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1807 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT PARTICULIER L808

du théologien est, chaque fois, de ne pas faire peser sur l’idée les imperfections de l’image, tout en retenant les traits fondamentaux qui en constituent la raison d’être. Cette règle générale est très justement rappelée par les meilleurs auteurs quand ils traitent du jugement particulier.

En effet, il ne ressemble pas à la procédure laborieuse et souvent artificielle des tribunaux humains. Tout se ramène ici à un acte de l’ordre spirituel, tel qu’il peut se passer entre Dieu et l’âme. « Le jugement particulier, écrit le P. Pesch, consiste en ceci que, lorsqu’est fini par la mort le temps du mérite et du démérite, la rétribution éternelle suit aussitôt. Car il ne faut pas concevoir ce jugement d’une manière trop humaine, comme s’il y avait instruction sur une affaire incertaine jusque-là et sentence conforme aux conclusions qui en découlent. Le Christ… a par lui-même une connaissance parfaite de la cause, qui le dispense de toute investigation. » Prælect. dogmat., t. ix, Fribourg-en-Brisgau, 3e édit., 1911, p. 281. Tout le jugement se ramène donc au prononcé de la sentence. Et celle-ci, à son tour, n’a rien d’une décision arbitraire, ni d’une déduction compliquée : c’est l’acte simple et décisif par lequel la valeur morale de notre vie s’inscrit au regard de l’ordre éternel.

Aussi est-ce la conscience humaine, en somme, sous l’action de Dieu qui l’éclairé, qui prononce son propre jugement en prenant d’elle-même la place qui lui revient.

Cette conception qu’on peut dire automatique du jugement se trouve déjà exprimée dans saint Bernard : Ul quorumdam peccata sic et quorumdam sludia bona manifesta sunt præcedentia ad judicium, ul illi quidem non exspectantes sententiam proprio slatim pondère criminum in tartara dejiciantur, isli veroe regione parafas sibi sedes tota libertate spiritus sine alla cunctatione consccndanl. In Psalm. Qui habitat, serm. vin, 12, P. L., t. clxxxiii, col. 216. Elle revient dans saint Thomas : Sicul in corporibus est gravitas vel levi’as, qua feruntur ad suum locum qui est finis motus ipsoram, ila eliam est in animabus meritum vel demeritum, quibus perveniunt animæ ad præmium vel ad pœnam quæ sunt fines actionum ipsarum. Unde sicut corpus per gravitatem vel levitatem slatim fertur in locum suum nisi prohibcutur, ila animæ, solulo vinculo curnis per quod in slatu vise detinebantur, slatim prœmium consequuntur vel pœnam, nisi aliquid impediat. In IV Sent., dist. XLV, q. i, a. 1, sol. 2, p. 358, et Sum. theol., Suppl., q. lxix, a. 2.

Ainsi entendu, le jugement particulier n’est que l’affirmation de cette loi de Providence en vertu de laquelle, après l’épreuve de la vie, le sort éternel de chacun est fixé suivant la position qu’il s’est librement donnée dans l’ordre spirituel.

Circonstances du jugement particulier.

« Sur

le lieu, le temps et le mode de ce jugement il n’existe aucune certitude de foi. » J. Katschthaler, Theol. dogm., t. iv : Eschatologia, Ratisbonne, 1888, p. 17. Tout ce qu’on en peut dire ne relève donc que de conjectures plus ou moins probables, auxquelles se superpose, dans les exposés destinés à l’édification, l’ample vêtement de l’imagination chrétienne.

L Temps. — Cette question tenait une certaine place chez les anciens théologiens. La raison en est qu’ils se trouvaient en présence de témoignages traditionnels mais divergents, entre lesquels ils se croyaient obligés de prendre parti. Voir Suarez, loc. cit., n. 10-11, p. 1006-1007.

