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1751 JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITURE : NOUVEAU TESTAMENT 1752

viduellc, de nationale universelle et, sans perdre de vue l’acte suprême qui doit fixer définitivement l’ordre mondial, on y aperçoit des possibilités fermes et souvent une certaine ébauche de sanctions consécutives à la mort de chacun. Il s’en faut d’ailleurs, même au terme de ce développement séculaire, que ces divers éléments présentent une égale netteté. A la lumière rétrospective de l’enseignement catholique, on y peut démêler les grandes lignes d’un progrès qui, dans l’ensemble, orientait lentement le judaïsme vers le dogme chrétien ; mais, pour les Juifs eux-mêmes, il restait bien des idées obscures et plus encore de perspectives incertaines. Voir H. Lesêtre, art. Jugement de Dieu, dans Dicl. de la Bible, t. iii, col. 18371839. D’une manière générale, la foi au jugement dernier tendait à compromettre la notion ou à diminuer le souci de la sanction personnelle après la mort et celle-ci, de son côté, risquait de se développer au détriment de celle-là. Sur l’une et l’autre l’incurable nationalisme d’Israël faisait peser la menace d’une partialité incompatible avec le dogme de la justice qui en était la base.

C’est au christianisme qu’il était réservé de réunir et d’harmoniser les directions doctrinales que l’Esprit de Dieu avait successivement ouvertes devant le judaïsme et, par là, de corriger les erreurs, de dissiper les ombres, de fixer peu à peu les incertitudes qu’une révélation encore imparfaite y laissait subsister.


IV. Données de l’Écriture : Nouveau Testament.

Il est dans l’ordre des choses que les idées les plus neuves soient conditionnées par leur milieu. On retrouve cette loi naturelle dans la marche de la révélation divine, et d’une manière plus sensible peut-être en matière d’eschatologie. C’est ainsi que, tout en étant porteur d’un esprit qui devait dépasser le judaïsme, le christianisme en reste cependant tributaire pour son cadre général et pour beaucoup de ses concepts. Ici comme ailleurs, le suprême intérêt des origines chrétiennes est précisément de voir le ferment évangélique aux prises avec cette lourde pâte qui semble d’abord pour lui un obstacle, mais que son action allait transformer. Voir Atzberger, op. cit., p. 192-193.

I. enseignement DE Jésus.

Sans y être prépondérante comme on a voulu parfois le dire, la doctrine des fins dernières tient une place notable dans l’Évangile. Il est tout indiqué de la chercher séparément, d’abord dans les synoptiques, puis dans le quatrième Évangile, pour avoir les diverses formes sous lesquelles nous est conservé renseignement de Jésus en matière de jugement.

1° D’après les Évangiles synoptiques, - - Par rapport à l’ensemble de la prédication évangélique, il est incontestable que le jugement n’est pas une idée de premier plan, et rien ne demandait qu’il en fût ainsi. Il y apparaît cependant de la façon la plus formelle, impliqué dans tout l’enseignement, soit dogmatique, soit moral, de Jésus. Et ce double lien organique par lequel il fait corps avec l’Évangile se trouve correspondre, pour les préciser, au double aspect et à la double fonction que déjà l’Ancien Testament faisait sullisamnient entrevoir.

1. Jugement général.

Jésus s’adressait à des Juifs à qui la pensée des rétributions divines était familière. < >n ne saurait, dès lors, être surpris si le jugement vient sur ses lèvres comme une réalité dont tout le monde admettait l’existence, et qu’il s’agit seulement d’utiliser aux fins de l’Évangile. De fait, le.Maître en évoque la perspective le plus naturellement du monde, et sans la moindre préparation, . soit à l’égard des individus coupables de simples paroles oiseuses, Matth., XII, 36, soit à l’égard des villes du littoral et de la généra’, ion de ses contemporains qui se montrent rebelles

à sa parole, ibid., xi, 22, 24 ; xii, 41-42 et Luc, x r 12, 14 : xi, 31-32, ou qui plus tard refuseront d’accueillir ses envoyés. Matth., x, 15. Pareils traits durent être fréquents dans sa prédication. Le « jour du jugement » ainsi présenté est évidemment une allusion à cette solennelle manifestation de la justice divine qu’Israël attendait à l’ouverture du siècle à venir.

