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JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL


équîvalemment, en disant qu’il nous sera demandé compte même dune parole oiseuse, Matth., xii, 36, mais aussi que le moindre verre d’eau donné en son nom ne restera pas sans récompense. Ibid., x, 42. Voilà pourquoi lorsque, à la grande scène du jugement, il n’est plus question que des œuvres de charité, Matth., xxv, 35-45, tous les théologiens entendent ces paroles comme signifiant, non pas une restriction absolue que rien ne justifierait, mais une simple indication. Ea quæ de opcribus misericordiæ ibi dicuntur tantum esse velut indicium quoddam judicii de omnibus operibus jaciendi. Suarez, disp. LVII, sect. ix, n. 5, p. 1100.

Saint Paul, qui insiste sur le fait que chacun devra porter au jugement tous les actes de sa vie terrestre, II Cor., v, 10, précise en particulier que le jour du Seigneur éclairera les plus profondes ténèbres et manifestera les secrets des cœurs. I Cor., iv, 5. Étant donné, en effet, que tout, dans la conception chrétienne de la vie, soit le mal, Matth., v, 28, soit le bien, ibid., vi, 1-5, dépend principalement des intentions, comment le jugement serait-il exact et complet s’il n’atteignait celles-ci ? Aussi, comme le jugement général a pour principal but d’afficher au grand jour en les justifiant les sanctions du jugement particulier, la révélation publique des consciences en fait-elle partie essentielle. Matth., x, 26. C’est ainsi que la tradition a compris ces « livres » dont il est question dans Apoc, xx, 12, après Daniel, vii, 10. Qui novit omnia nota faciet universis, dit saint Bernard, De conversione ad clericos, ix, 19, P. L., t. ci.xxxii, col. 844. Doctrine résumée dans ce vers expressif :

Cunclaque cunctorum cunclis urcana palebunt.

Il ne saurait être question d’expliquer ce fait par une sorte de loi naturelle : il demande une lumière divine spéciale. Elle agit tout d’abord de manière à faire apparaître irrésistiblement à la mémoire de chacun le souvenir de ses actes. Tous y ont laissé quelque trace, soit directe, soit indirecte par la répercussion de leurs effets : on conçoit que, sous le coup d’une excitation puissante, ces indices fugitifs puissent reprendre corps. La même action divine étendra notre regard au contenu des autres consciences, de manière à enlever tous les voiles et arracher tous les masques, ce qui peut se faire, soit par la révélation des consciences elles-mêmes réalisée par la toute-puissance de la cause première, soit par la perception nette de l’état de gloire ou d’humiliation dans lequel se traduira la somme de leurs mérites. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de supposer que cette vision soit absolument instantanée. Pour les damnés, qui n’auront pas le privilège de la vision béatifique, saint Thomas admet qu’ils embrasseront toute l’étendue de leurs mérites ainsi que ceux des autres, non tamen in insianli sed in lempore brevissimo, divina virtute ad hoc adjuvante. Sur toute cette question, voir In IV Sent., dist. XLIII, q i, a. 5, p. 288-291, et Sum. theol., Supplem., q. i.xxxvii, a. 1-3.

2. Application au eus des péchés déjà remis.

On

s’est demandé si les péchés effacés par la pénitence reparaîtraient au dernier jugement. Pierre Lombard voulait épargner aux justes cette humiliation. Si quveritur utrum peccata quæ fecerunt elecli lune prodeant in noliliam omnium, sicut mala dumnandorum omnibus erunt nota, non legimus hoc expressum in Script lira. Unde non irrationaliter putari potest peccata hic per psenitenliam lecla et détela illic etiamtegialiis, ulia vero cunclis propalari. Sent., IV, dist. XLIII, c. v. Sain t Thomas défend le sentiment contraire comme la probabilior et communior opinio, d’abord au nom de la loi commune du jugement dernier, puis au nom même de la gloire des saints qui serait diminuée dans 1 hypothèse du Maître des Sentences. Ex hoc sequeretur quod

nec eliam pœnilentia de peccatis illis perjecte cognoscatur : in quo mullum detraheretur sunclorum gloriae et laudi divinæ quæ tam misericorditer sanctos liberavil. Il ajoute d’ailleurs que cette publication ne sera pas un sujet de honte pour les saints, pas plus que le rappel public qui se fait dans l’Église des péchés de Marie-Madeleine n’est pour elle une source de tristesse ou un affront. In IV Sent., dist. XLIII, q. i, a. 5, sol. 2, p. 291, et Sum. theol., Supplem., q. Lxxxvii, a. 2. De même saint Bonaventure. In IV Sent., dist. LVII, a. ni, q. 1-2, p. 899-901.

