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JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITURE : ANCIEN TESTAMENT


raël tenait de la révélation mosaïque arrive à sa plus pure expression et se révèle comme une force agissante. C’est en son nom que les psalmistes et les moralistes s’élèvent aux plus hautes effusions du sentiment religieux, en son nom surtout que les prophètes entreprennent une lutte énergique contre les désordres populaires et s’efforcent de ramener la piété de leurs contemporains à son idéal primitif. Jamais pensée ne fut plus que la leur dominée par l’action. Ils n’ont rien de philosophes dissertant dans l’abstrait : leur prédication s’alimente toujours aux circonstances du temps et se montre avant tout soucieuse de réalisations immédiates. Ce pragmatisme bien connu donne sa physionomie propre à l’eschatologie des prophètes.

La haute idée qu’ils ont de Dieu les fait insister plus que jamais sur la notion de justice, et il s’agit pour eux d’une justice absolument universelle qui ne comporte pas d’exceptions. « Car les voies de Jahvé sont droites : les justes y marcheront, mais les rebelles y tomberont. » Os., xiv, 9. Jahvé, en un mot, est le Dieu saint qui rend à chacun selon ses œuvres : cette antique formule devient courante, Jer., xvii, 10 ; xxv, 14, et xxxii, 19 ; Ez., ix, 10 ; plus tard, Ps., Lxii, 13 et Prov., xxiv, 12. Déjà ferme dans la période antérieure, le dogme de la justice prend ici un nouveau relief.

Mais une crise commence à se manifester dans la manière d’en concevoir l’application. Toute la foi juive reposait sur cette idée très simple que la Providence règle si bien lamarchedu monde que la distribution des biens et des maux correspond dès ici-bas au mérite de chacun. Cette vue sommaire pouvait-elle longtemps se soutenir devant l’expérience’? Bien qu’il fût ou se crût fidèle au culte de Jahvé, le peuple juif connaissait d’amers déboires : divisions intestines ; guerres et invasions ; menace croissante de l’oppression assyrienne, qui aboutirait successivement à la ruine de Samarie, puis de Jérusalem, et à la déportation super flumina Babylonis. Dans l’ordre individuel, comment fermer les yeux à ce perpétuel scandale qu’est la souffrance des justes et le bonheur des impies ? Jérémie en exprime sa douloureuse surprise, xii, 1-3 ; le Psalmiste en est ému au point que « son pied allait fléchir et que ses pas étaient sur le point de glisser », Ps.. i xxiii, 2 ; Habacuc interroge Jahvé non sans angoisse sur le mystère déconcertant de ses voies, Hab., i, 2-4 ; Malachie témoigne du scandale qu’elles causent à plusieurs, ii, 17 ; iii, 13-15 ; Job expose de la manière la plus dramatique le cas de conscience qui en résulte.

De toutes parts le désaccord entre les principes et les faits posait à vif le problème des sanctions divines et invitait les âmes religieuses à en chercher la solution.

Le jour de Jahvé et la rétribution nationale.

« En

Juda comme chez les autres peuples de cette époque, les intérêts nationaux absorbent les intérêts individuels. > J. Touzard, Revue biblique, 1898, p. 227. Aussi est-ce principalement, presque exclusivement, par rapport à la nation que les prophètes envisagent les jugements divins. Tout leur effort consiste à reporter dans l’avenir l’application de la justice intégrale qui fait défaut dans le présent. Leur doctrine se résume dans l’attente du « jour de Jahvé ».

1. Promesse du jugement divin.

Sous le coup des épreuves qui n’avaient jamais manqué, Israël avait de bonne heure pris l’habitude de jeter les yeux vers des temps meilleurs, où se réaliseraient enfin ces promesses dont il ne voulait pas douter. Ces temps s’ouvriraient par un acte éclatant de la puissance divine. La croyance à ce « jour de Jahvé » apparaît courante chez les premiers prophètes écrivains, Amos, v, 18 ; Michée, vii, 4. Mais le peuple, avec sa conception égoïste de l’alliance, se figurait volontiers que ce jour

ne pouvait que signifier la confusion de ses ennemis et inaugurer pour lui-même une ère indéfinie de bénédictions.