Ce qui est plus caractéristique de l’Évangile, c’est que ce jugement futur y est donné presque toujours — à l’exception de Matth., vi, 4-6, 14-18 et xviii, 35, où il est rapporté au Père — comme l’œuvre du Christ, et le fait est un de ceux où se révèlent de la manière la moins contestable les prétentions de Jésus à la dignité messianique. M. Lepin, Jésus Messie et Fils de Dieu d’après les Évangiles synoptiques, Paris, 3e édition, 1907, p. 271-272 ; J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 4e édition, 1919, p. 270-274 ; et ci-dessus art. Jésus-Christ, col. 1209. On en relève le témoignage « le plus souvent chez saint Matthieu, mais aussi chez les autres synoptiques, » Lebreton, ibid., p. 310, tantôt sous la forme d’allusions rapides au retour du Christ dans la gloire, Matth., xvi, 27 ; Marc, viii, 38 ; Luc, ix, 26, tantôt en récits plus circonstanciés, où l’on voit apparaître le rôle auxiliaire, soit des anges, Matth.. xiii, 30, 39-40, soit des apôtres, ibid., xix, 28, où l’on assiste à la scène même du jugement et au prononcé de la sentence. Ibid., xxv, 31-46.

Il faut évidemment entendre dans ce sens le grand discours eschatologique retenu par nos trois évangélistes, bien qu’il n’y soit directement question que de la parousie du Fils de l’homme en vue de rassembler ses élus des quatre coins du ciel. Matth., xxiv, 31 ; Marc, xiii, 27. Cf. Luc, xxi, 27. La même conviction inspire à Jésus sa réponse à l’adjuration du grand prêtre, Matth., xxvi, 64 ; Marc, xiv, 62 ; Luc, xxii, 69, et dicte son arrêt de mort. Dans ce jugement, certains textes ne semblent attribuer au Christ que le rôle d’un témoin, Matth., x, 32-33 ; cf. Marc, viii, 38 ; Luc, ix, 26 et xii, 8-9 ; mais, dans tous les autres, le Christ en est le véritable agent, qui procède à la séparation des bons et des méchants, porte la sentence et la met à exécution.

En devenant un acte messianique, le jugement participe aux caractères propres du messianisme de Jésus. Tous ces éléments d’ordre matériel et national qui encombraient encore l’espérance d’Israël en sont rigoureusement bannis. Ici le jugement est absolument universel : il ne s’adresse pas seulement aux enfants d’Israël, Matth., xix, 28, mais à toutes les nations, ibid., xxv, 32, cf. xxiv, 30 ; non pas seulement aux contemporains, mais aux peuples du passé, puisque Sodome et Gomorrhe, ibid., x, 15, Tyr et Sidon, ibid., xi, 22, 24, Ninive et la reine de Saba, ibid., xii, 41-42, y seront convoquées. Bien que s’appliquant à l’humanité tout entière, ce ne sera pas un jugement de collectivités ; il sera individuel et, par conséquent, moral : « Le Fils de l’homme rendra à chacun selon ses œuvres. » Matth., xvi, 27 II ne s’agira donc pas de s’évader en effusions sentimentales ou de s’abriter derrière des grâces d’exception : l’important pour les justiciables sera d’avoir accompli la volonté du Père qui est aux cicux. Ibid., vii, 21-23. Et comme la charité est la vertu évangélique par excellence, c’est elle surtout qui déterminera le jugement : charité des sentiments et des paroles, car on nous appliquera la même mesure que nous aurons appliquée au prochain, Marc, iv, 24 et Matth., vii, 1-2 ; cf. xviii, 35 ; charité des actes, car le Seigneur comptera comme fait ou refusé à lui-même ce que l’on aura lait ou refusé au moindre des siens. Matth.. xxv, 3 1-15 : cf., 42 et Marc, ix, 40.

Si donc Jésus a conservé l’essentiel de l’espérance juive, c’esl en lui infusant un esprit nouveau, qui