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JUGEMENT, DONNÉES DE L’ÉCRITURE : ANCIEN TESTAMENT

Toutes images qui tendent à exprimer une haute idée de justice. Aussi Socrate peut-il se consoler de l’injustice dont il est victime en invoquant les « vrais juges » qui siègent aux enfers. Apol., 41. Ces divers textes sont réunis et commentés par L. Ruhl, De mortuorum judicio, Giessen, 1905, p. 33-74.

Il n’y a rien dans cet exposé qui sente le système philosophique : la simplicité du fond et les couleurs sensibles de la forme attestent une croyance religieuse, et qui devait, à ce moment-là, être déjà largement répandue dans le peuple. Chez Platon lui-même, on entend le vieillard Képhalos qui, en avançant en âge, songe au compte qu’il devra rendre de sa vie. Rep., i, 330. Plus tard Lysias met en scène une bonne femme qui déclare ne vouloir pas quitter la vie sur un faux serment. Cont. Diagiton, 13. Ce caractère populaire de la croyance au jugement a été bien mis en évidence, contre Rhode, par Henri Weil, Journal des Savants, 1890, p. 633-635, et 1895, p. 556-564, dont les conclusions sont adoptées par F. Durrbach, art. Inferi, dans Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités, t. iii, l re partie, p. 495-506. Une lettre pseudo-platonicienne, Ep. vii, en attribue l’origine xoîç toxXcuo’ïç te y.al Izzolç, Xôyoïç : expression de respect où il faut sans doute voir une allusion à l’orphisme et à ses mystérieuses traditions.

L’influence de la doctrine platonicienne a été considérable sur tout le développement de lapensée grecque. Elle fut contrecarrée dans la suite par d’autres courants philosophiques, tels que l’épicuréisme et le stoïcisme, tous favorables à la négation religieuse ou inspirés par elle. Mais la croyance aux fins dernières et au jugement qui les détermine s’est maintenue ferme : les Dialogues des morts du sceptique Lucien témoignent combien elle était encore vivace au début de l’ère chrétienne.

2. Du monde grec elle a pénétré dans le monde romain, qui n’offre sur ce point rien d’original. La reli-’gion de l’ancienne Rome ignorait, elle aussi, la rémunération future. Quand elle s’ouvrit à l’hellénisme, plusieurs de ses philosophes en importèrent surtout les négations. C’est ainsi que Cicéron raille les inexorabiles judices des enfers, Tusculancs, i, 6, et que Sénèque traite de « fable » tout ce qu’on raconte de terrible à ce sujet. Consol. ad Marciam, xix, 4. Mais ces « fables » ne s’en répandaient pas moins dans la masse et fournissaient un aliment à l’imagination des poètes : Minos et Rhadamante figurent dans l’enfer de Virgile, JEn., vi, 426-434 et 566-570 ; Éaque, chez Horace, Carm., ii, 13, 22 et Properce, Carm., ii, 20, 28-31 etiv, 11, 17-20. Les auteurs plus récents témoignent à leur tour des mêmes croyances. Textes dans Ruhl, op. cit., p. 75-98. Sous le vêtement des légendes grecques l’idée morale de jugement et de sanction avait fini par s’imposer à la conscience romaine.

Religion germanique.

Comme tous les peuples

primitifs, les anciens Germains avaient l’idée d’une survie ; mais tout au plus admettaient-ils des sanctions pour certains crimes exceptionnels. On peut en dire autant des Slaves et des Celtes. Voir Bros et Habert, dans Bricout, op. cit., 1. 1, p. 404, 416 et 421. Dans les légendes germaniques apparaît en récits grandioses l’idée d’une fin catastrophique du monde, mais qui n’a rien d’un jugement. E. Bominghaus, dans Christus, p. 664.

Religion musulmane.

 A peine y a-t-il lieu de

mentionner l’eschatologie musulmane, doctrine tardive et, comme l’Islam lui-même, toute faite d’emprunts. On y professe le sommeil de l’âme après la mort ; mais celle-ci se réveille au dernier jour pour participer au jugement solennel qui fixera le. sort définitif de l’humanité. Avec quelques particularités qui lui sont propres, cette doctrine présente bien des traits évidem ment puisés dans la tradition judéo-chrétienne. E. Power, dans Christus, p. 571.

