Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/200

Cette page n’a pas encore été corrigée

1809 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT PARTICULIER 1810

favorable à cette dernière conception. Toujours est-il qu’il n’y a pas à imaginer d’autre mise en scène que ce drame psychologique où nos pensées, comme a dit saint Paul, Rom., ii, 16, s’accuseront ou se défendront l’une l’autre. Aussi quelques théologiens ont-ils pensé que le mot propre serait ici celui d’auto-jugement (Selbstgerichl). Voir Oswald, Eschatologie, Paderborn, 1868, p. 24.

De même, la sentence est tout intérieure : profertur non quidem sono vocis sed mentaliler, ita ut singulorum mentibus imprimatur. Tanquerey, Synopsis, 14° édition, t. iii, p. 706. La lumière divine qui investira l'âme lui fera comprendre qu’elle reçoit la juste rémunération de ses actes, bons ou mauvais. Voir Billot, op. cit., p. 47-48.

Auteur du jugement particulier.

Du moment

que le Christ déclare avoir reçu du Père le pouvoir d’accomplir omne judicium, Joa., v, 22, on devait se demander si et de quelle façon ce principe s'étend au jugement particulier. Les difficultés viennent, comme le remarque Suarez, de ce qu’il n’y a pas ici de texte scripturaire formel comme pour le jugement général. Op. cit., n. 13, p. 1007. A quoi il faut ajouter, avec Bellarmin, op. cit., p. 107, que le jugement particulier avait évidemment déjà lieu avant l’incarnation.

En conséquence, ce dernier se déclare incapable de trancher la question : Non posse cerlo deftniri… an judicentur (animœ) immédiate a Christo in forma humana sententiam pro/erente, an solum divina virtute quæ ubique prxsens est, an vero per angelos sententia mani/esletur. Suarez croit pouvoir être plus aflirmatif. Quamvis enim non sit tam certum particulare hoc judicium exercerî per Christi humanilalem sicut universale…, lamen probabilior et magis pia sententia est etiam hoc judicium perlinere ad potestatem judiciariam Christi et per humanilalem exerceri. Les théologiens postérieurs accueillent également cette opinion comme « probable ». Katschlhaler, op. cit., p. 48. Au dire de M. Tanquerey, op. cit., ce serait la sententia communis.

On peut d’ailleurs l’entendre sans anthropomorphisme. Il n’est pas nécessaire de supposer que les âmes sont amenées devant le trône du Christ : ce qui aurait l’inconvénient, signalé tout à l’heure, d’introduire, ne fût-ce que momentanément, les damnés dans le ciel. Moins encore faut-il dire que le Christ descend du ciel vers elles pour les juger : alioqui oporteret semper esse quasi in continuo molu, immo sœpe necessarium illi esset pluribus locis simul assislere. Tout peut se faire au moyen d’un simple acte mental. Quocirca dicendum est… animam judicandam… in instanti mortis intelleclualiter elevari ad audiendam sententiam judicis… Et verisimile est in eo instanti cognoscere sese judicari, et salvari vel damnari, imperio et efjicacia non solum Dei sed etiam hominis Christi. Suarez, op. cit., n. 1415, p. 1008.

Dès lors, il n’y a plus lieu de prendre en considération l’opinion, chère à certains mystiques, d’après laquelle tous les défunts auraient, dès avant le jugement général, la vision du Sauveur crucifié. On la trouve notamment chez Innocent III, De contemptu mundi, ii, 43, P. L., t. ccxvii, col. 736, qui invoque le texte prophétique : Videbunt in quem transfïxerunt, Zach., xii, 10. Bellarmin l'écarté d’un mot : Non solum non est certum, sed nec admodum probabile. Op. cit., p. 107. Suarez ne lui trouve de fondements que pour le jugement général. Cependant il propose d’admettre, avec Tostat, une sorte d’illumination psychologique, qui donnerait aux âmes, d’une manière réelle sinon sensible, la perception du Christ. Advenire Christum in morte uniuscujusque non secundum præseniiam localem sed secundum efficaciam, per quam fit ut unusquisque suum stalum agnoscal, et imperium et

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

sententiam judicis audiat, et ex vi illius statim tendat in locum suis meritis debilum. Op. cit., n. 16, p. 1008.