Les prophètes s’emploient à réagir contre cette conception populaire : à cet optimisme superficiel ils opposent la loi morale de justice. Sans doute les ennemis du peuple seront châtiés, mais à cause de leurs crimes, Ain., i-ii, 3 ; Mich., v, 14 et vii, 13 ; Jer., x. 25. Voilà pourquoi Israël et Juda le seront également pour les leurs, Am., ii, 4-16 : eux aussi, ils recevront selon leurs œuvres. Am., viii, 7 : Os., iv, 9 ; xii, 3. Là-dessus les prophètes appuyaient toute cette critique des mœurs publiques et privées qui tient tant de place dans leurprédication.Cesinfidélités expliquent les malheurs qui ont déjà frappé le peuple, Am., iv, 6-11 ; Jer., ii, 30 ; Ez., xx, 4-30 ; mais elles en préparent de plus grands encore, Am., iv, 12 et iii, 13-14 ; Is., v, 5. Le jour tant attendu « sera ténèbres et non lumière », Am., v, 18 ; Jahvé s’y présentera en juge du peuple coupable, Am., vii, 8. et le châtiera sans pitié. Os., v, 1-15 ; vi, 5 ; vii, 12-13 ; ix, 7 ; Soph., i, 17-18.

Néanmoins la miséricorde ne perdra pas ses droits et un « petit reste » subsistera sur lequel se réaliseront les promesses de Dieu. Cette doctrine est familière à Isaïe, iv, 2-3 ; vi, 13 ; x, 20-23 ; xvii, 5-6 ; mais on la retrouve également dans Michée, iv, 7 ; v, 6 ; vii, 18, dans Jérémie, l, 20, Sophonie, iii, 12-13, Ézéchiel, vii, 8-9. Et c’est dire que le châtiment divin ne saurait rien avoir d’une vindicte aveugle : il aboutit à un triage du peuple et porte donc le caractère d’un véritable jugement.

Toujours est-il que, sous cette forme mitigée d’espérance, c’est la note sévère qui domine chez les prophètes antérieurs à l’exil. Mais déjà les peuples voisins ont aussi leur part des rétributions divines. Am., i-ii : Is., xiii xxiii ; Jer., xlvi-li. Cette proportion se renverse après la captivité. « La ruine de Jérusalem devait marquer un tournant dans l’histoire de la prophétie… Une partie, un élément du « Jour de Jahvé » appartenait déjà au présent ; il allait bientôt appartenir au passé : aussi pouvait-on plus que jamais vivre d’espérance. » J. Touzard, art. Juif (peuple), dans Dict. apol. de la foi, t. ii, col. 1622. De fait, les prophètes adressent de préférence aux exilés des paroles de consolation, témoin la belle prophétie d’Èzéchiel sur la future résurrection nationale, Ez., xxxvii, ou encore les grandioses tableaux d’avenir qui remplissent la deuxième moitié d’Isaïe, xl sq., et le châtiment des nations tient chez eux une place croissante, Ez., xxv-xxxix ; Is., xli, 11-12 ; XLvn ; Lxiii, 1-6 ; lxvi, 14-24. Encore est-il qu’Israël ne sera sauvé qu’au prix d’une purification rigoureuse, Jer., xxxi, 31 sq. ; Ez., xxxvi, 25-27, et que seule la partie du peuple restée fidèle aura part aux bénédictions divines. Is., lxv, 8-12. Le jugement de Dieu est toujours chez les prophètes un acte éminent de l’ordre moral. Is., iii, 10-Il et xl, 10.

2. Nature du jugement divin.

Il s’en faut que la précision règne au même degré sur la manière dont les prophètes en ont compris l’exercice. Leurs concepts sur ce point portent l’empreinte du temps et du milieu. « ) D’ordinaire le « jour de Jahvé » semble ramené par eux à la proportion d’un de ces événements historiques par lesquels la justice divine a coutume de s’exercer sur les nations. Pour être plus saillante et plus décisive que les autres, cette manifestation de Dieu n’en est pas moins mise sur le même plan, c’est-à-dire politique et terrestre comme elles. On le voit

i l’objet, aux sujets, à l’échéance du jugement annoncé.

Les seules sanctions précises dont Jahvé menace Israël sont des fléaux publics, Am., viii, 9 ; Is., xxiv, 113 ; vii, 17-20 ; des invasions avec leur cortège d’incendies et de massacres, Am., ii, 5, 13-16 et iii, 11-12 ; Os., viii, 1 et x, 6-12 ; Is., ix, 11-12 : l’Assyrien est