Dans les anecdotes que rapporte saint Grégoire, Dial., iY. 38, de même chez Bède et Jean Climaque, il rsi question de moribonds qui se voient traduits devanf le tribunal divin et reçoivent, dès avant leur mort, communication de leur sentence. Au contraire,

d’autres fois, cette sentence se fait attendre et, pendant un intervalle de temps qui peut durer plusieurs jours, l’âme est encore incertaine de son sort. Contre quoi Suarez fait observer avec raison que le temps de l’épreuve dure normalement autant que la vie, mais ne se prolonge pas davantage. Les premiers faits ne peuvent donc signifier qu’une suggestion du démon, permise dans certains cas par Dieu, en vue d’efl rayer le pécheur par la perspective d’une sentence qui n’est pourtant pas encore portée. Quant à la seconde catégorie de visions, il faut entendre qu’elles expriment le jugement d’une manière accommodée à notre imagination, mais non tel qu’il se passe en réalité.

Il reste donc que le seul moment plausible pour le jugement soit l’instant même de la mort, qui met l’âme en présence de Dieu. Comme celui-ci est un juge qui procède sans recherches ni témoins, rien ne s’oppose à ce que le verdict soit instantané. Désireuse pourtant de ne point trancher cette question, l’Église s’est contentée de définir que les sanctions commencent mox post mortem.

2. Lieu.

On a parfois supposé que les âmes sont transportées au ciel pour y subir leur jugement. Hypothèse inadmissible, estime avec raison le P. Pesch. loc. cit. t Car très certainement les âmes des damnés ne peuvent pas entrer dans le ciel et il n’y a aucune raison d’admettre qu’elles y sont, introduites pour en être expulsées aussitôt. »

Saint Bonaventure semble enseigner que le jugement se produit dans le lieu même comme dans l’instant de la mort. In IV Sent., dist. XX, part.). q. 5, édition de Quaræchi, t. iv, p. 525. Dès lors que le jugement est un acte purement spirituel dénué de tout appareil judiciaire, c’est la seule conception qui paraisse défendable. Aussi cette doctrine est-elle généralement celle des théologiens modernes. Voir Katschthaler, op. eu., p. 48. Bellarmin nous avertit cependant qu’il n’y a pas de certitude en cette matière : Est etiam observandum non posse certo defïniri an animæ deferantur ad judicem. an ibi judicentur ubi corpus rclinquunt. Loc. cit.. p. 107.

3. Modalités.

Il n’y pas lieu de s’arrêter à ces descriptions plus ou moins pathétiques de la scène du jugement, où l’on voit le juge sur son trône, où l’on entend ses questions pressantes et les réponses embarrassées de l’âme coupable, où la Vierge, les bons anges et les saints remplissent le rôle de défenseurs, cependant que le démon implacable occupe le siège du ministère public. Nos prédicateurs affectionnent ce genre de tableaux et l’on a pu voir çà et là que plusieurs Pères les avaient déjà précédés dans cette voie. Ce procédé n’a rien que de normal, à condition de rester-dans les limites voulues du bon goût, pour rendre sensible à des auditoires populaires la vérité abstraite du jugement. Mais ces sortes de développements ne peuvent et ne veulent avoir qu’une valeur de symbole.

En réalité, les âmes comparaîtront devant le divin juge non localiter sed intelleclualiier, et cela non pour y être l’objet de débats contradictoires mais pour y recevoir leur sanction : neqnc fit judicium discussionis sed retributionis Uintuni. Chr. Pesch., op. cit., p. 281. Aucun besoin d’enquête, puisque le juge est parfaitement éclairé : ni de plaidoyer, puisqu’il est souverainement juste. Lui-même donne à l’âme la conscience nette de ses mérites ou de ses démérites. Ce qui peut se faire, soit par la communication d’une lumière divine spéciale, à l’instar de ce qui est admis depuis Origène pour le jugement dernier, soit par une sorte de clairvoyance native qui donnerait à l’âme, aussitôt qu’elle est débi rrasséc du corps, la connaissance exacte de son état Katschthaler, op. cit., p. m. on a vii, col. 1807, Thomas semble plutôt