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JOACHIM DE FLORE. LE JOACHIMISME


sublilibus ftdei dogmatibus rudis. Il a encore réfuté dans la Somme, I a, q. xxxix, a. 5, l’erreur de Joachim, que sicut dicitur : Deus gentil Deum, ita potest dici quod cssentia gentil essentiam. Quant au système eschatologique de l’abbé de Flore, il a nié toute possibilité de prévoir la date de la fin du monde, et contesté le principe même de l’interprétation joachimite, à savoir la correspondance exacte des Testaments : quamvis status Novi Testamenti in generali sit præfiguralus per statum Veleris Testamenti, non tamen oportet quod singiila respondeant singulis. C’est d’ailleurs bien Joachim qu’il visait, car il le nomme, pour le comparer aux exégètes dont parle saint Augustin, qui n’écrivent pas prophetico spiritu, sed conjectura mentis humanse… Similiter videtur esse de dictis abbatis Joachim, qui per taies conjecturas de fuluris aliqua vera prædixit, et in aliquibus deceptus fuit. Une certaine pénétration peut-être, voilà tout ce qu’il lui concède, mais aucune grâce surnaturelle de prophétisme. In librum IV Sent., Dist., XLIII, q. î, a. 3. Et dans la Somme théologique, I" II a e, q. cvi, a. 4, il a, ici sans le nommer, mais évidemment en pensant à lui, combattu la thèse que la loi nouvelle ne durerait pas jusqu’à la fin du monde, et en particulier l’argument tiré des trois personnes divines, des trois états du monde et des trois ordres d’hommes qui doivent leur correspondre : fuit quidam status, conveniens personæ Patris, scilicel status veleris legis, in quo homines generationi intendebant ; simililer eliam est alius status conveniens personæ Filii, scilicet status novse legis, in quo clerici intendentes sapienliæ. quæ appropriatur Filio, principantur. Ergo eril status tcrlius Spiritus Sancti, in quo spirituales viri principabuntur. Et il nie qu’il puisse y avoir un état futur ici-bas où la grâce de l’Esprit Saint soit plus largement répandue que depuis le Christ.

D’après son biographe Guillaume de Tocco, Acta Sanclorum, mars, t. i, col. 665, il avait fort bien compris la gravité des erreurs de Joachim et les conséquences pratiques qu’on en tirait : quia ex dictis abbatis Joachimi pnvdicli hærelici (se. fraterculi de vila paupere ; G. de Tocco, qui écrit au xive siècle antidate un peu) fomentum sumunt præfali erroris pestiferi, preediclus doclor in quodam monaslerio pelivit librum præfati abbatis et oblalum lolum perlegil et ubi aliquid erroneum reperit vel suspectum, cum linea subducla damnavit, quod lolum legi et credi prohibait, quod ipse sua manu docla cassavit.

D’une manière plus générale, on peut dire que l’Université de Paris, qui donnait le ton aux milieux intellectuels, a été anti-joachimite ; c’était chez elle une tradition. Elle avait dénoncé, d’ailleurs avec les excès et les injustices qu’on a vues, le joachimisme de Gérard de Borgo San Donnino ; elle combattit la théologie de Pierre Olivi. Aussi les « docteurs de Paris » sont-ils d’ordinaire très malmenés dans la littérature joachimite, depuis les commentaires sur Isaïe et Jérémie, jusqu’aux écrits d’Arnaud de Villeneuve (cf. plus loin), qui fut personnellement leur victime.

Notons aussi le scepticisme à l’égard, non seulement des joachimites les plus exaltés, mais de Joachim lui-même, qui se manifeste de plus en plus dans la deuxième moitié du xiiie siècle, et dont témoignent Vincent de Beauvais, Spéculum historiale, t. XXIX, c. xl, et d’après lui Guillaume de Nangis, ad an. 1186, Historiens de France, t. xv, p. 942 ; ils considèrent comme très suspect qu’il ait prétendu fixer la date de la fin du monde, et parlent nettement de ses erreurs, Guillaume plus encore que Vincent.

Joachimisme et spiritualisme.

