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1755 JUGEMENT. DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOl VEAU TESTAMENT

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<le leurs caractères distiik tifs. L’un est un acte solennel et où l’on voit comparaître l’humanité entière ; il est annoncé par la parousie du Christ glorieux, précédé de la résurrection, et une date formelle lui est assignée, savoir la fin des temps : èv tîj oovTeXsta toû atwvoç, Matth., xiii, 40 ; èv tîj TraXiyyeveata, ibid., xix, 28. C’est celui qui est dans la pensée du Christ lorsqu’il veut insinuer ou revendiquer sa dignité messianique et qui, de ce chef, s’affirme en traits particulièrement accentués. Mais lorsque Jésus parle simplement en moraliste, soucieux d’éveiller en ses auditeurs le sentiment de leur responsabilité et la préoccupation du salut éternel, le jugement devient une reddition de comptes qui ne met plus en présence que l’âme individuelle et Dieu devenu son juge, qui s’accomplit sans solennité ni date précise et a donc tout ce qu’il aut pour coïncider avec la mort de chacun. Ainsi en est-il dans la parabole des ouvriers de la vigne, Matth., xx, 1-16, qui souligne la miséricorde de Dieu et la gratuité de ses dons, et dans celle du festin des noces qui met en évidence sa sainteté. Ibid., x.xii, 1-14. D’autres portent un enseignement plus directement moral : telles la parabole du créancier et du débiteur insolvable qui prône la charité fraternelle, ibid., xviii, 23-35, la parabole des vierges qui recommande la vigilance, ibid., xxv, 1-13 et celle des talents qui prêche la nécessité de l’effort personnel. Ibid., 14-30 ; cf. Luc, xii, 35-48 et xix, 12-26.

Il est même remarquable que, dans la relation de saint Matthieu, ces deux dernières paraboles, où le jugement prend si visiblement forme individuelle et privée, soient immédiatement suivies, xxv, 31-40, de la grande scène où le Christ est présenté revenant dans sa gloire au milieu de ses anges et s’asseyant sur un trône pour juger toutes les nations. Fût-il accidentel. ce rapprochement n’en marque pas moins la différence réelle des deux économies qui s’entrecroisent dans l’ensemble complexe de l’Évangile, différence qui devait s’épanouir plus tard en concepts formellement distincts.

D’après l’Évangile de saint Jean.

Entre la

relation des synoptiques et celle de saint Jean, ici comme souvent ailleurs, c’est le tour qui diffère plutôt que le fond réel des idées. Le jugement messianique tient moins de place dans le quatrième Évangile que dans les autres ; mais il y apparaît sensiblement avec les mêmes traits.

1. Juyement présent.

Conformément à sa tendance mystique, l’évangéliste se plaît à présenter l’incarnation et la prédication du Fils de Dieu comme un premier et véritable jugement. Non qu’il s’agisse d’une vindicte comme celle qu’attendaient les Juifs : dans ce sens « Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais bien pour le sauver. » ni, 17, cf. viii, 15 et xii, 47. Sa parole n’en est pas moins un principe de discernement qui fait ressortir la diversité des âmes et les classe en catégories définitives. Ge côté psychologique et moral déjà dessiné dans les synoptiques passe ici au premier pian.

Dès le prologue, il est marqué en tenues sévères que " la lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise, » i, 5, que le Verbe de Dieu < est venu parmi les siens et que ceux-ci ne l’ont point reçu. Ibid., 11. Yérilé générale qui comporte bien des exceptions Lu réalité, les hommes ont pris a l’égard du message divin des positions diverses, et cette diversité établit entre eux des différences qui dispensent de toute procédure judiciaire.’Celui qui croit au Fils de Dieu n’est pas jugé, > ni, 18a ; car il a déjà la vie éternelle pal le fait de sa foi et, de ce eliet, n a pas a venir en jugement, v, 24 : ternie qui est ici, comme plus bas, v, 29. pris au sens pessimiste de condamnation. < Quant a celui qui

ne croit pas. il est déjà jugé » par le fait de son incroyance. < Car voici en quoi consiste le jugement c’est que la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. ni, 186-19. Autant que la parole de Dieu dont elle ne se sépare pas, la parole de son Fils unique est un principe de mort ou de vie pour les âmes, suivant l’option qu’elle détermine de leur part. Et dans ce sens le Christ est bien venu

