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1805 JUGEMENT, SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE : JUGEMENT PARTICULIER 1806

giques jusqu’alors reçues. Voir Hugues de Saint-Victor, t. vii, col. 283.

Ce progrès n’est d’ailleurs pas conservé par Pierre Lombard, qui, conformément à la pensée des Pères dont il recueille les « sentences », rend au jugement général la première place, Sent., IV, dist. XLIII : De resurrectionis et judicii conditione et ne traite qu’en passant de diversis animarum rcceptaculis post mortem. Dist. XLV, c. i. Disposition archaïque que les divers commentateurs du Livre des Sentences se sont vainement efforcés de rendre rationnelle. Souvent elle pèse encore un peu sur le plan des Sommes ; mais la logique y reprend davantage ses droits. Richard de SaintVictor a même écrit un petit traité De /udiciaria potestate, P. L., t. exevi, col. 1177-1186, où s’affirme la préoccupation très nette de faire la synthèse entre l’eschatologie collective et l’eschatologie individuelle. De telle sorte que, à l’ordre près, la doctrine du jugement particulier a reçu des maîtres la physionomie qu’elle devait garder jusqu’à nos jours.

Existence du jugement particulier.

 Il y a lieu

de distinguer ici, avec saint Thomas, la question de fond et la question de nomenclature.

i. Principe dogmatique : La rétribution immédiate des âmes. — Elle ressort du rapprochement de deux vérités également fondamentales dans l’ordre chrétien. C’est, d’une pari, que la possession de Dieu est la fin de l’être spirituel et, de l’autre, que la vie présente seule constitue le temps d’épreuve qui nous permet de la mériter. D’où il suit qu’avec la mort sonne l’heure de la récompense ou du châtiment, selon que l’âme va à Dieu ou est écartée da lui par l’obstacle du péché. Telle est la logique inéluctable du christianisme, aussitôt que ne s’y mêlent pas des éléments adventices. Le poids lourd des catégories judaïques avait seul pu empêcher de la percevoir avec la netteté voulue. Même les Pères qui l’avaient le plus clairement sentie ne lui avaient pas toujours donné toute sa force. Depuis la scolastique, elle est devenue comme un axiome, à c^’point qu’il nous est difficile de comprendre la conception contraire. On ne voit pas, en elïel, pourquoi les aines, parvenues au terme de l’épreuve terrestre, devraient encore en attendre la sanction et ce qu’elles pourraient bien faire en l’attendant.

ht huic verilati, continue le docteur angélique, auôtorilates Scripturæ canonicx manifeste alleslantur et documenta sanctorum Palrum. Il n éprouve d ailleurs pas le besoin de rapporter ces « autorités » scripturaires et. pour les témoignages patrisliqui-s.il se contente de renvoyer aux Dialogues de saint Grégoire et au texte de Gennade cités plus haut, col. 1802. Le Moyen Age était facilement satisfait en matière de documentation. Si la curiosité historique est aujourd’hui plus exigeante, on ne peut s’empêcher de reconnaître que saint Thomas a très exactement dégagé, en ces traits succincts, le sens de la tradition catholique.

Aussi tous les théologiens doivent-ils s’associer à sa conclusion : Unde conlrarium pro luvresi est hubendum. In IV Sent., dist. XLV, q. i. a. 1, sol. 2. Opéra. édition Vives, Paris, 1874, t. xi, p. 358, et Sum. the<d.. Supplem., q. lxix, a. 2.

2. Conclusion théologique.

A ce discernement « les âmes faut-il sous-entendre un acte divin qui mérite le nom de jugement’? La logique imposait évidemment cette induction.

