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JUGEMENT, PÈRES LATINS : IVe -VIIIe SIÈCLES


péchés et lui applique la parole liturgique : JVe intres cum ea in judicium. Pour elle aussi il ne peut s’empêcher de solliciter la miséricorde divine, encore qu’il se plaise à espérer qu’elle s’est déjà exercée à son endroit. Et credo jam jeceris quod le rogo ; sed volunlaria oris mei approba, Domine. Au cas cependant où il y aurait encore des comptes à rendre, elle pourra faire valoir moins son innocence que les mérites du Rédempteur : Neque respondebil illa nihil se debere…, sed respondebil dimissa débita sua ab eo cui nemo reddet quod pro nobis non debens reddidit. Ainsi le jugement de Monique oscille du futur au passé et du passé au futur. Confess., IX, xiii, 34-36, t. xxxii, col. 778-779.

Il faut ajouter que, dans le même passage, Augustin fait intervenir d’une façon assez curieuse le démon, Jiostis computans delicta nostra et quærens quid objiciat. C’est lui que l’évêque d’Hippone a souci d’écarter de la chère défunte : Non se interponat nec vi nec insidiis leo et draco. Ni cette survivance d’imagerie populaire, ni ce léger flottement des perspectives eschatologiques, tous faits qu’il serait facile de retrouvera des époques plus récentes, ne peuvent nous empêcher de reconnaître que l’explicitation du jugement particulier, déjà préparée par la tradition antérieure, a fait avec saint Augustin un sérieux pas en avant et qui allait être décisif.

3. Après saint Augustin.

En matière d’eschatologie comme ailleurs, l’autorité de saint Augustin a été prépondérante sur toute la pensée occidentale, qui a vécu sur son héritage sans l’accroître notablement ni trop le diminuer.

a) Jugement général. — Il n’y a plus d’intérêt à relever les témoignages patristiques sur le jugement dernier, qui sont aussi abondants que monotones. Comme on peut s’y attendre en des écrits le plus souvent homilétiques et toujours destinés à des auditoires populaires, la tendance commune est de reproduire, plus ou moins accentuée, la lettre de l’enseignement biblique, en insistant moins sur la théorie du jugement que sur ses conséquences dans l’ordre moral. Voir, par exemple, saint Césaire d’Arles, Serm., ccli, inter operaS.Augusl., P.L., t. xxxix, col. 2210 et inter opéra S. Ambr., Serm., xxiv, 1, P.L., t. xvii, col. 673 ; saint Léon, Serm., ix, 2, P. L., t. liv, col. 161-162 ; saint Grégoire le Grand, Moral., XVII, xxxiii, 54, P. L., t. lxxvi, col. 37-38 et XXXIII, xx, 37, col. 697-698 ; In Evang., t. I, hom. i, ibid., col. 1077-1081.

Le même Père, revenant en arrière sur un point que saint Augustin semblait avoir réglé, distingue les hommes en quatre catégories par rapport au jugement. Alii namque judicantur et pereunl, alii non judicantur et pereunl. Alii judicantur et régnant, alii non judicantur et régnant. Ce qu’il explique en disant : Resurgunt ergo etiam omnes infidèles, sed ad tormentum, non ad judicium. Nunc enim eorum causa tune discutitur… Ex electorum vero parle, … alii non judicantur et régnant qui etiam præcepta legis perjeelione virtutum transcendant. D’où il suit que les grands pécheurs et les saints sont soustraits au jugement proprement dit. Moral., XXVI, xxvii, 49-51, ibid., col. 378-380. Cf. XXVI, ni, 3, ibid., col. 350. « On reconnaît là du moins en partie un vieux thème déjà développé au iv c siècle, » Fixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 433, et qui de là est passé dans Isidore de Séville, Sent., I, xxvii, 10-11, P. L., t. lxxxiii, col. 596-597 ; Julien de Tolède, Prognosticon, ni, 33, P. L., t. xevi, col. 513-514 et Bède, Hom., ii, 17, P. L., t. xciv, col. 224-226.

b) Jugement particulier : Attestations indirectes. — En attendant le jugement général, il n’est pas douteux que les âmes reçoivent dès la mort la rétribution de leur conduite. Il est curieux cependant de constater en Occident quelques échos des hésitations grecques, qui n’y rencontrent d’ailleurs que réprobation.

