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JUGEMENT, TRADITION PATRISTIQUE : PERIODE PRIMITIVE


eux-mêmes. Théophile invoque les textes de la Sibylle et des poètes, Ad AutoL, ii, 36-38. Saint Justin rappelle la légende de Minos et de Rhadamante recueillie par Platon. Apol., i, 8, col. 337 ; cf. Colwrt., 27, col. 292. Tatien s’en souvient aussi, mais c’est pour en montrer l’insuffisance — comme s’il n’y avait pas de jugement avant l’existence de ces héros ! Pour lui, c’est Dieu seul qui est notre juge. Oral., 6 et 25 ; ibid., col. 817 et 861. Athénagore souligne également le même principe et aflirme que ces prétendus juges, en admettant qu’ils aient existé, seront eux-mêmes soumis au jugement divin. Légat., 12, col. 913. En réalité, la foi des Apologistes a son fondement profond dans la théodicée naturelle, suivant cette déduction élémentaire bien dégagée par Théophile : « Si je le dis Seigneur, je le dis juge. » Ad AutoL, i, 3, col. 1208. Principe auquel la révélation chrétienne coordonne le rôle du Christ Fils de Dieu.

Étant données ces bases, est-il besoin de dire que le jugement doit être universel ? Quand donc saint Justin dit que les justes échapperont au jugement de Dieu, Dial., 138, ou qu’il y renvoie les seuls pécheurs, ibid., 45 ; cf. Théophile, Ad AutoL, , i, 3 et ii, 14, c’est que le jugement y est pris, comme dans Joa., v, 29, pour synonyme de condamnation. Car il est entendu que le Christ est le juge du genre humain, Justin, Apol., i, 53 et Dial., 124, que tous les hommes devront rendre compte de leur vie entière, Athénagore, Légat., 12, jusqu’à leurs moindres pensées. Ibid., 32.

b) Notion du jugement. — Après quoi il ne faut pas demander aux apologistes beaucoup d’éclaircissements sur l’échéance ou les formes possibles de ce jugement. Non seulement saint Justin ne semble pas connaître d’autre action judiciaire que celle qui suivra la parousie, J. Rivière, op. cit., p. 310-312 ; mais, gagné pour son compte aumillénarisme, il signale comme une erreur la doctrine d’après laquelle les âmes seraient reçues au ciel dès la mort. Dial., 80. Tatien rapproche formellement le jugement de la résurrection. Orut., 6. Tous semblent remettre à la fin du monde l’application de la peine du feu pour les damnés. Atzberger, op. cit., p. 146. Si la Cohortatio parle du jugement qui aura lieu [Lz~à ttjv teXeuttjv toûSs tvj jîîou, 1, col. 241, c’est pour la situer dans l’au-delà — [iz-y. tôv fjîov toûtov, comme il est précisé un peu plus loin, 8, col. 257 — non pour signifier qu’il aura lieu tout de suite après la mort. Atzberger, op. cit., p. 161. Pas plus que les Pères apostoliques, les Apologistes n’ont exprimé nulle part la perception nette du jugement particulier.

Cependant saint Justin sait qu’une certaine rétribution suit immédiatement la mort. < Les âmes des bons demeurent dans un lieu meilleur ; celles des pécheurs et des méchants dans un pire, pour y attendre l’époque du jugement. » Dial., 5, col. 488. Et l’on peut observer que cette formule est mise par lui sur les lèvres du vieillard mystérieux qui lui découvrit le christianisme. C’est dire qu’elle n’est pas le résultat personnel d’une élaboration philosophique, mais qu’elle a chance de refléter les conceptions communes du temps. Or elle n’est visiblement rien d’autre qu’un résumé succinct de l’eschatologie judaïque, caractérisée par l’attribution à tous les défunts d’un séjour commun, où les sanctions existent sans doute, mais sont à peine ébauchées et ne doivent, en tout cas, devenir complètes et définitives qu’après le jugement dernier. Saint Justin ne fait qu’esquisser cette doctrine, bien qu’en traits parfaitement reconnaissables. Elle allait se conserver et prendre figure de système < liez les théologiens postérieurs.