En somme, la conception d’une suprême justice dans le monde à venir, absente ou très faible chez les sauvages et sans nul doute chez les primitifs, est entrée peu à peu, sous une forme ou sous une autre, dans la croyance des peuples civilisés. Tous ont senti la nécessité d’une rétribution individuelle et décrit, avec des couleurs propres à frapper les imaginations, le jugement qui doit la fixer. A ce jugement des individus, seul parmi les religions païennes, le mazdéisme a superposé des assises générales qui arrêteront le sort éternel de l’humanité.


III. Données de l’Écriture : Ancien Testament.

— Un des objets de la révélation divine devait être et fut en réalité de donner aux hommes le sens plus ferme et la notion exacte de leurs destinées futures, plus ou moins bien entrevues par le paganisme.

II est d’ailleurs reconnu que cette révélation a suivi une loi de développement. Nulle part cette loi ne se vérifie mieux qu’en matière eschatologique et les meilleurs théologiens n’ont pas craint de reconnaître que le judaïsme n’eut sur ce point que des notions très imparfaites. « La loi de Moïse, a dit Bossuet, ne donnait à l’homme qu’une première notion de la nature de l’âme et de sa félicité… Mais les suites de cette doctrine et les merveilles de la vie future ne furent pas alors universellement développées, et c’était au jour du Messie que cette grande lumière devait paraître à découvert… Encore donc que les Juifs eussent dans leurs Écritures quelques promesses des félicités éternelles et que, vers le temps du Messie où elles doivent être déclarées, ils en parlassent beaucoup davantage, comme il paraît par les livres de la Sagesse et les Macchabées, toutefois cette vérité faisait si peu un dogme formel et universel de l’ancien peuple que les Sadducéens, sans la reconnaître, non seulement étaient admis dans la synagogue, mais encore élevés au sacerdoce. C’est un des caractères du peuple nouveau de poser pour fondement de la religion la foi de la vie future, et ce devait être le fruit de la venue du Messie. » Discours sur l’Histoire universelle, ii, 19, Œuvres complètes, édition Vives, t. xxiv, Paris, 1864, p. 459-460.

Si le judaïsme présentait encore cette infériorité au seuil de l’ère chrétienne, il faut s’attendre à la constater bien davantage à l’origine. Cependant toute cette histoire est dominée par l’affirmation d’une loi primordiale de justice : là est le fondement ferme du dogme eschatologique et qui devait en commander successivement les diverses applications.

I. Période primitive.

1<> La justice divine. — Toutes les incertitudes ou les lacunes du paganisme en matière de jugement ont leur cause dans l’insuffisance de sa théodicée. Avec la notion de Dieu, le judaïsme, au contraire, tenait de la révélation une perception très nette de ses attributs et principalement de sa justice.

1. Principe.

Elle s’affirme en actes décisifs dès les premiers pas de l’histoire humaine. On y voit Dieu frapper sévèrement Adam et Eve pour leur désobéissance, et punir jusqu’au serpent qui avait été l’instrument de leur chute, Gen., iii, 14-19 ; maudire Caïn pour son crime, ibid., iv, 10-15, et récompenser Hénoch pour ses vertus, ibid., v, 24 ; déchaîner le déluge sur le monde coupable, ibid., vi, 5-8, et faire tomber le feu du ciel sur Sodome et Gomorrhe. Ibid., xix, 23-26. Tous ces traits étaient bien propres à marquer que le Dieu d’Israël est un Dieu qui hait le mal et qui sait le châtier.

Plus tard, la promulgation du Décalogue s’accompagne de sanctions : larges bénédictions pour ceux qui y sont fidèles, châtiments pour ceux qui en violeront les préceptes essentiels. Ex., xx, 5-6. Et cette justice n’est pas moins parfaite dans son exercice que rigoureuse dans ses exigences. De très bonne heure on