Approuvée par Suarez, disp. LVII, sect. vii, n. 6, p. 1094, cette doctrine est devenue celle de toute la théologie catholique. Voir Katschthaler, op. cit., p. 556-557, et Bautz, op. cit., p. 224-226. Parfois même l’opinion contraire est notée comme l’une des erreurs de Pierre Lombard. Voir Hurter, Theol. dogm., 10e édition, Inspruck, 1900, p. 650.

Sujets du jugement général.

Toutes les données

de la raison et de la foi s’accordent à réclamer que le jugement dernier soit absolument universel. Cette notion ne s’est-elle pas incorporée à son nom même ? Sur ce principe fondamental ne règne et ne peut régner aucun doute. Mais il y a discussion sur quelques cas spéciaux.

1. Application aux hommes.

D’après Joa., iii, 18, une tradition s’était formée qui excluait du jugement, soit les vrais fidèles du Christ parce qu’ils sont sauvés du fait de leur foi, soit les infidèles parce que leur infidélité même les condamne déjà. Spécialement adoptée par saint Grégoire le Grand, voir plus haut col. 1801, cette doctrine avait été transmise au Moyen Age sous son autorité par Pierre Lombard, Sent., IV, dist. XLVII, ciii, et formait, dès la fin du xue siècle, un’thème classique de discussions. Voir Richard de Saint-Victor, De judiciaria potestate, P. L., t. exevi, col. 11771181. Un des premiers, saint Thomas a mis toutes choses au point. Il rappelle tout d’abord le principe que le jugement est strictement universel comme la Rédemption. Quant aux bons, ils seront jugés en ce sens qu’ils recevront la récompense de leurs œuvres, mais sans que leurs mérites soient mis en discussion : Discussio meritorum non fit nisi ubi est quædam meritorum commixlio bonurum cum malis. De même en est-il pour les méchants : Judicium quod est pœnarum retributio pro peccatis omnibus malis competit ; judicium autem quod est discussio meritorum solis fidelibus, quia in in fidelibus non est fidei fundamentum. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, art. 3, p. 421-424, et Sum. theol., Supplem., q. lxxxix, art. 5-7. Même position dans saint Bonaventure, In IV Sent., dist. XLVII, art. i, q. 3, p. 974 et dans un anonyme qui dépend de lui. Quidam non judicabuntur et damnabuntur. ut quorum mala mérita omnino impcrmi.rta sunt bonis… ; quidam vero non judicabunlur….et salrabuntur, ut quorum mérita bona impermixta sunt malis. Compendium theol., ver., vu, 19, imprimé parmi les œuvres d’Albert de Grand, t. xxxiv, Paris, 1895, p. 249.

C’est ainsi que les scolastiques s’efforçaient de concilier les exigences de la foi et les données patristiques par une distinction verbale entre le judicium discussionis et le judicium coiulamnationis vel remunerationis. Mais n’est-il pas difficile d’imaginer une vie tellement mauvaise qu’il ne s’y mêle pas le moindre bien ou tellement bonne qu’il ne s’y mêle pas le moindre mal ? Aussi cette distinction a-t-elle paru fragile à Suarez.

Tout en rendant hommage à l’effort fait par les théologiens ses prédécesseurs pour sauver en la modelant le théorie de saint Grégoire, hanc sententiam exponunl et moderantur scholasiici, il refuse de les suivre dans cette voie. Leur solution lui semble magis spectare ad mclaphoricum modum loquendi quam ad rei verita-