< pour le jugement, afin que ceux qui ne voient pas puissent voir et que ceux qui voient soient aveuglés ». îx. 39. Il y a donc un jugement qui se réalise dès icibas et qui anticipe les résultats de l’autre. C’est dire que la discrimination spirituelle des âmes, si elle commence dans le temps, se prolonge jusque dans l’éternité.

En même temps que cette redoutable signification individuelle, l’avènement du Verbe divin a une portée historique générale. Les synoptiques songeaient volontiers au jugement d’Israël, qui allait rendre compte de ses longues infidélités : il s’agit ici de tout l’univers et des puissances mauvaises qui le mènent contre Dieu. « C’est maintenant le jugement du monde, prononce le Christ à la veille de sa passion ; c’est maintenant que le prince de ce monde sera jeté dehors. » xii, 31. Cf. xiv, 30. Allusion au triomphe qui suivra sa mort, triomphe déjà commencé par l’œuvre de sa vie et, dès lors, tellement certain qu’il peut dire que

< le prince de monde est déjà jugé. » xvi, 11.

2. Jugement futur.

Ne pourrait-on craindre cependant que cette insistance sur le jugement présent se produisît au détriment de l’eschatologie traditionnelle ? Il n’en est rien. Car le quatrième Évangile, évoque lui aussi, v, 25-29, la perspective de la parousie et de la résurrection : le tout en vue du dernier jugement. - — ainsi P. Schanz, Commentar ùber… hl. Johannes, Tubingue, 1855, p. 247-218 et la plupart des exégètes contre Belser, Das Evangelium des hl. Joltannes, Fribourg, 1905, p. 179 — dont il marque bien, en une de ces belles synthèses doctrinales où il excelle, qu’il constitue un droit messianique. « De même que le Père a la vie en lui, ainsi a-t-il pareillement donné au Fils d’avoir la vie en lui. Et il lui a donné le pouvoir de faire le jugement parce que c’est le Fils de l’homme.’Ibid., 26-27. Cꝟ. 22. L’authenticité de ces textes a été rejetée sans une autre raison que l’a priori. Charles, op. cit., p. 370-372, d’après K. Wendt, Die Lehre Jesu, 1. 1, p. 249-251.

Ce jugement eschatologique est d’ailleurs en connexion étroite avec celui que l’Evangile inaugure dès ici-bas. c Si quelqu’un entend mes paroles et ne les observe pas, ce n’est pas moi qui le jugerai ; car je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. Celui qui m’écarte et ne reçoit pas mes paroles a son juge dans la parole même que j’ai prononcée : c’est elle qui le jugera au dernier jour. » xii, 47-48. Dans cette expression si caractérisée du spiritualisme johannique, on reconnaît la donnée fondamentale des synoptiques, savoir que la profession de l’Evangile sera, dans l’avenir connue dans le présent, le seul objet et le seul critérium du jugement divin. Ici le ton est abstrait et la formule générale, tandis que là tout se traduisait en maximes concrètes : mais, au stylé lires, c’est bien partout la même doctrine et le même esprit.

Toutes nos sources sont d’accord pour dire que renseignement de JésUS a conservé la croyance justice de Dieu et au jugement qui la doit manifester, d’accord aussi pour attribuer à ce jugement le enracine d’un acte exclusivement moral et spirituel. Là est l’essentiel de la révélai ion évangélique, qui rectifie 1rs déviations du judaïsme en assimilant tout ce qu’il y avait de religieux et, par conséquent, d’éternel dans les aspirations encore un peu confuses de l’Ancien