Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/172

Cette page n’a pas encore été corrigée

1753 JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOUVEAU TESTAMENT 1754

aboutit à une véritable transformation. « La nouveauté de l’enseignement de Jésus est d’avoir converti du même coup la notion du royaume et celle du jugement, d’avoir spiritualisé le jugement comme le royaume… Ce jour suprême, c’est le jour de la justice et de la rétribution. Mais tout nationalisme s’est évanoui. Les grandes masses qu’étaient les nations et Israël ne comptent plus. Devant le trône il ne comparaît que des âmes individuelles et l’alternative est pour elles de savoir si elles sont sauvées ou si elles ne le sont pas… Il n’y a plus qu’un juge jugeant l’homme individuel au critérium de l’Évangile. » Batiffol, L’enseignement de Jésus, Paris, 1905, p. 268-271.

A cette spiritualisation du jugement on ne saurait opposer les traits d’apocalypse qui entrent parfois dans sa description. « Jésus recourt aux images populaires dont se revêt la foi au jugement du jour de Jahvé. Jésus parle du roi qui s’asseoit sur le trône de sa majesté pour juger toutes les nations assemblées ; ces anthropomorphismes sont pour lui des expressions paraboliques, dont nous n’avons à retenir que la pensée religieuse que le Sauveur y met… Dans ces divers textes qui se rapportent au jour du jugement, l’essentiel est la coordination de la doctrine du royaume à la doctrine du salut. Tout le reste est secondaire, variable, relatif… On peut conclure que ces images apocalyptiques n’ont qu’une valeur figurative. .. Le jugement subsiste, quelle qu’en soit la représentation. » Ibid., p. 269-270 et 273-274. Cf. Atzberger, op. cit., p. 362-365.

Dans ces conditions, il n’y a rien qui s’oppose à l’authenticité de cet enseignement. Les critiques du protestantisme libéral, estimant cette eschatologie contraire à leur concept du pur Évangile, en veulent reporter l’origine à la première génération chrétienne. Sans prétendre discuter à fond un système qui déborde le cadre de la question présente, il suffira de faire observer ici que la doctrine du jugement messianique est trop liée à l’ensemble de l’Évangile pour en pouvoir être arrachée sans violence et qu’on aboutit par cette vivisection à trancher le lien vital qui unit la pensée de Jésus aux espérances religieuses de sa race et de son temps. Mais, en consacrant cette croyance au jugement divin et s’en proclamant l’exécuteur, par où il prenait contact avec son milieu, Jésus l’a épurée et renouvelée de manière à la mettre au niveau spirituel de toute sa doctrine. Loin de rompre la ligne de la révélation évangélique, elle en est plutôt le complément, comme suite nécessaire ou mieux comme partie intégrante du messianisme transcendant prêché par Jésus.

2. Jugement particulier.

Cette annonce du jugement final est certainement dominante dans l’Évangile et bien des exégètes ne semblent pas y en trouver 4’autre. A supposer qu’il en fût ainsi, il faudrait dire que Jésus a principalement porté son attention sur le principe des rétributions divines et qu’il a insisté, quant à l’application, sur celle que demandait l’affirmation de son rôle messianique.

Déjà pourtant, dans cette perspective générale, le caractère strictement personnel de la procédure et l’objet exclusivement moral de la sentence ne donneraient-ils pas une suffisante solution au problème de la destinée individuelle ? Quand il est sûr que chacun recevra selon ses œuvres, peu importe, en somme, le temps et la manière. Au lieu de promettre une complète satisfaction à la curiosité humaine en matière eschatologique, Jésus nous avertit que « le jour et l’heure » du jugement sont des secrets dont le Père s’est réservé la connaissance. Matth., xxiv, 36 ; Marc, xiii, 32 ; Act., I, 7. Il n’y aurait rien d’étonnant à ce que le même mystère en couvrît également certaines modalités et qu’il nous fût interdit autant

