Psyché ; Seelenkult und Unsterblichkeitsglaube der Griechen, Tubingue, 1e édit., 1893-1895 ; 5e édit. 1910 ; A. Dieterich, Nekyia, 2e édit., Leipzig, 1913.

Bons résumés par H. Weil, dans le Journal des Savants