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JUGEMENT. PÈRES LATINS : I"eVIIIe SIÈCLES


strate, t.’v, col. 1576-1577, connaît des savants assez nombreux, nonnulli ex iis qui circa sermones tempus insumunt et de humants animis pro philosophorum more disputant, qui attribuent aux âmes après la mort une complète inertie. Refutatio, 2, dans Bibl. maxima vet. Patrum, t. xxvii, p. 365. Cꝟ. 7, p. 366 : dogma eorum qui tradunt animas ad interitum venire. Traduction de Léon Allatius, reproduite également dans Migne, Theologiæ cursus, t. xvii, col. 466 et 470.

Au cours de sa réfutation, l’auteur déclare expressément, d’après l’histoire du mauvais riche, que les défunts sont déjà soumis aux sanctions qu’ils ont méritées, ibid., 25-27, Bibl. max., p. 379-381 et Migne. col. 504-508. Mais il n’admet pas pour autant qu’un jugement ait eu lieu pour elles : Non absone ergo quidam dixerint : An igitur ante universalem resurreclionem judicium actum est ? Non id dicimus. Sed quodmodis omnibus fulurum erat Evangelium preedixit. Ibid., 25, p. 379 et col. 504. Où l’on voit que la parabole évangélique suggérait spontanément l’idée du jugement particulier, mais aussi que certains spéculatifs croyaient devoir réagir contre cette induction au nom du jugement général, tout en admettant d’ailleurs l’application immédiate des sanctions. Plus tard, Philippe le Solitaire (fin du xie siècle) parle nettement de jugement après la mort, mais il le conçoit encore sous la forme d’un débat entre les bons et les mauvais anges. Dioptra, iv, 20, P. G., t. cxxvii, col. 871-874.

Incapables de s’orienter au milieu de ces opinions divergentes, d’aucuns ne trouvaient d’autre ressource que l’agnosticisme. Témoin saint André de Crète († 720), qui, tout en plaçant les pécheurs dans l’enfer

— où d’ailleurs les suffrages des vivants peuvent les soulager — continue en ces termes : « Apprends maintenant, ô homme, la dissolution du* corps humain. Ne scrute pas l’état de l’âme après son exode corporel. Car ce n’est pas à moi ni à toi qu’il appartient de s’informer là-dessus : c’est un autre qui le sait. Si nous ne parvenons pas à connaître l’essence de l’âme, comment pourrions-nous connaître le repos de celle dont nous ignorons la forme, la figure et la grandeur ? » De humana vila et de dejunctis, P. G., t. xcvii, col. 1289.

En plein xiie siècle, Théophane Kérameus semble encore présenter les justes comme incertains du sort qui les attend au jugement général. Hom., xviii, P. G., t. cxxxii, col. 397-400. Voir ibid. la note apologétique du jésuite Fr. Scorsi, qui essaie d’adoucir ce texte au sens de notre prose liturgique : Cum vix justus sit securus.

Cette confusion persistante, qui brouillait en Orient les perspectives eschatologiques, permet de comprendre pourquoi l’Église a éprouvé le besoin d’obtenir des précisions sur le sort immédiat des âmes après la mort et sur le jugement particulier qui en est le principe, chaque fois qu’à partir du Moyen Age s’est posée la question de la réunion des Grecs.

Église latine.

Bien que l’influence de l’origé-’nisme ait fini par atteindre l’Occident, ce fut d’une

manière moins directe, moins rapide et moins complète. Aussi l’eschatologie latine est-elle marquée, dans l’ensemble, par un caractère plus positif et plus conservateur. Ce qui lui valut de garder longtemps encore une physionomie archaïque, mais rendit plus ferme et plus sûre la ligne de son développement. Ici non moins qu’ailleurs, la pensée de saint Augustin est comme le sommet vers lequel convergent les efforts obscurs de tout le ive siècle, et qui exerce sur la théologie postérieure un rayonnement définitif.

