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    1. JUGEMENT##


JUGEMENT, PÈRES GRECS : IVe-VIII* SIÈCLES

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contre les ennemis invisibles, parvenus au terme de la vie, sont examinés par le prince du siècle, èpeovûvTat. ûtt6 tou àpxovToç toO alwvoç. S’ils se trouvent avoir quelques blessures à la suite de leurs combats, quelques taches ou restes de péché, ils sont retenus. Mais, s’ils sont reconnus saints et purs, c’est qu’ils furent invincibles : ils sont donc libres et vont se reposer avec le Christ. » In Ps. VU, 2, P. G., t. xxix, col. 232.

Saint Cyrille d’Alexandrie évoque, lui aussi, ces puissances célestes, ces princes des ténèbres, ces douaniers, ces inspecteurs, ces vérificateurs de nos actes qui siègent dans les airs, et, en particulier, le diable leur chef, « qui détient la puissance et pour ainsi dire le jugement de la mort, qui arrête l’âme pour lui opposer et reprocher toutes ses fautes et défaillances, en actes et en paroles, conscientes ou inconscientes, qui scrute toute notre conduite depuis la jeunesse jusqu’au jour de notre fin. » L’âme du défunt est guidée à travers les airs par les saints anges ; mais elle y rencontre des douanes qui lui barrent le chemin. Un bureau spécial est affecté à chaque espèce de péché. Ici les péchés de la langue et de la bouche, à quoi les anges opposent nos bonnes paroles, nos prières et nos chants. Là les péchés de la vue ; un troisième bureau enquête sur l’ouïe, un quatrième sur l’odorat, un cinquième sur le toucher. En un mot, chaque catégorie de fautes a ses préposés spéciaux. Les puissances divines et les esprits impurs sont là. Ceux-ci font valoir nos péchés, ceux-là nos bonnes œuvres, et l’âme se tient tremblante au milieu jusqu’à ce qu’elle soit condamnée ou justifiée par ses actes. Les péchés sont, en effet, les chaînes qui lient le coupable et permettent aux démons de l’entraîner en enfer, tandis que l’âme sainte est emportée par les anges vers les joies du ciel. Hom., xiv, P. G., t. lxxvh. col. 1073-1076.

Ce morceau de saint Cyrille dut avoir du succès ; car on le retrouve plus tard résumé par Anastase le Sinaïte, Serm. in defunctos, P. G., t. lxxxix, col. 1200, et cité par saint Jean Damascène, Sacra paraît, Litt. M, 4, P. G., t. xcvi, col. 156. Les 7uxpol’.popoXoYot, reparaissent dans le cantique de l’empereur Léon le Sage, mais plutôt, semble-t-il, en rapport avec le jugement final. P. G., t. cvii, col. 310. En revanche, c’est bien au jugement particulier que convient l’anecdote racontée par saint Jean Climaque sur les derniers moments du moine Etienne, Scala paradisi, vii, P. G., t. Lxxxviii, col. 812, et aussi le témoignage personnel de saint Jean l’Aumônier, rapporté par son biographe Léonce de Naples. Vila, 40, P. G., t. xciii, col. 16501651. La « doctrine des félonies » a même inspiré quelques textes liturgiques. Voir Jugie, dans Échos d’Orient, t. x vii, 1914, p. 19. Elle est encore adoptée par des théologiens « orthodoxes » modernes, tels que Antoine et Macaire. Ibid., p. 19-20.

Il ne faut évidemment voir là que des expositions populaires, aux traits fortement colorés, pour inculquer l’idée du compte rigoureux que nous aurons à rendre de nos actions. Et comme ce suprême règlement saisit l’âme dès l’instant de la mort et a pour résultat de fixer ses destinées éternelles, sous cet angle spécial et dans une forme assurément très gauche, c’est, en somme, la doctrine du jugement particulier qui s’énonce.

c) Attestations directes : Jugement des âmes par Dieu.

— Suivant une méthode plus heureuse, d’autres cherchaient cet acte dans une intervention de la justice divine, qui arrivait à recevoir, d’une manière plus ou moins équivalente et enveloppée, le nom même de jugement.

