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18Il JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT GÉNÉRAL

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jugement qui est le principe des actes qui en marquent ensuite l’exécution. La synthèse théologique doit ici rétablir l’ordre réel de ces éléments.

1. Principe.

Sur ce terrain il ne saurait y avoir de doutes ni de dillicultés.

Pourquoi l’âme, en effet, serait-elle jugée si ce n’est pour recevoir la sanction de ses œuvres 7 Et pourquoi cette sanction ne s’appliquerait-elle pas aussitôt ? La vieille idée du sommeil des âmes s’explique et s’excuse comme la conception rudimentaire de cerveaux trop frustes pour s’ouvrir à la notion de l’être spirituel. Aussi bien ne fut-elle jamais que l’erreur isolée de certains milieux populaires. En vain quelques protestants modernes ont-ils entrepris de l’étayer sur une exégèse tendancieuse. Prise dans son ensemble, la tradition biblique est favorable à la spiritualité et à l’immortalité de l’être humain. Voir Ame, 1. 1, col. 969971 et 1021-1024. D’où il suit que la mort laisse à l’âme l’intégrité de ses fonctions spirituelles. Voir Sum. theoi, P, q. lxxvii, a. 8. Ce qui la rend susceptible d’activité, par conséquent de peine ou de bonheur.

Du moment que des sanctions sont possibles même en l’absence du corps, il est clair que l’application en est souverainement convenable ; car, dans toutes les actions de l’homme, bonnes ou mauvaises, c’est toujours l’âme qui eut le rôle principal. C’est pourquoi tout philosophe chrétien doit dire avec saint Thomas, Contra génies, t. IV, c. xci : Nulla igitur ratio est quare in puniliorte vel præmialione animarum exspectetur resumptio corporum. Quin mugis conveniens videtur ut animée, in quibus per prius fuit culpa et meritum, prius eliam puniantur vel præmientur. Aussi l’ajournement des sanctions, idée dont le docteur angélique a bien reconnu l’existence dans le passé comme opinio quorumdam, est-il par lui résolument rejeté comme une erreur. Sum. theol., IIP, q. lix, a. 5, ad lum. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait un acte positif de Dieu, dont rien ne prouve l’existence et contre lequel protestent toutes les lois de sa sagesse.

2. Application.

Ce point une fois acquis, on a pu se demander parfois si ces premières sanctions ont pour résultat d’introduire l’âme dans l’état définitif de béatitude ou de châtiment que lui réserve l’eschatologie chrétienne, c’est-à-dire si le jugement particulier aboutit — indépendamment du purgatoire qui n’est qu’un lieu de passage — au ciel ou à l’enfer proprement dits.

Si cette question a pu se poser autrefois, c’est que la tradition patristique olïre, à cet égard, d’incontestables divergences, surtout en ce qui concerne la jouissance de la vision béatiflque. Au.Moyen Age encore toute incertitude n’était pas éliminée sur ce point. Voir Benoit XII, t. ii, col. 658-666, et Jean XXII, t. viii, col. 639. Mais les décrets du concile de Lyon, précisés par la définition de Benoit XII, ont dogmatiquement tranché la controverse.

A la lumière de ces enseignements « le l’Église, on peut se rendre compte, en effet, que l’échéance immédiate des sanctions définitives est seule conforme à la foi catholique et que l’idée archaïque d’un état provisoire ne lut qu’une survivance attardée du judaïsme, sans attaches profondes avec l’ensemble de la tradition et d’ailleurs incompatible avec l’économie chrétienne du surnaturel. La preuve détaillée en est laite, pour les élus, à l’art. BENOIT XII, t. ii, p. 67.’1695, et, pour les damnés, à l’art. Enfer, t. v. col. 92-’.’l. Du point de vue théologique, c’est le seul moyen de rendre pleine justice à l’œuvre rédemptrice du Christ, dont l’un îles principaux effets fui d’ouvrir le ciel aux justes retenus jusque-là dans les limbes, voir Sum. theol., III 1, q. xlix, a. 5, et du point de vue rationnel il paraît difficile de réaliser autrement qu’eu paroles cette situation indécise d’âmes élevées à l’étal surna turel, et qui ne serait ni la pleine possession de Dieu ni l’absolue damnation.

Sans être essentielle à la doctrine du jugement particulier, puisque des sanctions même provisoires en supposent nécessairement l’existence, cette suprême précision du dogme eschatologique achève de lui donner toute son importance et son relief. Au terme de cette lente élaboration, il se présente à nous comme l’acte définitif de la justice divine qui arrête les destinées éternelles de chaque individu suivant ses mérites dans le temps.


VII. Synthèse théologique : Le jugement général.

A la différence de la précédente, la doctrine du jugement général était déjà formellement constituée dans la théologie patristique. D ne restait guère qu’à en réunir les éléments épars, de manière à obtenir un ensemble systématique, et à résoudre quelques problèmes secondaires que devait forcément faire surgir le rapprochement avec le jugement particulier. C’est à cette œuvre de synthèse que les grands théologiens depuis le Moyen Age ont appliqué leur effort.

Existence du jugement général.

Dès les plus

anciens symboles, le jugement général figure dans la foi explicite de l’Église. La théologie a pour première tâche de montrer comment, en effet, il se rattache au fond le plus essentiel du dépôt.

1. Révélation du jugement général.

Il n’est peut-être pas de vérité qui s’affirme d’une manière plus ferme et plus certaine dans l’ensemble de l’Écriture, où la tradition chrétienne devait à son tour la recueillir. Aussi tous les croyants qui se placent sur le plan de la révélation positive ont-ils eu l’impression que la preuve était surabondante au point de paraître superflue.

Telle était déjà la conviction de saint Augustin. Nullus igitur vel negat vel dubitat per Jesum Christian taie quale in islis sacris litleris prsenunliatur futurum esse novissimum judicium, nisi qui eisdem litleris nescio qua incredibili animosilate seu cœcitate non crédit, quæ jam verilalem suam orbi demonslravere lerrarum. De civ. Dei, XX, xxx, 5, P. L., t. xxi, col. 708. Suarez fait écho à l’évêque d’Hippone. Hœc assertio est unus ex arliculis fidei… Quem ex Scripturæ testimoniis et ex sanctis Patribus probare fere est supervætneum, quia nihil est in Scriplura, præserlim in Novo Testamento, et in Patribus frequentius… Breviler, ubicumque in Scriptura fit mentio in singulari et quasi per antonomasiam de die judicii…, sermo manifestus est de universali judicio. Op. cit., disp. LUI, sect. i, n. 2, p. 1010. En dehors de la gnose, il faut arriver au rationalisme moderne pour trouver trace d’une opposition à cette vérité. Opposition d’ailleurs trop visiblement inspirée par des préjugés a priori contre le surnaturel pour cou l rebalancer efficacement une tradition de vingt siècles, qui n’a connu ni hésitation ni voix discordantes.

Aujourd’hui néanmoins les exigences de la méthode historique obligent à prendre en plus sérieuse considération les contingences qui président à la genèse de ce dogme. Il est certain que l’idée du jugement dernier n’est pas primitive en Israël, où on ne la voit se dégager qu’au terme d’une assez longue évolution. Au début, le jugement ne signifiait qu’une intervention historique de Dieu pour briser les ennemis de son peuple et n’apparaissail guère, on conséquence, que dans les perspectives immédiates du lieu et du moment. Même lorsque le jugement prend des couleurs d’apocalypse et s’accompagne de phénomènes voyants qui signifient la fin du monde, il ne perd pas encore son caractère temporel et son objectif principalement national.

Une grande idée vivait cependant sous cette enve-