Rôle des anges.

Souvent les anges ont été associés au jugement, et leur concours a été compris de

diverses façons. t.-s-v-ï

1. Comme auteurs du jugement.

« Quelques théologiens prétendent que Jésus-Christ accomplit ce jugement par l’intermédiaire des anges. On croit, dit Véga, que l’archange saint Michel procède au jugement particulier : creditur Michaël animarume corporibus discedentium.particulare judicium exercere. Mais cette opinion trouve peu de partisans parmi les autres théologiens, qui pensent, au contraire, que Jésus-Christ est le seul juge des âmes. » Saint Alphonse de Liguori, Dissertation sur les fins dernières, II, iii, 1, dans Œuvres dogmatiques, trad. Jacques, Tournav, 1874, t. viii, p. 225.

2. Comme auxiliaires du jugement.

Du moins les anges jqueraient-ils au jugement particulier un rôle auxiliaire, soit pour y conduire les âmes, soit pour leur communiquer la sentence, soit pour présider à son exécution ?

On lit au rituel des funérailles : Subvenite, sancti Dei, occurrile angeli Domini, suscipientes animam ejus, offerentes eam in conspectu Altissimi. Saint Michel est considéré comme l’ange psychopompe par excellence : Constitui le principem super animas suscipiendas. Saint Bonaventure estime encore que quelques anges et quelques démons assistent au jugement proprement dit : Credendum enim est quod in egressu animæ a corpore assistunt et spi ilus bonus et spiritus malus, unus vel plures, et tune secundum veritatem dici sententiam. In IV Sent., dist. XX, p. i, q. 5, p. 625.

Dans la conception toute psychologique du jugement particulier adoptée aujourd’hui par la théologie, il n’y a plus de place pour un rôle effectif des anges ou des démons. On peut donc croire que ce sont là de simples figures pour enfoncer plus sûrement dans nos imaginations la réalité du jugement.

Cependant quelques théologiens ont conçu une sorte de présence objective, en vertu de laquelle l’ange gardien et le démon assisteraient à notre jugement, et, comme ils ont connaissance de nos actes, cette présence objective serait par elle-même une sorte de témoignage objectif. Katschthaler, op. cit., p. 49-50. On agira sagement en n’attachant pas une autre importance à ces tentatives d’un concordisme sans doute plus verbal que réel et en s’en tenant à ce que la raison peut se représenter des rapports entre l'âme et Dieu. Toutes les images n’ajoutent rien à ce fond spirituel et risqueraient facilement de le diminuer.

En tout cas, s’il faut absolument recourir à des images — et il n’est pas de matière où notre nature éprouve un plus vif besoin de se représenter l’invisible — encore importe-t-il de ne les choisir pas trop indignes de la réalité. A cet égard, Newman a donné l’exemple, dans son célèbre Songe de Géronlius, traduit par Marie-Agnès Pératé, dans Newman, Méditations et prières, Paris, 1906, p. 305-338, d’un poème eschatologique où la finesse du psychologue et la doctrine du théologien s’unissent à toutes les ressources de l’art le plus consommé. Si notre littérature ascétique obéissait plus souvent à ce genre d’inspiration, l'édification n’y perdrait sans doute rien et le goût religieux y gagnerait certainement beaucoup.

Exécution de jugement particulier.

Historiquement la foi en des sanctions immédiatement consécutives à la mort a précédé la notion distincte de

jugement particulier et fut, comme on l’a vii, la manière la plus ancienne et la plus constante dont s’est affirmée dans la tradition l’existence de celui-ci. Il n’en est pas moins vrai qu’en soi c’est la sentence du

VIII — 58