1. Avant saint Augustin. — Tout le monde reconnaît qu’une certaine obscurité plane sur l’eschatologie des Pères latins du ive siècle. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 333-350. Cette obscurité est due pour une large part à l’emprise, longtemps incontestée et

toujours considérable, du vieux cadre que Tertullien avait importé du judaïsme et qui, dès lors, se présentait avec le prestige tout-puissant de la tradition. Il faut ajouter aussi que nulle doctrine n’est moins systématisée : ce qui rend difficile la tâche d’en classer les éléments. Cette synthèse a été faite, pour saint Ambroise, par J. Niederhuber, Die Eschatologie des heiligen Ambrosius, Paderborn, 1907, et la question du jugement tient une place importante dans cette monographie. Les autres Pères du ive siècle n’offriraient pas moins de matériaux à l’ouvrier diligent qui se donnerait la peine de les ramasser. En attendant, on peut trouver, aux articles respectifs de ce dictionnaire, les principales indications. Il nous suffira de relever ici les traits généraux qui distinguent leur théologie du jugement.

a) Principe du jugement. — N’étant pas contesté, le principe de la justice divine ne semble pas non plus avoir beaucoup retenu l’attention.

Cependant la thèse classique des sanctions est affirmée par VAmbrosiaster en quelques formules pleines et vigoureuses : Si judicium Dei in hoc mundo evasisti…, in futurum non évades… Aul certe si justum alicui videtur ut hujusmodi immunis a pœna sit, dicat. Quod si justum est ut non évadât, credal Deum judicalurum… et Deum conditorem mundi providenler et curiose operis sui mérita requirere faleatur. Or, comme cette rétribution ne se réalise pas dans la vie présente, elle est reportée à la vie future et il importe, en attendant, de ne pas se méprendre sur la longanimité de Dieu : Intelligat ideo a se dissimulari quia non in hac vila judicium Dei promissum est futurum, ut in venlura vila pœniteaï illum judicem Deum non credidisse… Revelabitur enim, id est agnoscetur quod modo futurum negatur. In Rom., ii, 3-6, P. L., t. xvii, col. 67-68. Cf. Col., iii, 6, col. 459. (Saint Ambroise et Y Ambrosialer seront toujours cités d’après Migne, édition de 1866).

b) Jugement général. — Écriture et tradition s’accordaient à faire de ce jugement un acte unique et solennel. Non que la justice divine ne s’exerce plus d’une fois sur la terre, mais elle a son jour à la fin des temps. S. Ambroise, In Ps. CXYiu, serai, vii, 15-17, P. L., t. xv, col. 1353-1354.

De ce chef, tous nos auteurs identifient régulièrement ce jugement avec la parousie du Seigneur, que l’exégèse et la pastorale mettaient à tout instant sur leur chemin. Voir S. Hilaire, In Matth., xxv-xxviii, P. L., t. ix, col. 1052-1064 ; De Trinit., iii, 16, t. x, col. 85 ; S. Ambroise, De fide, t. II, c. xii, n. 100-106, c. v, n. 67 et vi, n. 68-69, t. xvi, col. 605-606, et 690 ; Ambrosiaster, In II Cor., v, 10, P. L., t. xvii, col. 311. Cf. In I Thess., iv, 14-17 et v, 1-3, col. 475-476. C’est alors que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres, In II Thess., i, 6-9, col. 480, en tenant compte des plus cachées, In I Cor., iv, 5, col. 214 et In I Tim., v< 25, col. 507. Mais ce jugement est confié au Fils, dont la volonté se confond avec celle du Père. S. Ambroise, Epist., Lxxvii, 10-14, P. L., t. xvi, col. 1321-1322.

Une tradition unanimement accréditée distingue, à cet égard, les hommes en trois catégories : les justes qui n’ont pas à être jugés, les impies qui le sont déjà, les chrétiens pécheurs dont la vie fut faite de bien et de mal et qui, de ce chef, sont seuls soumis au jugement. Voir S. Hilaire, In Ps. /, 15-18, P. L., t. ix, col 258260, suivi par Zenon de Vérone, Tract., ii, 21, P. L., t. xi, col. 458-462 ; S. Ambroise, In Ps. i, 51 et 56, P. L., t. xiv, col. 993-996 ; Ambrosiaster, In I G’or., xv, 51-53, P. L., t. xvii, col. 286. Cette particularité a depuis longtemps retenu l’attention des historiens. Voir D. Coustant, préface aux œuvres de saint Hilaire, vii, 220-229, P.L., t. ix, col. 106-110, et ici même l’art. Hilmre, t. vi, col. 2457-2458.

Évidemment le jugement est pris là au sens johan-