a) Preuve rationnelle. — Saint Thomas distingue une double raison du jugement particulier : l’une d’ordre théologique, l’autre d’ordre plutôt anthropologique. D’une part, le jugement particulier répond au dogme de la Providence, en réalisant à l’égard de chacun cette loi de justice qui doit présider au gouvernement divin. ïtespondet operi gubemationis, quæ sine judicio esse non potest : per quod quidem judicium unusquisque nngti lariler pro suis operibus judicatur, non solum secundum quod ci competit, sed etiani secundum quod competil gubernationi universi. In IV Sent., dist. XLVII, q. i, a. 1, sol. 2, p. 415, et Sum. theol., Suppl. q. Lxxxviii, a. 1. Il est aussi exigé par la nature de l’homme, qui est un être individuel avant d’être un être social. Quilibet homo et est singularis quiedam persona et est pars tolius humani generis. Unde et duplex ci judicium debetur : unum singulare, quod de eo fiet post mortem, quando recipiel juxta ea quæ in corpore gessit, quamvis non totaliter quia non quoad corpus sed quo td animam lantum. Aliud judicium débet esse de eo secundum quod est pars tolius generis humani. Ibid., ad lum.

Ces raisons ont paru décisives et encore aujourd’hui la théologie catholique n’en donne pas d’autres pour établir la philosophie rationnelle du jugement particulier. Elles suffisent à montrer comment ce premier acte divin, parce que tout individuel et privé, ne fait pas double emploi avec le jugement général.

b) Preuves positives. — C’est plus tard seulement que la Renaissance et la Réforme commencèrent à faire sentir les difficultés de la preuve positive. Rellarmin dut convenir qu’il est difficile de fonder sur l’Écriture l’existence du jugement particulier et que. parmi les textes invoqués à cette fin, plusieurs, tel. que Joa., v, 22 et Hebr., ix, 27, s’entendent aussi bien du jugement général. Cependant il retient comme s preuve efficace » Eccli., xi, 28-29, que l’exégèse moderne a dû abandonner.

Plus sûrs sont les passages où s’affirme l’application immédiate des sanctions ; car, raisonne très justement l’auteur, « il n’est pas croyable que peine ou récompense soient infligées sans qu’il y ait eu jugement ». Controv. de Eccl. patienti, ii, 4, Opéra, édit. Vives, Paris, 1871, t. iii, p. 106. Cf. J. de la Servière, La théologie de Bcllarmin, Paris, 1908, p. 288-289. Sur la même base Suarez est encore plus affirmatif : Pnemium enim et peena non dantur sine justa ac juridica retribulione. De mt/st. vitse Christi, disp. LU, sect. ii, n. 6, Opéra, édit. Vives, Paris, 1860, t. xix, p. 1004-1005 Voir de même L. Billot, Quæsliones de novissimis, 5e édition, Rome, 1921, p. 44-45.

Bellarmin a également entrepris d’établir la preuve patristique. Elle se ramène, chez lui, aux textes suivants : saint Cyprien, De mortalitatc, 14 ; saint Jean Chrysostome, In Malth., hom. xxxvi, 3 ; saint Augusin, De anima, ii, 4. Ces mêmes textes reviennent dans Suarez, loc. cit., qui ajoute Jean Damascène, De his qui in fuie dormierunt, 25 ; Tertullien, De anima, 58. et saint Augustin. De civit. Dei, XX, i. Ces deux théologiens insistent sur les exemples de visions ou d’apparitions rapportés par les auteurs anciens. Suarez en appelle très justement à la distinction toujours admise, même dans l’Ancien Testament, des âmes des défunts suivant leurs mérites et il conclut : Et ita in sanctis Palribus nulla est in hoc diversitas, etiamsi olim circa bealiludinein essentialem nonnulla fuisse videutur.

Si l’histoire moderne des dogmes fait apparaître dans la tradition patristique un peu plus de « diversité », elle en révèle aussi la continuité fondamentale, qui permet toujours de regarder l’existence du jugement particulier, ainsi que le firent les grands théologiens du xvi c siècle, comme une ueritas catholica. Le fait qu’il n’est pas explicitement mentionné par l’Écriture rentre dans la loi bien connue du développement dogmatique et ne saurait faire difficulté que pour les protestants.

Nature du jugement particulier.

 Il nous est

impossible d’exprimer les réalités de l’ordre spirituel autrement qu’en images prises dans l’ordre de notre expérience. C’est dire que nos formules las plus autorisées gardent toujours quelque chose d’inadéquat. Le problème d’interprétation offert à la sagacité