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1821 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

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scène s’efface, comme autrefois chez Origène, devant sa signification religieuse. « Si le plan divin, qui est l’ordre lui-même, a été obscurci dans le temps, il faudra que Dieu ait son heure pour le faire resplendir… Cette apparition du plan divin sortant tout à coup des ténèbres pour se dévoiler à tout regard intelligent, ce sera le jugement lui-même ; et quand cette lumière aura lui, tout sera jugé… Le jugement dernier, vu de haut et dans la grande lumière de la raison et de la foi, c’est cela même ; c’est le plan de la divine Sagesse se révélant tout à coup devant l’assemblée universelle de tous les êtres créés. Quelle que puisse être la forme extérieure que Dieu voudra donner à cette révélation suprême, quel que soit le drame plus ou moins saisissant par lequel se produira, devant l’humanité assemblée, la majesté de ces grandes assises, si, laissant un moment de côté l’encadrement solennel de ce drame suprême, vous cherchez" ce qui est au fond, voilà ce que vous trouverez infailliblement : la révélation éclatante, l’explosion fulgurante de tout l’ordre et de toutes les harmonies du plan divin, se dévoilant dans une clarté triomphante devant les intelligences évoquées pour le regarder et pour trouver, dans ce regard même, leur absolution ou leur condamnation, leur triomphe ou leur défaite, leur humiliation ou leur glorification. » R. P. Félix, S. J., Le châtiment. Quatrième retraite de Notre-Dame de Paris, 2e édition, Paris, 1898, p. 187-188.

Il faut, en tout cas, retenir comme essentielle au jugement dernier l’idée d’un acte spécial par lequel Dieu, sous une forme qui nous reste inconnue, fera rayonner d’une manière décisive sur toutes les consciences humaines la gloire de son nom et, ajoutons, pour que soit complète la notion de l’ordre chrétien, la gloire de son Fils.

6. Procédure du jugement.

On a depuis longtemps fait remarquer toutes les difficultés qu’il y aurait à imaginer, pour les innombrables milliards de créatures humaines, une série d’interrogations et de discussions telles qu’elles se passent devant nos tribunaux. Déjà Origène et saint Augustin avaient exposé que le jugement divin ne comportait pas autre chose qu’une illumination vengeresse de la conscience. P. Lombard a recueilli l’essentiel de cette doctrine. Sent., IV, dist. XLVII, c. i. D’où elle est passée dans saint Thomas, qui l’a formellement recueillie et méthodiquement généralisée. Quid circa hanc quæstionem sit verum pro certo definiri non potest ; tamen probabilius seslimatur quod totum illud judicium et quoad diseussionem, et quoad accusationem malorum et commendationem bonorum, et quoad sententiam de ulrisque, mentaliter perficietur. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 1, sol. 2, p. 416, etSum. theol., Supplem., q. Lxxxviii, a. 2. Pour le développement d’une conception du même genre, voir Richard de SaintVictor, De judiciaria potestate, P. L., t. exevi, col. 1181-1186. Il est vrai qu’ailleurs saint Thomas semblé se tenir plus près de la lettre des Écritures. Opusc., lxix, Opéra omnia, édition Vives, t. xxviii, p. 638-642.

Cette position si nette du docteur angélique n’a pas empêché une notable régression de la théologie postérieure. Le jugement ayant pour caractéristique de faire comparaître les hommes en corps et en âme devant le Christ siégeant dans sa forme humaine, la logique a paru exiger que la procédure comportât un élément sensible. D’autre part, ne fallait-il pas sauvegarder à la lettre la description du jugement donnée par le Christ lui-même au ch. xxv de saint Matthieu ? Les scrupules nouveaux de cette théologie et de cette exégèse ont trouvé leur pleine expression dans l’œuvre de Suarez.

