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JUGEMENT, PÈRES GRECS : IV’-VIIie SIÈCLES


C’est ce que saint Jean Chrysostome dit ailleurs formellement à propos de la même parabole. Il montre Lazare escorté par les anges et le riche emporté par les démons dans l’éternité. Moment d’angoisse devant lequel l’homme tremble d’horreur. < Si, en effet, la conscience de nos péchés nous aiguillonne toujours, c’est surtout à l’heure où nous devons partir d’ici pour être conduits devant les tribunaux de là-bas et (y subir) un redoutable jugement… Si donc tu as calomnié quelqu’un, si tu as un ennemi, va te réconcilier avec lui avant le jugement. Débarrasse-toi ici-bas de tes péchés afin de voir sans effroi ce tribunal. » La vie présente est une scène où les rôles ne sont pas toujours en rapport avec la situation réelle de chacun. s Mais à la fin de la pièce, quand arrive la mort, tous déposent le masque de la richesse ou de la pauvreté pour se rendre là-bas. Chacun y est jugé selon ses œuvres seulement et l’on voit alors où sont les vrais riches et les pauvres. » De Laz., hom. ii, 2-3, P. G., t. xlvhi, col. 981-986.

En un mot, et sans images, il y a deux moments de la rétribution divine : celui qui suit la mort et celui de la résurrection, (xerà Gâvarov àroSîScooi y.txi èv Tf) àvaoTaoei. In II Tim., hom. iii, 3.P.G., t. lxiii.coI. 616617. A la lumière de cet enseignement précis on peut sans doute voir le jugement particulier dans certains textes un peu vagues, tels que In Matlh., hom. xxxvi, 3 : [istol TeXeimjv xpîai ; xai xôXaatç. P. G., t. Lvn, col. 416.

Cette idée a survécu dans la théologie postérieure. Témoin ce passage d’une homélie, ou, plus exactement, d’un traité sur les fidèles défunts, assez probablement regardé comme l’œuvre de saint Jean Damascène, Diekamp, Rûmische Quartalschri/l, 1903, p. 371-382, mais dont l’attribution reste pourtant douteuse, voir Jean Damascène, col. 706. « Les hommes éclairés par Dieu, dit ce texte, déclarent qu’au dernier soupir les actions des hommes sont pesées comme dans une balance. » De his qui in fide dormierunl, 25, P. G., t. xcv, col. 272. Toute cette dissertation a pris place dans l’office grec de la commémoraison des défunts. Échos d’Orient, t. xvii, 1914, p. 8. Il faut d’ailleurs que le fléau penche très fort à gauche pour qu’il y ait sentence de damnation : dans tous les autres cas, la miséricorde de Dieu trouve à s’exercer.

Saint Maxime semble de son côté envisager également le moment de la mort, bien qu’il ne soit pas formel sur ce point, quand il parle des âmes saintes qui s’envolent au ciel sur les ailes de la charité sans passer par le jugement, tandis que les âmes dont la vie fut mélangée de bien et de mal viennent au tribunal du jugement, o’jtoi èv tco Sixaarrçpîco ttjç yptæwç ëp/ov--rai, où leurs mérites divers sont sévèrement examinés. Queestiones et dubia, 10, P. G., t. xc, col. 792-793. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 270.

Un morceau de basse époque raconte une vision qu’aurait eue saint Macaire d’Alexandrie. Il expose comment les âmes, au moment de la mort, sont saisies par des anges implacables : celles qui ont vécu dans le péché se désolent à la pensée de quitter leur corps ; les autres, au contraire, sont consolées par le souvenir de leurs bonnes actions. « Car, même avant la sentence du juge, l’âme subit sans relâche le jugement de sa propre conscience." Suit une très curieuse odyssée à travers l’au-delà, d’où il appert que les anus des défunts restent encore sur la terre pendant trois jours. Le troisième jour seulement, elles sont conduites au ciel pour y adorer Dieu ; puis elles visitent pendant six jours le séjour des bienheureux, après quoi elles son ! ramenées devant Dieu pour un nouvel acte d’adoration ; enfin elles vont parcourir l’enfer et cette visite ne prend pas inoins de trente jours. C’est au tenue de ce voyage, pendant lequel l’âme restait encore dans l’angoisse de son sort, que le divin juge lui fixe le lieu de son séjour