2. Saint lrénée.

Tandis que saint Justin et les Apologistes s’adressaient surtout aux adversaires du dehors, saint lrénée s’attache à démasquer et

à réfuter ceux du dedans. De ce chef, son œuvre a un caractère beaucoup plus théologique. Les erreurs de la Gnose devaient attirer tout spécialement son attention sur l’eschatologie.

n) Réalité du jugement. — Inutile de dire que l’évêque de Lyon professe la croyance au jugement, et au jugement par le Christ. Cette vérité, sommairement rappelée comme un élément de la catéchèse commune dans la Démonstration de la prédication apostolique, i, 41, dans Palrologie orientale, t. xii, p. 776, est un des thèmes qui reviennent le plus souvent dans son grand ouvrage. Voir Atzberger, p. 259-261.

A rencontre de la Gnose il enseigne comme deux vérités solidaires l’avènement du Christ dans la chair et son retour dans la gloire : sur l’autorité de l’Ancienne et de la Nouvelle Loi, hardiment il convoque devant le tribunal du Seigneur toutes les sectes qui altèrent aujourd’hui sa doctrine. Cont. hær., IV, xxxiii, 1-13, P. G., t. vii, col. 1072-1082. Il insiste particulièrement, à l’adresse de Marcion, pour montrer que le jugement n’est pas un acte du Dieu borné, mais du Dieu créateur notre maître et de son Fils Jésus. Thèse d’ordre christologique, mais qui lui fournit l’occasion de rappeler, pour les appliquer au Christ, les principaux textes de l’Écriture relatifs au jugement : soit les jugements historiques de Dieu dans le passé, tels que le déluge et la ruine de Sodome, soit le jugement futur du monde. Voir xxxvi, 3-6 et xl, 2, col. 10921097 et 1112-1113.

Ce jugement est l’affirmation indispensable de la Providence : Si eni’m non judicat Pater, aut non pertinet ad eum, aut consentit his quæ ftunt omnibus ; et si non judicat, omnes in sequo erunt et in eodem dinumerabuntur statu. Il est aussi la conséquence de la mission du Christ, qui est venu commencer dès ici-bas par sa parole le discernement entre fidèles et infidèles, et qui se doit de l’achever un jour. V, xxvii, 1, cf. IV, vi, 5-7, col. 1195-1196, et 989-990. Au demeurant la raison montre que la justice et la bonté sont également nécessaires pour que le jugement divin s’accomplisse dans de bonnes conditions. III, xxv, 2-4, col. 968-969. La doctrine eschatologique est ainsi incorporée aux principes fondamentaux’du dogme chrétien.

b) Notion du jugement. — Par ce jugement saint lrénée n’entend jamais que celui où le Christ doit apparaître comme juge des vivants et des morts. Voir III, v, 3 ; IV, xx, 2 ; xxxiii, 13, col. 860, 1033, 1082.

Quant à la situation des âmes dans l’intervalle « son opposition au gnosticisme et son attachement à la doctrine de ces presbytres qu’il tenait en si haute estime contribuèrent à le mal aiguiller ». Atzberger, op. cit., p. 242. Il s’agissait pour lui essentiellement de mettre in luto, contre l’idéalisme des gnostiques, l’importance du corps et la vérité de la résurrection. Ceux-ci envoyaient l’âme au ciel aussitôt après la mort : Simul atque morlui juerint dicunt se supergredi cœlos et demiurgum et ire ad matrem vel ad eum qui ab ipsis uffingitur Patrcm. L’évêque de Lyon s’élève contre cette prétention au nom de l’exemple du Sauveur, qui voulut descendre aux enfers et y demeurer trois jours. « Ainsi les âmes de ses disciples s’en vont en un lieu (invisible) qui leur est assigné par Dieu et elles y séjournent en attendant la résurrection…. Carie disciple n’est pas au-dessus du maître. » V. wi, 1-2, col. 1208-1209. De ce sombre séjour lrénée n’excepte que les âmes des martyrs. IV. xxxiii, 9, col. 1078. Tout porte à croire que les âmes y sont déjà classées suivant leurs mérites ; mais notre docteur ne s’en explique pas ici ex professo. Ailleurs, il fait allusion à une rétribution immédiate qui suppose le jugement particulier. Voir II.xxxiv, 1, col. 835 et IV, xxxvii, 1-2, col. 1100. Mais a son tour, à la suite de saint Justin,