Eusèbe de Césarée, se réfère à plusieurs reprises à la doctrine de Platon sur le jugement des âmes. Prsep. evang., xi, 35 et 38, P. G., t. xxi, col. 937 et 944-945. Cf. xii, 0, col. 957-961 et xiii, 16, col. 1152. Dans un

pareil contexte il ne peut être question que du jugement qui suit immédiatement la mort. Les rapprochements de l’apologiste indiquent ici sans conteste les vues du théologien.

Saint Grégoire de Nazianze, s’identifiant oratorio modo avec le pécheur, se représente au moment où il devra tout quitter : sa table, sa maison et ses richesses, la société de ses amis, la vue même de la lumière et du ciel étoile. Il se voit mort, étendu sur sa couche funèbre, puis en proie à la pourriture dans le tombeau. « Mais, ajoute-t-il, rien de tout cela ne touche mon cœur : ce qui me fait trembler, c’est seulement la pure balance de Dieu, o Poem. de seipso, li, 13-24, P. G., t. xxxvii, col. 1395-1396. La teneur de tout le morceau et la logique de son développement ne portent-elles pas à croire que cette « balance » doit se placer au moment même de la mort ? Peut-être pourrait-on deviner la même indication dans le passage où, parlant des justifications divines, il distingue celle qui a lieu Ttpoç ï)[x5ç de celle qui se produit sur les montagnes et les collines ou toute autre part. Oral., xvi, 8, P. G., t. xxxv, col. 944. D’autant que saint Grégoire de Nazianze est un des Pères qui ont le plus souvent et le plus nettement parlé du jugement en soi, sans association précise avec la parousie. Voir plus haut, col. 1783. Ce qui le préparait évidemment à en entrevoir mieux que personne la première échéance.

De semblables prémisses acheminent saint Jean Chrysostome vers la même intuition. Pour lui, les âmes se classent irrévocablement d’après leur état spirituel. La grâce est la seule vie effective, le péché est une véritable mort. A cet égard, la mort physique est parfaitement indifférente : après leur décès, les justes s’en vont avec le Christ, tandis que les pécheurs continuent à être loin de lui et tombent dans l’enfer où il n’y a plus de place pour le repentir. In Philip., hom. m, 3-4, P. G., t. Lxii, col. 202-203. Ailleurs, ce docteur compare le péché à une chaîne que le coupable s’est forgée et qui, après l’avoir traîné en prison, ne le quitte pas devant le tribunal. In Malth., hom. xiv, 4, P. G., t. Lvn, col. 221-222. Le tribunal est ici celui où siégera le divin juge à la fin du monde et c’est, dès lors, une erreur que de lire en ce texte, avec le P.Chr. Pesch, op. cit., p. 286, la mention expresse du jugement particulier. Cependant les âmes y comparaissent chargées de leurs péchés, tout comme les criminels qu’on amène devant le juge avec les menottes qu’ils avaient dans leur cachot. Analogie qui indique une discrimination des âmes, réalisée dès cette vie et continuée dans l’autre, en attendant l’ultime sentence, par l’effet pour ainsi dire automatique de leurs actions. Pour avoir le jugement particulier, il ne manque là que le mot. La parabole de Lazare et du mauvais riche finit par l’amener, ou à peu près, sur les lèvres du grand orateur. « Ne savez-vous pas devant quel tribunal nous serons traduits ?… Quel discours nous sauvera ? Qui nous assisterætnous portera secours quand nous serons châtiés ? Personne, et il nous faudra, dans les cris, les pleurs et les grincements de dents, aller au lieu des sombres ténèbres, des peines inexorables, des affreux châtiments…. Convertissons-nous donc et devenons meilleurs de peur qu’il ne nous arrive, comme à ce riche, de gémir sans profit après notre mort, zLzï ètesXOôvteç, et de souffrir sans remède. Ni père, ni fils, ni ami, quel que soit son crédit auprès de Dieu, ne pourra te venir en aide si tes œuvres te trahissent. Tel est, en effet, ce tribunal : il prononce uniquement d’après les œuvres et il n’y a pas moyen de se sauver autrement. » In I Cor., hom. XLn, 3, P. G., t. lxi, col. 366-368. L’ensemble de ce développement et le rappel incident du mauvais riche montrent bien que « (je tribunal, zLzlvo tô Sixoe-JTrçpiov, siège en permanence et que chacun y comparaît de » l’heure de sa mort.