éternel. Ainsi en est-il pour les chrétiens ; car les infidèles ne voient le ciel que de loin et sont aussitôt jetés en enfer. Texte dans P. G., t. xxxiv, col. 385-392. Ontrouve un résumé du même voyage dans l’autre monde au canon 162 de la compilation publiée en 1561 par le grec Manuel Malaxas. Échos d’Orient, t. xvii, 191 1, p. 22. Sous le vêtement populaire de ces rêveries eschatologiques s’affirme l’idée des sanctions qui suivent 1* mort et du jugement divin qui les détermine sans retard.

d) Recul de la théologie byzantine. — Il s’en faut pourtant que cette idée fût partout également reçue. Les écrivains de l’époque byzantine trahissent à cet égard bien des hésitations et parfois de réelles erreurs.

Au rapport d’un anonyme tardif, qui s’est égaré sous le nom de saint Athanase, l’état des âmes jusqu’à la résurrection fait partie de ces questions où règne la controverse et l’incertitude : 7toXXt) yàp wç àXirçGôç… Û7ràpXei ÇrjTYjotç ts xal àji.qucoXîa. Ps. Athan., Qusest. ad. Antioch., 16, P. G., t. xxviii, col. 605-608. Quant à lui, il place les pécheurs dans l’Hadès et les justes dans le paradis, état provisoire où le bonheur de ces derniers n’est que partiel, y.eç>wr àTrôXauaiç, tout comme le châtiment des premiers, |j.epiX7) xôXaaiç, en attendant le jugement. Ibid., 19-20, col. 609. Grâce au nom desaint Athanase, ce traité devait avoir un grand crédit dans la théologie byzantine. Voir Échos d’Orient, 1914, p. 220-221.

Un semblable archaïsme se manifeste chez un autre anonyme du ve siècle, souvent imprimé parmi les œuvres de saint Justin, Quæst. et respons. ad orlhodoxos75, P. G., t. vi, col. 1316-1317, cꝟ. 85, col. 1328, où les premières sanctions sont très clairement présentées tout à la fois comme immédiates et provisoires. Même position quant au sort des justes dans un commentaire de l’Apocalypse dû à saint André, évêque de Césarée en Cappadoce vers 520. D’après ce lointain successeur de saint Basile, « beaucoup de saints ont dit que ceux qui ont pratiqué la vertu sont reçus dans des lieux appropriés, où ils peuvent se faire une idée de la gloire qui les attend ». Com. in Apoc, xvii, 6, 11, P. G., t. evi, col. 272. Le passage est reproduit par un de ses disciples et successeurs du ixe siècle, Aréthas. Com. in Apoc, xvii, 6, 9-11, ibid., col. 596. Insuffisamment informés de l’ancienne tradition patristique, les premiers polémistes latins ont voulu faire d’André le père de « cette hérésie ». Voir le traité publié en 1252 par les dominicains de Constantinople, Contra errores Griecorum, P. G., t. cxl, col. 511. En fonction de la même eschatologie rétrograde, Photius enseigne également le délai des sanctions jusqu’au jugement général. Ad’Amphil., xv, 2, P. G., t. ci, col. 136 ; cf. vi, 2, 4, ibid., col. 106-110. Son autorité n’a pas peu contribué à implanter cette conception chez les théologiens orientaux, par exemple Théophy iacte, Enarr., in Ev. Luc, xxiii, 39-43, P. G., t. cxxiii, col. 1104-1105 ; Expos, in Episl. ad Hebr., xi, 40, t. cxxv, col. 365 ; Euthyme Zigabène, Com. in Luc, xxiii, 43, P. G., t. cxxix, col. 1092. Voir Hergenrœther, Photius, Ratisbonne, 1869, t. iii, p. 634-643, et M. Jugie, dans Échos d’Orient, t. xvii, 1914, p. 214-228.

On devine même çà et là la persistance de conceptions plus inadéquates encore. Le pseudo-Athanase tient que les âmes séparées du corps ne sont plus susceptibles d’activité personnelle et ne peuvent faire ni bien ni mal. Qusest. 33, P. G., t. xxviii, col. 617. Ce qui doit s’entendre d’activité par rapport à nous, puisque précédemment il les avait montrées soumises à des sanctions provisoires. Énée de Gaza (vi° siècle) admet qu’elles ne peuvent rien souffrir sans le corps qu’elles reprendront au jour du jugement. Theophrastus, P. G., t. i xxxv. col. 976. Le moine Eustrate, qui écrivait à Constantinople sur la fin du même siècle, voir Eu-