Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/202

Cette page n’a pas encore été corrigée

1813 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL 1814

loppe judaïque : celle du triomphe de Dieu sur le mal et les méchants pour sa gloire et le bonheur de ses élus. Affirmée déjà chez les grands prophètes, elle finit par devenir de plus en plus dominante — sans toutefois jamais exclure entièrement les rêves matériels qui flattaient l’appétit populaire — et le jugement apparaît alors comme l’exercice des suprêmes rétributions divines à l’égard de l’humanité. De messianique, national et collectif, il est devenu individuel moral et universel. Cette conception atteint son apogée avec Daniel, dont l’autorité en a implanté progressivement le règne dans le judaïsme postérieur. Mais il a fallu la révélation du Christ et l’enseignement des apôtres pour la fixer définitivement sur ces bases. Quoi qu’il en soit du judaïsme, le christianisme n’a retenu le jugement que pour sa signification spirituelle, comme manifestation éminente de la Providence divine sur ses créatures raisonnables et sur l’ensemble du genre humain.

Le fait que ce grand idéal est longtemps resté dans une sorte de gangue ne saurait surprendre, quand on sait que la communication et la conservation de la vérité divine a été soumise à la loi du développement. Ainsi donc la foi au jugement, pas plus que la foi messianique dont elle est une partie, ne perd rien de sa valeur religieuse pour avoir eu des débuts modestes et être restée longtemps encombrée d’éléments inférieurs. On ne juge pas de l’être vivant par les formes confuses de l’embryon, mais, au contraire, de celles-ci par l’être parfait dont elles portent le germe et qui étend déjà sur elle le prestige de sa dignité. Sans renier ses origines judaïques qui l’enracinent en pleine réalité humaine, l’Église ne se laisse pas ramener à leur mesure. C’est en elle qu’il faut chercher le sens exact et, par conséquent, la portée profonde de ce passé dont elle a recueilli l’héritage. Le jugement messianique n’appartient à la révélation divine que sous la forme où il a été consacré par elle à la lumière qu’elle a reçue du Christ.

Quel que soit donc l’intérêt qui s’attache, d’un point de vue spéculatif, à suivre les formes préparatoires de son enseignement, il serait contre toute méthode de faire peser sur celui-ci le poids des inévitables infirmités de celles-là. On ne peut raisonnablement demander à l’Église compte du judaïsme, mais seulement de l’interprétation qu’elle en a donnée.

2. Objections du symbolisme rationaliste.

Cependant la doctrine même dont elle accepte la responsabilité ne serait-elle pas entachée d’une bonne part de relativisme ?

D’un côté, dit-on, l’origine en serait mal garantie. Car elle plonge ses racines dans le judaïsme et l’on ne saurait disconvenir que le Christ, s’il a modifié les formes de l’espérance messianique, en a conservé le fond. Volontiers l’ancien rationalisme le soupçonnait de s’être accommodé aux conceptions religieuses de son temps. Aujourd’hui la critique pose plutôt en postulat qu’il en a subi l’empreinte. De toutes façons, il y aurait lieu de rechercher, sous la lettre de ses paroles, la vérité plus haute qu’elles recèlent. Élevé sur ces bases, comment l’enseignement de l’Église pourrait-il avoir une valeur plus absolue ? D’autant que ces grandes assises de l’humanité, auxquelles présiderait le Christ dans sa gloire, ne sont pas exemptes d’anthropomorphisme. Aussi bien les meilleurs théologiens s’estiment-ils en droit d’en spiritualiser tels ou tels traits. N’y a-t-il pas de quoi jeter un doute sur la solidité du reste ? A quoi s’ajoute le caractère transcendant de ce dogme pour inviter à n’y voir que le symbole d’un acte spirituel.

Telle est la tendance qui s’affirmait, à la fin du xviiie siècle, dans l’école rationaliste de Wegscheider et qui se répand de plus en plus aujourd’hui chez les

protestants soucieux de ne point perdre tout contact avec un christianisme positif. Voir L. Émery, L’espérance chrétienne de l’au-delà, p. 36-44.

La réponse à une question de ce genre, comme à toutes celles qui touchent les problèmes essentiels, ne dépend pas des seuls arguments critiques : elle est subordonnée à toutes les raisons qui fondent pour le croyant la foi en l’Église et en l’autorité de son enseignement. Dans la mesure où elle relève de la théologie, elle se résoud par les principes généraux exposés à l’art. Église, t. iv, col. 2175-2192 et à l’art. Dogme, ibid., col. 1579-1606. Il suffit de rappeler ici que le croyant est toujours dans la disposition d’incliner ses préférences ou ses difficultés personnelles devant l’enseignement certain de l’Église, parce qu’il la sait dépositaire infaillible de la vérité, et qu’il tient pour le vrai sens des dogmes celui qui résulte de ses déclarations authentiques, sans se reconnaître le droit de les volatiliser à sa guise sous prétexte d’une intelligence plus haute. Voir Constitution Dei ftlius, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1800.

Dans l’espèce, autant l’Église est ferme sur l’existence du jugement général et de la parousie, autant elle est discrète sur les modalités de leur réalisation et son magistère jusqu’ici n’est nulle part autrement engagé que par l’approbation tacite qu’elle accorde à l’enseignement de ses théologiens. Or ceux-ci ont à cœur tout à la fois de sauvegarder la substance des données traditionnelles et d’obtenir une notion rationnellement acceptable du jugement dernier. La liberté même qu’ils revendiquent à cet égard aide à distinguer les points certains, où doit régner l’unité, des parties moins sûres qui autorisent de légitimes divergences. En suivant cette voie avec la prudence voulue, il n’est pas impossible de tenir un juste milieu entre le littéralisme strict qui sacrifierait l’idée aux images et le symbolisme radical qui évacuerait tout de celle-là pour n’être pas esclave de celles-ci. Voir Oswald, op. cit., p. 341-342.

Sans doute rien ne peut enlever au dogme du jugement dernier son caractère mystérieux, et tout système qui le ramènerait sur un plan purement rationnel trahirait par le fait même son intention de le détruire. Mais cet hommage rendu à la révélation divine, outre la garantie qu’il trouve dans la foi même qui l’inspire, est, d’un point de vue tout humain, un acte de suprême sagesse. N’est-ce pas en se maintenant dans le courant traditionnel que l’on a le plus de chance de rencontrer ce qu’il contient de profonde vérité ? Il peut sembler plus séduisant de se livrer aux initiatives du libre examen ; mais les satisfactions de l’individualisme ont une douloureuse contrepartie dans la fragilité de ses constructions. Car il n’est pas de système humain qu’un autre système ne contredise ou ne remplace, sans autre profit que de contenter momentanément son auteur, tandis que l’Église, comme le maître dont elle garde la doctrine, a les paroles de la vie éternelle et se montre capable d’être l’éducatrice efficace de l’humanité.

Voilà pourquoi la raison s’unit à la foi pour faire accepter, au sens où elle s’affirme dans la tradition catholique, la réalité du jugement général, quitte à utiliser ensuite toutes les ressources de la meilleure théologie pour en saisir moins inadéquatement la notion.

Raison d’être du jugement général.

Sous le

bénéfice de cet acte initial de toi, on peut d’ailleurs apercevoir des raisons qui suggèrent à tout le moins la convenance du jugement dernier. Insuffisantes à soutenir toutes seules le poids du dogme, elles peuvent, en tout cas, en montrer l’harmonie dans l’édifice de la révélation.

1. Affirmation de la Providence.

Pour saint Tho~