qu’inutile de savoir s’il est en un ou deux actes, si la suprême manifestation divine fixée à la fin du monde sera ou non précédée d’une autre au moment de notre propre fin. D’autant que l’incertitude qui plane sur le retour du maître est pour chacun de ses serviteurs une perpétuelle invitation à veiller, de manière à se trouver toujours prêts. Matth., xxiv, 42-51 ; Marc, xiii, 33-37 ; Luc, xxi, 34-36. Ainsi la doctrine du jugement particulier serait implicitement contenue dans cette révélation, si conforme à la méthode évangélique, d’une justice à la fois certaine et indéfinie devant laquelle tout homme devra tôt ou tard rendre compte de ses actes.

II n’est pourtant pas impossible d’en trouver dans l’Évangile des traces plus explicites. Le jugement individuel est une conséquence du rôle revendiqué par le Christ dans l’économie du salut.

En effet, la seule prédication de Jésus réalise déjà par elle-même un premier discernement des âmes. Dès sa présentation au temple, Siméon le montrait prédestiné à être un principe, soit de ruine, soit de résurrection, parce qu’il révélerait le fond de bien des cœurs. Luc, ii, 34-35. Telle est, en effet, la condition de son message messianique qu’il peut être un objet de scandale, Matth., xi, 6, et une source d’aveuglement. Ibid., xiii, 13-16. Aussi a-t-il pour résultat d’introduire la division au sein des familles, ibid., x, 34-36, tout particulièrement de faire éclater au grand jour l’infidélité générale du peuple élu et d’amener sa réprobation. Matth., xxi, 31-32 et 42-43 ; xxiii, 33-36. Cf. Luc, xx, 16-18 ; xi, 30 et 50-51. Le fait est bien mis en évidence par Atzberger, op. cit., p. 207.

Or cette sentence atteindra les enfants rebelles d’Israël dès la génération présente ; mais les effets en seront durables, puisque le royaume leur sera définitivement enlevé pour être accordé aux Gentils. De même la discrimination spirituelle introduite par l’attitude de chacun envers l’Évangile n’est-elle pas trop profonde pour ne pas dépasser les limites du temps ? Quiconque fait la volonté du Père est dès maintenant cher à Jésus à l’égal des plus proches parents, Matth., xii, 50, et plus tard le Christ reconnaîtra ses fidèles devant le Père qui est aux cieux, de même qu’il y reniera ceux qui l’auront renié. Ibid., x, 32-33. C’est un même acte moral qui continue — réalité psychologique exprimée sous l’image de ce registre où sont inscrits les noms des élus dans le ciel, Luc, x, 20 — et le moins qu’on puisse dire c’est que cette continuité rend possible, vraisemblable, logiquement nécessaire, une rétribution immédiate après la mort. Aussi le discours sur la montagne donne-t-il l’impression que la récompense céleste suit sans intervalle les sacrifices qui la préparent ici-bas. Matth., v, 8-12. On s’explique par là que le pauvre Lazare puisse être, dès l’instant de sa mort, transporté dans le sein d’Abraham, tandis que le mauvais riche est enseveli en enfer, Luc, xvi, 22 ; cf. xii, 20, et l’on ne s’étonne pas que son repentir in extremis mérite au bon larron la promesse d’être reçu le jour même au paradis. Ibid., xxiii, 43. Premières sanctions indiquées en passant comme une chose qui va de soi et dont la mention prend tout son sens lorsqu’on se rappelle les conceptions courantes du judaïsme à cette époque. Il y a donc identité morale entre la vie présente et la vie future ; mais, comme l’affirmation de cette identité ne saurait d’ordinaire se produire sans un redressement profond des anomalies d’ici-bas, c’est dire qu’elle suppose l’intervention rectificative du jugement divin. Voir Atzberger, op. cit., p. 205.

A la lumière de ces indications, on peut, en effet, discerner deux formes dans la doctrine évangélique du jugement, suffisamment reconnaissables à la différence