Tout en reconnaissant qu’il n’y a rien de certain

en ces matières, il croit devoir redresser discrètement la doctrine reçue : Conjecturis utendo, verisimile est quod omnes theologi docent hujusmodi causæ manifeslationem non esse totam vocibus sensibilibus exprimendam. Pour apprécier toute la saveur de cette formule, il faut se rappeler que saint Thomas disait : totum illud judicium… mentaliter perficitur. Quant à lui, Suarez estime, non sans embarras, qu’il y aura quelque chose pour les sens, au moins dans les paroles du juge : Non est improbabile aliqua peccata hominum esse voce sensibili redarguenda et similiter aliqua bona opéra laudanda. Ceci s’appliquerait aux groupes, sinon aux individus : Verisimilius esse, si quid agendum est voce sensibili, id non esse futurum respeclu singularum personarum, sed in communi. De même, la sentence individuelle serait toute mentale, parce qu’une autre manière de faire prendrait trop de temps ; mais le jugement se terminerait par les deux sentences générales que rapporte l’Évangile, et celles-ci seraient prononcées à haute voix. Verisimile est, postquam de singulis in specie judicatum juerit…. proferendas esse ilhis duas générales sententias, quorum una reprobis, altéra electis communis est… At vero sententiæ illse générales, ut credi potest, voce sensibili proferentur. Disp. LVIII, sect. ix et x, p. 1097-1102.

L’autorité de Suarez a imposé cette conception à un assez grand nombre de théologiens modernes. Voir Bautz, op. cit., p. 239-241 et, au moins pour la dernière sentence, Katschthaler, p. 558-559 et Pesch, p. 372-373. Ce qui oblige à se demander en quelle langue cette sentence publique sera portée. « Une langue, répond Sylvius, qui sera comprise de chacun en particulier comme si c’était sa langue maternelle. » Dans S. Alphonse de Liguori, Disserl., Vl, vii, 4, p. 375. Mais il en est d’autres aussi, comme Tanquerey, p. 768 et Billot, p. 47 et 183, qui délaissent ce conr cordisme un peu chétif pour revenir à la doctrine pure et simple de saint Thomas. Elle offre d’incontestables avantages au point de vue logique sans avoir moins d’appuis dans la tradition.

Suivant la manière de se représenter la procédure du jugement varie la notion de sa durée. Pour Suarez et son école, il comporte un certain temps : fiet in mora aliqua. Disp. LVII, sect. ix, n. 5, p. 1100. Mais, si tout se passe dans l’esprit, le jugement peut et doit être instantané. Telle est la position admise par saint Thomas, In IV Sent., disp. XLVII, q.i, a. l.sol. 2, ad 1° "’. et Sum. theol., Supplem., q. lxxxviii, a. 2, ad l" iii, et aussi par saint Bonaventure, In IV Sent., dist. XLIII, a. iii, q. 3, p. 902.

Au total, au moins depuis Origène, deux tendances théologiques sont en présence, dont l’une s’attache à conserver le plus possible de la dramaturgie des Écritures, tandis que l’autre subordonne plus ou moins complètement ces aspects sensibles du jugement à son élément spirituel. En ne s’opposant pas à leur pacifique concurrence dans les écoles d’autrefois et d’aujourd’hui, l’Église indique suffisamment son intention de ne pas solidariser le dogme avec ses explications plus ou moins probables et de laisser aux théologiens, sous réserve des certitudes qu’impose la foi, le bénéfice de l’adage : In dubiis libertas. Tous gagneront à imiter l’attitude du vieux thomiste V. L. Gotti, Theotogia scholastico-dogmatica, Bologne, 1735, t. xvi, p. 330, qui, après avoir exposé ses convictions personnelles, ajoute avec une sage réserve : Quid autem futurum sit omnes videbimus. atque ulinam féliciter !

Objet du jugement général.

 Parce qu’il est le

règlement définitif des comptes humains, le jugement général doit avoir pour matière toutes les actions des hommes, grandes ou petites, bonnes ou mauvaises, secrètes ou cachées. « 1

1. Principe.

C’est ce que Jésus-Christ indique