C’est ainsi que Cassien consacre une de ses célèbres

conférences à réfuter la théorie du sommeil des âmes, Coll., i, 14, P. L., t. xlix, col. 500-504, principalement d’après la parabole du mauvais riche : Nam quia nec otiosee sint post separationem hujus corporis animée neque nihil sentiant, etiam Evangelii parabola… ostendit. Les origines orientales de l’auteur expliquent sans doute cette réminiscence, plutôt que les besoins réels de ses auditeurs. En tout cas, ce texte ne fut pas perdu de vue au Moyen Age. Voir Julien de Tolède, Prognosticon, n, 33, P. L., t. xevi, col. 493-495. Cassiodore se pose la question de savoir ce que font nos âmes après cette vie, De anima, 12, P. L., t. lxx, col. 1301. Sa réponse n’est d’ailleurs pas exempte d’un certain archaïsme : Usque ad iempus judicii aut de pnvterilorum actuum gravitate mœremus aut de operis nostri probitate lœlamur. Tune autem recipiemus plenissimum fructum quando voce Domini aut repudiati fuerimus aut ad regnum perennitatis admissi. Voir également S. Césaire d’Arles, Serm., ceci, 5, P. L., t. xxxjx, col. 2323 ; S. Maxime de Turin, Tract. IV cont. pagan., P. L., t. lvii, col. 792 et S. Pierre Chrysologue, Serm., lxvi, P. L., t. lii, col. 389.

Plus nettement, Gennade attribue aux défunts la béatitude du ciel ou les souffrances de l’enfer, en attendant la résurrection. Il distingue à cet égard la situation des justes sous l’ancienne Loi, tous astreints au séjour commun de l’enfer, et sous la Loi nouvelle où les mérites du Rédempteur leur ouvrent les cieux. De eccl. dogm., 78-79, P. L., t. lvui, col. 998. Cette distinction de ce qu’on pourrait appeler les deux régimes eschatologiques revient souvent chez saint Grégoire le Grand. Voir Moral., IV, xxix, 56, P. L., t. lxxv, col. 666, et XIII, xliii-xliv, 48-49, ibid., col. 1038.

Sur ce chemin, il arrive plus d’une fois à notre docteur de rencontrer la formule même des futures définitions ecclésiastiques. Hoc jam cœlestis muneris habemus ut, cum a carnis noslræ inhabitatione subtrahimur, mox ad cœlestia prsemia deducamur. Ibid., 48, col. 1038. Voir également In Evang., t. I, hoin., xix, 4, t. lxxvi, col. 1156. Toute cette doctrine est clairement reprise et résumée dans les Dialogues : Per/ectorum justorum animée, mox ut hujus carnis claustra exeunl, in cœleslibus sedibus recipiuntur. La résurrection leur apportera seulement un accroissement de béatitude en leur rendant leurs corps. De même les pécheurs sont dès maintenant en enfer : Si esse sanctorum animas in cœlo credidisli, oporlet ut per omnia esse credas et iniquorum animas in inferno. Dial., iv, 25 et 27-28, P. L., t. Lxxvii, col. 357 et 365. Comme pour animer ce thème abstrait, l’auteur reprend un peu plus loin la vieille image du pont des âmes. Ibid., 36, col. 384-385. Il est d’ailleurs à noter que cette double précision se pré sente chaque fois comme réponse à une question dubi tative de son interlocuteur Pierre. Est-ce une fiction littéraire imputable au genre du dialogue ou s’agissait-il de réelles incertitudes en certains milieux ? Toujours est-il que la solution de saint Grégoire ne laisse rien à reprendre au point de vue tant de la clarté que de la fermeté.

Or saint Grégoire a fait loi pour les compilateurs du haut Moyen Age. C’est de lui que s’inspire saint Isidore de Séville pour le sort des élus, Sent., I, xiv, 16, P. L., t. lxxxui, col. 568. Saint Julien de Tolède cite ses propres paroles sur la béatitude des sainte et le châtiment des pécheurs, Prognosticon, ii, 8 et 13, P. L., t. xevi, col. 478-480. Aussi lorsque, vers la fn du viiie siècle, un certain Arséniote, personnage du reste parfaitement inconnu, se mit a contester la rétribution des âmes ante novissimum examinis diem, l’anonyme à qui nous devons la connaissance île cette controverse put-il avec raison lui opposer l’autorité des Pères, parmi lesquels il se contente de citer Gennade et saint Grégoire le Grand. Ce petit traité est