Mais par contre

le joachimisme apparaît désormais comme inséparable du spiritualisme. Aux partisans de la pauvreté absolue, d’ordinaire plus ou moins persécutés, il fournit ce qui est le réconfort nécessaire mais périlleux des

minorités religieuses : la certitude d’être le petit troupeau des élus, et donc un motif de confiance qui les empêche de désespérer, et un espoir de consolation et de revanche.

Bien de plus facile que de l’interpréter en ce sens, et d’en faire sortir toute la thèse spirituelle. Le mot même n’avait-il pas été employé avec prédilection par Joachim, qui d’autre part avait vanté la pauvreté et le détachement ? Et quoi, mieux que le spiritualisme, justifiait le rôle unique que les écrits pseudo-joachimites du milieu du siècle avaient assigné aux mineurs ! Désormais, dans les écrits qui se réclament de Joachim, la question de la pauvreté est au premier plan. Il nous faut suivre cette transformation nouvelle, en dégageant de l’histoire du spiritualisme ce qui regarde le joachimisme.

1. Pierre Olivi.

Tous les grands spirituels ont été joachimites, à commencer par le languedocien Pierre Olivi, le penseur le plus vigoureux du parti (1248 ou 1249-1298). Cf. sur lui, Ehrle, Pelrus Johannes Olivi…, dans Archiv…, t. iii, p. 409-553. Ses idées à ce sujet se trouvent dans sa Poslilla in Apocalypsim, encore inédite : ms. signalé par Ehrle, loc. « 7., p. 493, à Florence. Bibl. Laurentienne, Convenu soppressi, n. 39 7 ; d’autres mss. signalés par le P. Oliger, Archivum franciscanum, t. xi, p. 313. On peut aussi se les représenter par la consultation que donna à Jean XXII un groupe de théologiens et qu’on trouvera dans Baluze, Miscellanea, édit. de 1761, t. ii, p. 258-270, et aussi par les extraits qu’en recueillit un théologien orthodoxe, et qui ont été publiés par Dœllinger, Beilrage zur Seklengeschichtc des M. A., t. ii, p. 527 sq. Une bonne analyse, que nous suivrons de près, se li : dans Balthasar, loc. cit., p. 146-151.

Comme l’ont dit Ehrle et Balthasar, la Poslilla est une réédition, du point de vue d’un franciscain spirituel, de l’Apocalypse de Joachim ; les changements apportés tendent à appliquer à l’ordre franciscain, ou plutôt aux « pauvres évangéliques », tout ce que disait l’abbé de Flore des destinées de l’Église spirituelle durant le troisième âge du monde. Olivi, en effet, admet pleinement la théorie des trois âges. Il repousse la notion de l’Évangile éternel telle que l’avait comprise Gérard de Borgo San Donnino. Il revient à une conception plus voisine de celle de Joachim : l’Évangile du Christ doit être rajeuni, en ce sens qu’il a été mal pratiqué, parce que mal compris ; le rôle de le prêcher à nouveau revient à saint François, dans lequel, comme Gérard, Olivi voit l’apôtre des derniers temps. Mais tandis que Gérard avait rattaché le franciscanisme à la révélation de Joachim, Olivi absorbe en quelque sorte la seconde dans le premier à force de la subordonner. La sixième époque de l’histoire du monde, qui avec la septième forme le troisième âge, est comme introduite par quatre événements : a) la fondation de l’ordre franciscain ; b) la révélation du troisième âge à l’abbé Joachim (on remarquera la curieuse interversion de dates) ; c) la réprobation de Babylone, c’est-à-dire de l’Église charnelle ; d) le réveil de l’esprit du Christ en saint François.

On pourrait presque dire que durant le troisième âge, le rôle que Joachim assignait à l’Esprit Saint est tenu par saint François, un saint François dont des expressions singulièrement hardies affirment la « conformité » avec le Christ. Celui-ci doit avoir trois avènements : pour la rédemption du monde ; pour le rajeunissement de l’Église ; pour le jugement. François, Christo lotus concrucifixus et configuralus, est comme une réapparition du Christ et son instrument pour la seconde de ces tâches. Lui aussi, et son ordre, seront persécutés par l’Antéchrist, au temps duquel reparaîtra ce Frédéric II si haï des pseudo-joachimites. L’abomination suprême de ces temps d’horreur ce